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Grand-Duc Guillaume : «Je veux être un bâtisseur de ponts entre les générations»


«La cohésion sociale dans le pays, pour laquelle mon père s'est engagé pendant des années, me tient également très à cœur», assure le Grand-Duc Guillaume.

Le chef de l’État, fraîchement intronisé, évoque dans un long entretien, mené avec nos confrères du Tageblatt, son nouveau rôle, dresse ses priorités et s’exprime sur les principaux enjeux qui attendent le Luxembourg.

Nous vous proposons ci-dessous une traduction en français de l’interview menée en amont du changement de trône, célébré le vendredi 3 octobre 2025.

Monseigneur, vous êtes désormais chef de l’État et Grand-Duc. Comment avez-vous vécu ces derniers jours? À quel point est-on nerveux avant un moment aussi important, notamment sur le plan personnel ?

Grand-Duc Guillaume : Prêter serment est un moment très émouvant. En même temps, on ressent bien sûr la responsabilité qui accompagne cette haute fonction. Mais j’ai derrière moi de longues années pendant lesquelles j’ai pu me préparer et au cours desquelles j’ai pu compter sur un grand soutien. Mes parents m’ont beaucoup apporté tout au long de mon parcours. À cela s’ajoutent mes expériences à l’étranger et mes fonctions ici au Luxembourg en tant que Grand-Duc héritier. Tout cela m’a aidé à m’approprier le rôle que j’occupe aujourd’hui. J’aborde cette nouvelle fonction avec sérénité.

Quelles sont vos priorités pour votre règne ? Quels sont vos projets et comment comptez-vous vous présenter devant le pays et ses habitants ?

Je considère que le rôle du Grand-Duc est de rassembler les gens. D’être quelqu’un qui va vers les gens, qui les écoute et prend leurs préoccupations au sérieux. Nous vivons une période d’incertitude, tant au niveau international qu’à l’échelle nationale – avec des progrès technologiques fulgurants qui ouvrent des perspectives, mais posent également des défis considérables. C’est précisément dans ces moments-là que mon rôle consiste à être à l’écoute des gens. Des jeunes, mais aussi des moins jeunes. C’est la seule façon de saisir ensemble ces opportunités et de relever ces défis.

Pourriez-vous préciser les défis que vous évoquez ?

Le développement de l’intelligence artificielle entraîne des changements profonds. D’un côté, cela effraie les gens, mais d’un autre côté, cela ouvre des opportunités pour nous tous. C’est précisément là que je vois mon rôle : prendre au sérieux les inquiétudes des gens tout en contribuant à ce que le Luxembourg puisse tirer le meilleur parti possible de ces nouvelles opportunités.

Il est important pour moi de soutenir les nombreuses initiatives merveilleuses menées par les gens ici au Luxembourg

Évolutions technologiques, intelligence artificielle. Je n’aurais pas pensé qu’au début de cet entretien sur le changement de trône, nous discuterions de ces sujets. S’agit-il de domaines qui vous intéressent particulièrement, vous vous y consacrez profondément ?

Avec grand plaisir! Je ne suis peut-être pas le jeune homme – ou le moins jeune (il rit) – le plus doué en matière de technologie, mais ces sujets m’intéressent beaucoup. Je m’informe beaucoup à ce sujet et je suis attentivement l’influence que ces évolutions ont, notamment sur notre jeunesse.

Où voyez-vous le plus grand défi pour vous personnellement ?

Premièrement, il faut rester en contact direct avec les gens, sortir, être présent afin de voir de mes propres yeux ce qui se passe dans notre pays. Deuxièmement, il est tout aussi important pour moi de soutenir les nombreuses initiatives merveilleuses menées par les gens ici au Luxembourg. Et, enfin, ce qui est peut-être moins un défi qu’une mission centrale du Grand-Duc, c’est de préserver la neutralité politique. Notre nouvelle Constitution en définit clairement le cadre et c’est précisément là que réside pour moi un aspect décisif de mon rôle.

Vous avez la chance de ne pas avoir à assumer tout cela seul, mais avec votre famille. Comment une famille se prépare-t-elle à un tel jour? Avec votre épouse? Comment explique-t-on cela à un enfant ?

