Accueil | A la Une | Handicap International : «La situation est pire qu’en 1945»

Handicap International : «La situation est pire qu’en 1945»


Leïla Cartier, Martin Lagneau et Alma Taslidžan (de g. à d.) ont dévoilé une nouvelle campagne de sensibilisation et une pétition. (photo Fabrizio Pizzolante)

Handicap International Luxembourg entend mobiliser les citoyens par une campagne de sensibilisation afin qu’ils poussent les États, dont le Grand-Duché, à réhabiliter le droit international pour protéger les civils.

Fondée afin d’aider à l’intégration et l’autonomie de la personne handicapée, Handicap International (HI) est également présent sur les zones de guerre, où l’ONG dénonce les dégâts des armes sur les civils. L’actualité au Liban, où les bombardements s’intensifient, était en toile de fond lors de la conférence de presse de la section luxembourgeoise de l’ONG mardi matin. D’autant plus que Handicap International Luxembourg (HILux) a présenté la nouvelle campagne de la fédération internationale : «Stop bombing» (Stop aux bombes).

Alma Taslidžan, responsable plaidoyer pour HI, est intervenue afin de raconter l’histoire d’enfants devenus handicapés pour diverses raisons : corps criblé de petits fragments projetés par une explosion, brûlure au phosphore blanc, amputation à cause d’une mine ou paralysie totale à cause du traumatisme causé par un bombardement. «Sans accès aux soins médicaux, ils vivent à vie avec ces handicaps. C’est toujours la même histoire», déplore-t-elle.

«L’autre problématique, c’est que certaines armes restent sur le terrain, même si, en théorie, les États doivent les retirer à la fin des conflits», ajoute Martin Lagneau, le directeur de HILux. «Cette contamination résiduelle a un impact sur les civils qui reviennent après les conflits.»

Le danger des restes de guerre

Dans le viseur de l’ONG se trouvent notamment les armes à sous-munitions qui, sous forme de bombes ou de roquettes, larguent des minibombes qui n’explosent pas forcément à l’impact et qui se transforment en mines antipersonnels. Bien que «contraire par nature au droit international et au droit de la guerre», ces armes continuent d’être utilisées. L’une des missions des équipes de Handicap International consiste alors à décontaminer les zones de combat, comme au Liban, à la suite conflit israélo-libanais (lire ci-contre).

«Mais il ne suffit pas de dépolluer, il s’agit d’assister les populations quand elles subissent des bombardements. Or aujourd’hui nous sommes dans l’incapacité de le faire, car les États ne nous y autorisent pas lors d’un conflit actif», dénonce Martin Lagneau. Comme d’autres ONG, HI déplore les blocages de l’aide humanitaire et les attaques contre les hôpitaux de plus en plus récurrentes, comme l’a récemment fait Israël à Gaza. «En 2023, il y a eu 750 attaques contre des établissements hospitaliers dans 20 pays», précise le directeur.

Il s’agit là des conséquences de l’affaiblissement du droit international qui conduit HI à tirer la sonnette d’alarme en menant une nouvelle campagne, «Stop bombing», dévoilée mardi. «Le droit international est prévu pour protéger les civils, mais il ne le fait plus, c’est évident», lance, amère, Alma Taslidžan.

Le Luxembourg sommé d’agir

Le but de «Stop bombing» est d’inciter les États «à s’asseoir autour d’une table et à se demander si le droit international est suffisant et comment le renforcer». Cela passe donc par une mobilisation citoyenne grâce à une campagne de sensibilisation menée au Grand-Duché, dans les rues et sur les réseaux sociaux qui invitera le public à signer une pétition disponible sur le site stopbombing.lu. Cette dernière, ainsi que la Pyramide solidaire organisée les 11 et 12 octobre (lire ci-dessous), doit permettre d’interpeller le gouvernement luxembourgeois afin qu’il condamne publiquement les États qui ne respectent pas le droit international et qu’il encourage des pays à signer les traités interdisant les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions.

«Nous savons que le Luxembourg est sensible à la protection des civils, cela a toujours été en haut de son agenda», affirme le directeur de HILux. «Et on croit que le Luxembourg a son rôle à jouer par sa présence dans l’OTAN et sa collaboration avec d’autres États», complète la responsable plaidoyer. La section luxembourgeoise n’a pas attendu les résultats de sa campagne pour rencontrer la direction des Affaires politiques du ministère des Affaires étrangères mardi après-midi. Elle a aussi discuté avec le ministre Xavier Bettel, «qui prend des positions extrêmement claires et intéressantes», et compte aller à la rencontre de la Chambre des députés, puis de la commission des Affaires étrangères et européennes, «car le législatif peut pousser le Luxembourg», selon Martin Lagneau.

«Une tendance à la détérioration»

HILux insiste sur l’urgence qui concerne le droit international, à l’heure où «les États-Unis fournissent à l’Ukraine des armes à sous munitions qui sont très vieilles, avec un fort taux de ratés et donc beaucoup d’impact sur les civils», tandis que la Lituanie s’est retirée de la Convention sur les armes à sous-munitions «afin de pouvoir les utiliser en cas de conflit avec la Russie». Sans oublier la situation au Liban, qui provoque «le désespoir» de Martin Lagneau.

Le directeur déplore «une tendance à la détérioration» et estime que le monde actuel est loin du droit international pensé en 1945, avec comme mot d’ordre «plus jamais». «Aujourd’hui, la situation est pire qu’en 1945 et ses 50 % de victimes qui étaient des civils. Aujourd’hui, on parle de 75 % de victimes civiles quand il s’agit d’armes explosives et de 90 % dans les zones peuplées.»

Le déminage, en vain, du Liban

Responsable des opérations de déminage de HI au Liban, Roger Eid était présent en visioconférence afin d’illustrer le travail de longue haleine que représente l’enlèvement des restes de guerre. À la suite du conflit avec Israël en 2006, «nous avons nettoyé tout le nord du Liban entre 2012 et 2021 et, cette année, nous avons commencé le sud», explique ce général à la retraite de l’armée libanaise. En 2023, le Centre libanais d’action contre les mines (CLAM), qui travaille en collaboration avec HI, a nettoyé 120 000 km2, enlevant 11 480 mines, 6 035 munitions non explosées, 1 950 sous-munitions et un engin explosif improvisé.

Alors que le pays prévoyait d’être libre de mines en 2030, soit 24 ans après le conflit, les événements actuels avec les attaques d’Israël sont un véritable coup dur pour Roger Eid : «Je suis énervé, fatigué et déçu, car j’ai l’impression que l’on nage à contre-courant.»

La Pyramide solidaire sur deux jours

Pour la 25e édition de la Pyramide solidaire de HILux, anciennement Pyramide de chaussures, l’opération de sensibilisation à la protection des civils est exceptionnellement organisée sur deux jours, les 11 et 12 octobre. Le premier jour sera dédié aux groupes de jeunes et scolaires et le samedi sera grand public. Le rendez-vous a de nouveau lieu place d’Armes à Luxembourg. Il proposera un parcours immersif de 40 minutes afin, notamment, d’inviter les Luxembourgeois à signer la pétition «Stop bombing».

Des invités de marque seront présents, à commencer par Simon Elmont, «le premier démineur à être entré dans Gaza» et spécialiste de la remise à disposition des terres pour HI. Nujeen Mustafa, réfugiée syrienne, défenseuse et «symbole des droits des personnes handicapées», sera également sur place. Enfin, des danseuses du Trois-CL porteront un message en faveur de la protection des civils avec des chorégraphies inspirées des témoignages de victimes de bombardements.