Handicap international fait partie des ONG encore présentes en Afghanistan. Mais elle reste «vigilante» quant aux mesures prises par les talibans contre les Afghanes.
Bon an, mal an, les ONG œuvrant dans le domaine de la santé tentent de poursuivre leur travail humanitaire en Afghanistan. Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021, l’économie du pays, sous le coup de sanctions internationales, s’est effondrée et la famine menace près de six millions de personnes, aggravant encore la situation déjà précaire des plus vulnérables. «En 2023, 28,3 millions de personnes (soit les deux tiers de la population afghane) auront besoin d’une aide humanitaire d’urgence pour survivre», estime l’ONU.
Les humanitaires appuient un système de santé au bord de l’asphyxie et devenu inéquitable. «Moins de 20 % des hôpitaux du pays sont encore fonctionnels. Les premiers soins de stabilisation peuvent être encore présents, mais les gens ne bénéficient pas d’un système social comme ici, avec possibilité de suivis médicaux et de consultations de spécialistes.
Pour la plupart, ils n’ont pas récupéré correctement, ils ont parfois des séquelles définitives, et une fois qu’ils sont sortis d’un environnement hospitalier, c’est à la famille de tout prendre en charge, et ce, même s’il s’agit de personnes avec un handicap lourd et irréversible, comme une amputation, un traumatisme crânien et autres problèmes neurologiques définitifs», témoigne Eric Weerts, kinésithérapeute de formation et spécialiste en urgence et réadaptation chez Handicap international (HI) Luxembourg, de retour d’une mission en Afghanistan, où il se rend régulièrement depuis une vingtaine d’années.
Victimes de la malnutrition et des mines
HI, avec ses quelque 420 collaborateurs, des locaux issus de toutes les communautés, intervient en Afghanistan pour aider les personnes blessées et handicapées à se réadapter sur le plan physique, si besoin au moyen d’appareillages, et leur apporte un soutien psychosocial, ainsi qu’à leurs proches aidants.
Outre les handicaps dus par exemple aux chutes et autres accidents de la circulation, ou ceux liés aux conditions de la grossesse et de l’accouchement, les humanitaires de HI sont confrontés en Afghanistan à des situations propres à un pays en guerre et exsangue : «La malnutrition, en recrudescence, entraîne des déficiences. Nous avons des programmes de détection précoce et nous apprenons à la maman à faire des exercices avec son enfant pour le stimuler et ainsi réduire éventuellement son retard de développement», donne en exemple l’expert.
Des équipes mobiles dans toutes les communautés
Il y a aussi les victimes des mines et autres engins non explosés. Une véritable «tragédie» qui tend à prendre de l’ampleur en raison de la situation économique du pays : «Certains n’ont pas le choix : ils doivent cultiver leur champ malgré les risques. D’autres – y compris des enfants – espèrent pouvoir revendre les explosifs pour obtenir de l’argent et aider leur famille», alerte Eric Weerts.
L’ONG intervient dans plusieurs provinces afghanes, notamment par le biais d’unités de soins intermédiaires où le patient peut être stabilisé correctement après l’hôpital. Elle gère également un centre de réadaptation physique à Kandahar (sud), où sont reçues près de 10 000 personnes chaque année et qui offre un suivi à long terme. Des équipes mobiles se rendent quant à elles dans toutes les communautés, y compris auprès des populations déplacées et dans les villages les plus reculés.
Près de 19 millions d’euros sur cinq ans
Handicap international Luxembourg et le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) signent aujourd’hui un nouvel accord-cadre de développement, le sixième, portant sur la période 2023-2027 et doté d’un montant total de 18,75 millions d’euros. Seize pays sont bénéficiaires de cet accord intitulé «Réhabilitation, éducation et accès aux moyens de subsistance pour une société inclusive», dont, pour la première fois, l’Afghanistan, où HI est présente depuis 1987. Au-delà de répondre à l’urgence humanitaire, HI pourra ainsi planifier sur plusieurs années des activités de réadaptation, de soutien psychosocial et d’insertion socio-économique des personnes handicapées.
Une présence indispensable, pourtant menacée. Le 24 décembre, en effet, les talibans ont interdit aux Afghanes de travailler dans des ONG. Or dans ce pays, seules les femmes peuvent s’occuper des femmes. «Après cette déclaration, HI a arrêté ses activités pendant 15 jours, le temps que le gouvernement clarifie les choses, car les applications de cet édit au niveau local étaient très variées», indique Eric Weerts. Après avoir obtenu des garanties «satisfaisantes» pour ses collaboratrices, HI a finalement repris ses activités. Il semble en effet qu’une certaine tolérance soit observée vis-à-vis des ONG liées au domaine de la santé.
«Mais on reste vigilant», insiste l’expert. «Si l’interdiction pour les femmes de travailler est réellement appliquée, nous refuserons de poursuivre nos activités en Afghanistan.» Une position partagée par toutes les ONG encore présentes sur place, tant il est impensable que seule une moitié de l’humanité puisse bénéficier des soins. «Il ne faut pas qu’une entité politique, économique ou autres montre qu’on pourrait faire sans les femmes.»