Gerson Rodrigues fait enfin un choix de carrière qui semble dicté par une certaine forme de logique sportive et du cœur. Enfin un vrai rebond ?
Jeudi matin, Gerson Rodrigues était à l’entraînement sous un grand soleil, à Aves, où il était arrivé la veille. Sur la pelouse, il a été accueilli par Eric Veiga qui l’a trouvé «bien, visiblement heureux». Quand ses dirigeants étaient venus trouver le latéral pour simplement lui demander s’il pensait que l’avant-centre de la sélection nationale luxembourgeoise pourrait les aider à passer un cap et donc à sauver leur peau en D1 lusitanienne, dont ils sont les derniers non-relégables, il avait eu cette réponse qui, visiblement, les a convaincus : «Vu notre situation, vu nos difficultés à marquer, oui, il pourra faire des différences. Surtout dans cette Primeira Liga pleine de joueurs explosifs qui aiment provoquer des « un contre un« .»
Gerson va donc intégrer les rangs d’un promu qui évoluait ces dernières semaines en 5-3-2 avec un coach qui peut correspondre à ses critères de mise en confiance. Daniel Ramos semble en effet plus coller au profil d’un Mircea Lucescu qui adorait suffisamment Gerson pour lui offrir sa meilleure saison en pro, du côté du Dynamo Kiev, en 2020/2021, qu’à celui du volcanique Vladimir Weis, qui avait consciencieusement assassiné le Luxembourgeois lors de son limogeage du Slovan Bratislava, l’année dernière. «Oui, c’est un coach très tranquille, témoigne Veiga, pourtant placardisé par le technicien. Il n’est pas toujours en train de crier. Il aime bien parler avec les joueurs. Entre lui et Gerson, ça peut coller.»
Un choc par mois jusqu’en avril
Que ça colle entre le staff et Gerson, c’est crucial. Après des années d’errements, il est en effet possible, enfin, que l’attaquant star des Rout Léiwen ait enfin fait un choix cohérent et qui lui permette d’exister sur la durée, dans le pays qu’il a quitté jeune adolescent, là où sa mère l’avait laissé aux soins de sa grand-mère le temps de s’installer au Grand-Duché et d’y gagner sa vie.
Il y a aussi quelques années que notre chroniqueur des matches de la sélection, Sébastien Grandjean, a théorisé sa vision du bonhomme : incapable d’exister en club mais roi en son pays simplement parce qu’il a besoin de sentir qu’il ne dispute que des matches importants. Or il n’y a sûrement pas beaucoup de championnats qui parlent plus au cœur de Gerson que la D1 portugaise. Et qui le forceront à rester concentré sur son métier, s’il ne veut pas en rater ce qui en fait tout le sel. Réception du Sporting le 23 février, puis de Porto, le 16 mars, avant un déplacement au Estádio da Luz le 27 avril pour y défier son pote Leandro Barreiro et le Benfica, à quelques jets de pierre de là où il a grandi, de l’autre côté du Tage. On dirait presque que les grands rendez-vous de sa deuxième partie de saison ont été posés comme des jalons mensuels pour lui éviter de se disperser.
Il a eu tellement de galères…
Car son amour de la vie restera, à Aves comme partout ailleurs, comme son seul véritable ennemi intérieur. Et il sait ce qu’il en est. Mis à pied par Troyes après des manquements, «coupé» par Ankaragüçü sous un faux prétexte mais ayant contribué à ternir sa réputation, massacré publiquement par le communiqué du Slovan Bratislava annonçant sa radiation du club… Depuis des années, les meilleures nouvelles escortant l’évolution de carrière de Gerson Rodrigues concernent ses choix les plus exotiques dans la foulée de cet aveu un peu naïf formulé dans sa jeunesse : après les années de galère à Lisbonne, après la peur de passer à côté d’une carrière professionnelle, il entendait bien «gagner beaucoup d’argent».
Sans s’en cacher, ce qui anéantit le côté malsain de la prise de position. Mais dans la foulée de son mirobolant contrat avec le Dynamo Kiev, sur six saisons et entamé en 2019, forcément, on a pu lire beaucoup de choix sous ce prisme de la monétarisation de ses meilleures années. Quand bien même il a effectué une pige à Troyes où son salaire mensuel était estimé à «seulement» 16 000 euros, on doute qu’il ait fait le voyage vers l’Arabie saoudite (Al-Wehda en 2022/2023, qui ne se sera apparemment pas montré très bon payeur, à en croire les conseillers du joueur) et la Chine (Guangxi Pinggo, jusqu’à la fin d’année dernière) pour des cacahuètes.
On a envie de croire que Gerson ne peut plus faire pire que ces dernières années, qui l’ont vu gâcher son immense talent. Les chiffres sont là : depuis l’été 2021, il a cumulé huit clubs mais n’a pu jouer, en trois saisons et demie, que 58 matches de championnat pour 13 buts inscrits. Alors qu’en sélection, sur la même période et malgré la rareté (relative) des rencontres internationales ainsi que quelques mises à pied, il a cumulé 34 matches pour 18 buts. Le Gerson Rodrigues d’Aves doit devenir le Gerson Rodrigues du Luxembourg, dans un club où aucun joueur n’est parvenu à inscrire plus de deux buts depuis le début de saison, au sein de la troisième pire attaque de la division. Ce week-end, son club affronte Guimarães. Et on sait que Gerson aime soigner ses débuts.