Pour mon épouse, cette étape est une conséquence logique. Elle continuera à se consacrer aux tâches qui lui tenaient déjà à cœur en tant que Grande-Duchesse héritière. Elle était et reste très engagée dans le domaine social, notamment auprès des personnes âgées souffrant de solitude et dans la promotion de la santé mentale des enfants. L’art lui tient également très à cœur et elle souhaite poursuivre avec passion son rôle d’ambassadrice engagée au Luxembourg comme à l’étranger. Nous nous sommes surtout préparés à cette journée (NDLR : l’avènement au trône) en tant que couple. Pour notre petit Charel, tout cela est encore abstrait. Il savait que « quelque chose allait se passer en Ville » le 3 octobre et qu’il n’irait pas à l’école. Mais il est important pour nous de trouver un bon équilibre pour lui : le ménager et ne pas le préparer trop tôt à sa future tâche, ce qui pourrait peser sur lui. Nous voulons lui permettre de vivre pleinement son enfance.

Nous voulons permettre au Prince Charel de vivre pleinement son enfance

Vous avez longtemps pu observer vos parents interpréter leurs rôles. Que souhaitez-vous retenir de leur exemple ? Qu’est-ce que vous ne souhaitez en aucun cas reproduire ?

Je me considère en quelque sorte comme un complément de mes parents. Mon père m’a appris le profond respect de l’État de droit et, par là, ce que signifie être au service de son pays. De ma mère, j’ai hérité de l’ouverture d’esprit dans mes relations avec les gens. J’espère vraiment pouvoir réunir en moi toutes ces qualités. La cohésion sociale dans le pays, pour laquelle mon père s’est engagé pendant des années, me tient également très à cœur. Là aussi, je vois mon rôle comme celui d’un rassembleur dans la société multiculturelle qui compose le Luxembourg. Je veux être un bâtisseur de ponts dans cette société, entre les personnes et entre les générations. C’est peut-être là ma touche personnelle : je me sens plus proche des préoccupations des jeunes que mon père ne pouvait l’être en raison de sa génération. C’est là que je vois mon rôle en tant que jeune Grand-Duc.

Vous l’avez déjà mentionné, le pays s’est doté d’une nouvelle Constitution. Vous accédez ainsi au pouvoir dans un contexte différent de celui dans lequel votre père s’est retrouvé il y a 25 ans. La nouvelle Constitution et, par conséquent, le nouveau rôle plus restreint qui incombe au Grand-Duc, cela vous enlève-t-il peut-être un peu de pression face à cette tâche ?

Je ne parlerais pas de pression. À mes yeux, la nouvelle Constitution est plutôt une évolution logique. L’ancienne Constitution contenait des dispositions qui n’étaient plus d’actualité et ne correspondaient plus à la réalité. Aujourd’hui, nous avons une Constitution moderne qui définit plus clairement les tâches du Grand-Duc et qui, à mon avis, respecte pleinement le principe de neutralité politique du Grand-Duc. Cela s’explique également par le fait que l’approbation des lois ne fait plus partie des tâches constitutionnelles du Grand-Duc, dont le rôle se limite désormais à la promulgation des lois. Le Grand-Duc se contente ici de confirmer que la loi a été adoptée en bonne et due forme par la Chambre des députés et d’ordonner sa publication – ce qui correspond au rôle d’un Grand-Duc politiquement neutre.

Vous avez eu beaucoup de temps pour vous préparer et donc aussi beaucoup de temps pour voir ce qui vous attendait. Au cours de toutes ces années, n’avez-vous jamais eu de doutes et vous êtes-vous dit : « Dois-je vraiment le faire ?« 

J’ai eu la chance de fréquenter l’école primaire ici au Luxembourg et de grandir tout près de mes parents. J’ai également passé mes années de lycée ici, dans le pays. Et, bien sûr, quand on est adolescent, on se pose des questions – et c’est important de se les poser! Mais avec le temps, grâce à ma formation en Angleterre, à mes études et aux années que j’ai ensuite passées au Luxembourg, je me suis peu à peu familiarisé avec ce rôle, et ce, avec beaucoup de calme et de sérénité.

Avez-vous encore des amis de cette époque ?

Oui, et c’est toujours un plaisir de les revoir.

Cela restera-t-il ainsi en tant que Grand-Duc ?

Il y aura probablement plus de distance à l’avenir, mais c’est toujours un plaisir – cela doit rester ainsi!

Le Luxembourg connaît un développement fulgurant. Comment vous informez-vous sur ces évolutions ?

