La journée de sensibilisation au danger des mines ce vendredi est l’occasion pour Handicap International d’alerter sur le changement de cap de certains États européens sur la question.
Cela fait plus de trente ans que Handicap International alerte sur le danger des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions qui contaminent les sols et blessent des civils, même des années après la fin d’un conflit. Malgré les traités internationaux interdisant ces armes, Martin Lagneau, directeur de l’ONG au Luxembourg, alerte sur la menace qui plane actuellement au-dessus de ce sujet à l’occasion de la journée internationale de Sensibilisation au problème des mines et de l’Assistance à la lutte antimines, vendredi.
À quel point cette journée de sensibilisation au problème des mines est-elle primordiale pour vous?
Martin Lagneau : Il y a plus de vingt-cinq ans, nous avons mis sur pied un instrument juridique afin de régler le problème des mines antipersonnel grâce au traité d’Ottawa, complémentaire aux droits existants issus des conventions de Genève. En parallèle, les activités de prévention des risques et de dépollution des terres contaminées ont fait passer le nombre de victimes de 25 000 par an, au moment de la signature du traité, à 5 000 aujourd’hui.
C’est une problématique qui pourrait donc apparaître comme d’une autre époque. Mais ce n’est pas le cas du tout. Aujourd’hui, il y a une détérioration des conflits avec une augmentation complètement délirante du nombre de victimes civiles. Lors de la Première Guerre mondiale, il y avait 15 % de victimes civiles. Pour Gaza, on parle actuellement de 80 %. Cela ne choque plus d’avoir un certain nombre de dommages collatéraux sur les civils. Et c’est pareil en Ukraine, où la population civile est énormément sous pression. Or il est important de rappeler aux gens, à travers le prisme spécifique des mines antipersonnel, que ce n’est évidemment pas normal.
Constatez-vous une régression du droit humanitaire?
Je dirais que oui. Le droit international humanitaire ou le droit de la guerre et les conventions de Genève sont de moins en moins respectés. Les État sont de moins en moins effrayés d’être visés par une accusation de crime de guerre, voire de crime contre l’humanité.
Et ce qui rend importante cette journée de sensibilisation, c’est également la régression actuelle de certains États qui ont déclaré se retirer du traité d’Ottawa. En particulier des États européens comme l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne qui, elle, a même déclaré examiner la possibilité de se remettre à produire des mines antipersonnel. Quand la Lituanie a annoncé en juillet dernier se retirer de la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions, cela a été pour nous un signal extrêmement inquiétant. Nous avons tout de suite vu le risque d’effet domino si un premier maillon faiblit; et cet effet, nous sommes en train d’y assister.
Il y a une augmentation délirante du nombre de victimes civiles
Comment empêcher cela?
Notre réaction a tout de suite été d’interpeller le gouvernement lituanien, puis les autres pays que j’ai cités, et aussi d’aller voir les autorités luxembourgeoises, car le Luxembourg est attaché à ces traités pour lesquels il a été très actif dans la rédaction et la mise en application.
Le Luxembourg a toujours été un allié et il est préoccupé comme nous, mais avec la difficulté qu’il doit mener un travail diplomatique avec ses pairs européens. Le Luxembourg nous a dit être en discussion avec ces pays afin de faire passer le message que c’est problématique et dangereux et qu’un effet domino est à craindre.
Peut-on envisager des sanctions contre les États qui sortent des traités qui prohibent ces armes et ces munitions meurtrières?
Il n’y a rien qui interdit à un État de se retirer. À ma connaissance, les États signataires s’engagent à faire un certain nombre de choses, y compris à défendre le traité, le promouvoir et ils ont notamment l’obligation de dénoncer ou critiquer la position d’autres États qui se retirent. Mais à partir du moment où l’État se retire, il n’est plus contraint par ces obligations.
En tout cas, je ne pense pas qu’il soit réaliste pour nous, Handicap International, de mener auprès des États signataires une campagne demandant d’appliquer des sanctions, y compris économiques, d’autant plus qu’on est dans le marché européen. Le seul moyen que l’on ait à ce stade-ci, c’est de continuer à travailler sur le dialogue et la conscientisation autour des risques à utiliser ce type d’armement. C’est terrible, mais lors de notre prochaine Pyramide solidaire (lire ci-contre), nous allons devoir refaire toute une campagne de sensibilisation, y compris auprès des politiques, pour revenir sur des sujets, comme les mines antipersonnel, qui nous paraissaient pourtant déjà acquis.
Nous ne portons pas un regard naïf
Quel regard portez-vous sur la politique européenne en matière de défense, à commencer par celle du Grand-Duché?
Au Luxembourg, il peut y avoir des productions liées à l’aérospatiale, à des composants ou des systèmes d’information militaires, mais il n’y a pas de cible directe nous concernant, si ce n’est peut-être les banques et leurs investissements. Maintenant, Handicap International n’est pas une organisation pacifique en tant que telle. Évidemment, nous souhaitons qu’il n’y ait pas de guerre, mais nous sommes une organisation très réaliste. J’ai l’habitude de dire que nous sommes des utopistes réalistes. Nous visons effectivement une protection des civils et, pour cela, des armes comme les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions ne doivent pas exister.
Pour autant, nous ne portons pas un regard naïf. Il y a une menace russe, une nécessité de se protéger et un allié américain qui semble ne plus être fiable. Par conséquent, on comprend que l’Europe prenne des mesures, mais il ne faut pas que cela soit fait en hypothéquant l’avenir de l’Europe et des populations par une contamination des zones dans lesquelles on va devoir vivre les prochaines décennies. Pour l’Ukraine, par exemple, décontaminer le pays va prendre des décennies.
Le rendez-vous de la Pyramide solidaire
Chaque premier samedi d’octobre, sur la place d’Armes, dans la capitale, Handicap International Luxembourg organise sa Pyramide solidaire afin de mobiliser le public pour défendre la vie des civils face à l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées. L’an dernier, la pyramide mettait en scène les affres de la guerre et proposait un parcours immersif retraçant le quotidien des personnes affectées par ces violences, des stands d’information et d’échange avec des experts, des visites guidées pour les scolaires et des spectacles de danse.