Je lis tous les jours les journaux, tant nationaux qu’internationaux. Je considère cela comme très important. J’ai également la chance d’être entouré d’une équipe formidable qui me conseille très bien sur des sujets techniques et spécifiques. C’est tout à fait normal : le Grand-Duc ne doit pas être un spécialiste dans tous les domaines, mais il doit avoir une compréhension de base de beaucoup de choses.

Vos parents ont été critiqués pour avoir accordé des interviews à la presse internationale. Ces entretiens ont surtout été accueillis avec étonnement après que la Cour a annulé, sans donner de raison, les interviews que le Grand-Duc et la Grande-Duchesse comptaient accorder à la presse nationale, l’été dernier, peu avant la date prévue. Comment la communication de la Cour doit-elle se dérouler, selon vous ?

Mon épouse et moi-même sommes favorables à une communication institutionnelle fiable, dans le cadre d’un échange entre la Maison du Grand-Duc et la presse nationale et internationale. La transparence et un contact régulier et de qualité sont très importants à nos yeux. Nous souhaitons choisir de manière ciblée des moments clés, que ce soit pour la monarchie ou pour le pays, pour nous exprimer dans des interviews.

Je suis fier et reconnaissant de pouvoir assumer la fonction de Grand-Duc

Une question personnelle : le Luxembourg débat actuellement pour savoir si l’avortement doit être inscrit ou non dans la Constitution en tant que liberté. Quelle est votre position dans ce débat? Dans quelle mesure votre foi joue-t-elle un rôle à cet égard? Prenez-vous publiquement position à ce sujet ?

C’est précisément sur cette question que la neutralité politique que j’ai déjà mentionnée entre en jeu. Bien sûr, j’ai reçu une éducation catholique. Mais il faut ici faire la distinction entre la vie privée et le rôle de chef de l’État et de Grand-Duc, qui doit respecter cette neutralité politique de manière cohérente.

La Maison du Grand-Duc est également une nouveauté pour vous. Ce nouveau cadre vous aide-t-il ?

Je suis très fier de l’équipe qui me soutient ici. C’est avec plaisir que je me rends à nos réunions au Palais. La Maison du Grand-Duc offre désormais un cadre clairement défini dans lequel nous pouvons travailler efficacement. Pour moi, il importe de regarder vers l’avenir. Et je constate que nous sommes extrêmement bien placés pour relever les défis auxquels notre pays est confronté.

En tant que Grand-Duc héritier, vous avez participé activement aux missions économiques menées par le Luxembourg à travers le monde. À quoi ces missions ressembleront-elles à l’avenir? En ferez-vous toujours partie ?

Cela dépendra bien sûr de la manière dont les missions économiques seront organisées à l’avenir. Mais je continuerai à m’engager en faveur de l’économie luxembourgeoise et à la représenter à l’étranger, comme mon père l’a déjà fait lors de nombreuses visites d’État. Je vais peut-être même renforcer cet engagement. Mais pour cela, nous devons d’abord définir le cadre institutionnel approprié.

Lorsque vous regardez votre agenda, certainement bien rempli pour les semaines et les mois à venir, cela ne vous donne-t-il pas le vertige ?

Lundi prochain, je recevrai déjà le président de la Chambre des députés, le Premier ministre et le président du Conseil d’État en audience au Palais grand-ducal. Les premiers mois qui suivent le changement de trône sont principalement consacrés aux visites de courtoisie. Viennent ensuite les premières visites d’État que nous sommes en train de planifier. Actuellement, l’agenda enfle presque tous les jours, mais nous y travaillons d’arrache-pied.

Quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez au Luxembourg ?

Pour moi, le Luxembourg est un pays ouvert, où il fait bon vivre et où les gens se sentent les bienvenus. Je suis fier et reconnaissant de pouvoir assumer la fonction de Grand-Duc dans ce pays.

Pour finir, à la surprise générale, le jour du changement de règne n’a pas été déclaré jour férié. Si vous aviez pu en décider, le 3 octobre aurait-il été un jour férié pour les Luxembourgeois ?

(Il rit de bon cœur) Ce n’était pas à moi d’en décider.

Entretien réalisé par Armand Back (Tageblatt) et traduit par David Marques

«Grâce à ma formation en Angleterre, à mes études et aux années que j'ai ensuite passées au Luxembourg, je me suis peu à peu familiarisé avec ce rôle, et ce, avec beaucoup de calme et de sérénité», affirme le nouveau souverain.