Le ministre du Travail et de l’Emploi, Georges Engel, défend les mesures de compensation financières décidées par la tripartite. Dimanche, l’élu socialiste s’est mêlé à la foule lors de la fête du 1er-Mai de l’OGBL, seul syndicat à avoir rejeté le paquet ficelé dans la douleur.
Dialogue social, chômage, réduction du temps de travail et télétravail. La liste des sujets à évoquer avec Georges Engel est longue et variée. Arrivé au gouvernement en janvier en remplacement de Dan Kersch, le nouveau ministre du Travail et de l’Emploi se voit aujourd’hui confronté à un climat de tension sociale.
En cause : l’accord tripartite qui est resté partiel en raison du blocage de l’OGBL. Le dialogue social ne serait toutefois pas remis en question. Un nouveau département ministériel doit même permettre de solidifier les échanges tripartites.
Au moment de votre assermentation, vous aviez souligné votre attachement au dialogue social. Aujourd’hui, le camp syndical semble divisé avec un OGBL qui a refusé de signer l’accord tripartite. Avez-vous échoué dans la mission de donner une nouvelle dynamique à l’échange entre gouvernement, syndicats et patronat?
Georges Engel : Le seul fait qu’une tripartite ait eu lieu démontre que le dialogue social fonctionne. Il n’existe pas d’obligation pour que les tractations se soldent par un accord. L’objectif doit bien entendu être de trouver un consensus. Mais en premier lieu, l’accent est à mettre sur le dialogue.
Comment interprétez-vous donc le résultat de la récente tripartite qui n’a pas pu accoucher d’un accord global?
Je trouve dommage qu’il n’ait pas été possible de dégager un accord avec l’ensemble des partenaires. Ce sont tout de même deux des trois syndicats assis à la table de la tripartite qui soutiennent l’accord. Je m’en réjouis.
Le fait que le troisième syndicat ait refusé de signer l’accord est regrettable. Cela peut arriver lors d’une négociation tripartite. En tout cas, le gouvernement a tout mis en œuvre pour dégager un accord global.
Votre parti, le LSAP, et l’OGBL sont des alliés historiques. Les critiques du syndicat eschois sont acerbes. Est-ce que les ministres socialistes n’ont pas assez pesé lors de la tripartite pour trouver un accord viable?
Il est faux de reprocher au LSAP de ne pas avoir assumé son rôle. L’accord reflète nos valeurs. On s’est vraiment battus pour aider ceux qui vont le plus souffrir du report de la prochaine tranche indiciaire. J’insiste d’ailleurs sur le fait qu’il s’agit d’un report et non pas de l’annulation d’une tranche.
Les gens qui seront le plus pénalisés vont bénéficier d’une solide compensation, et même d’une surcompensation par rapport au montant qu’ils auraient touché grâce à l’index. Mon parti se voit en défenseur des bas salaires. L’OGBL est toutefois dans son bon droit d’avoir une interprétation différente des choses. Cela est légitime, mais il est tout aussi bien légitime que le LSAP estime qu’un bon accord se trouve sur la table.
Vous venez d’annoncer la création d’un département « Dialogue social » au sein de votre ministère. S’agit-il d’une réaction à l’échec partiel de la tripartite?
Le ministère du Travail chapeaute de nombreux organes reposant sur le modèle tripartite. On peut citer le Comité permanent pour le travail et l’emploi (CPTE) ou le Comité de conjoncture. Avec la création de ce nouveau département, je compte poser un signal pour souligner l’importance que j’attache au dialogue social.
Il ne s’agit pas de marcher sur les platebandes du Premier ministre qui convoque la tripartite nationale. L’idée est plutôt de mieux coordonner les travaux entre les différentes entités de la tripartite.
Au vu contexte social actuel, le 1er-Mai 2022 s’annonce bien plus tendu que ces dernières années (NDLR : l’entretien a été réalisé vendredi). Quelle est l’importance que vous accordez, à la fois comme ministre du Travail qu’en tant que ténor du Parti socialiste, à ce rendez-vous revendicatif et festif?
Le 1er-Mai n’est pas la propriété des syndicats. Il s’agit du jour férié dédié à tous les travailleurs. Le LSAP demeure un parti ouvrier socialiste qui s’engage pour l’ensemble des salariés.
Le 1er-Mai est donc aussi un jour de fête pour le LSAP, mais aussi pour tous les autres partis qui s’engagent pour les intérêts de la population active. Le camp politique est dans sa très grande majorité conscient de l’importance sociétale des travailleurs.
Redoutez-vous néanmoins les attaques à venir? Ou, autrement formulé, allez-vous assister à la manifestation du 1er-Mai de l’OGBL?
Il est évident que le contexte de ce 1er-Mai est un peu particulier. Je suis conscient que l’un ou l’autre discours va être plus « chaud« . Cela ne va pas m’empêcher d’assister au « Worker’s Memorial Day« organisé (samedi) par la section locale de l’OGBL.
Je vais également me rendre à la fête des Cultures et du Travail. Il s’agit non seulement d’une obligation en tant que ministre du Travail, mais en plus, je n’ai pas peur de la confrontation ni de m’entretenir avec des gens aux avis divergents.
Vous venez de dépasser le cap symbolique des 100 premiers jours comme ministre. Quelques semaines à peine après votre arrivée au gouvernement, on a assisté au retour de la guerre en Europe et ses répercussions multiples, y compris pour le Luxembourg. Avez-vous, malgré tout, réussi à trouver vos marques?
Le ministère du Travail est un portefeuille majeur. Je ne veux pas non plus manquer de mentionner le ministère des Sports, un ressort qui n’est pas à négliger. Il est vrai que j’étais président de la commission parlementaire du Travail avant d’intégrer le gouvernement.
Être ministre est cependant encore une tout autre paire de manches. Vous vous devez de connaître les dossiers à la lettre près. Je ne cache pas qu’il me reste encore du travail. J’attache aussi beaucoup d’importance aux larges échanges avec mes conseillers.
En dépit du lourd contexte marqué par la pandémie et la guerre, le chômage est à son plus bas depuis 2009. Ne s’agit-il pas d’un trompe-l’œil au vu des incertitudes qui planent sur le Luxembourg et l’Europe?
Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un trompe-l’œil. Les chiffres sont réels, il n’y a rien d’artificiel dans ce bilan. Je préfère néanmoins aborder une situation de crise en partant d’un niveau aussi bas. Avec un taux de chômage de 4,7 %, nous sommes très proches du plein-emploi qui correspond à un taux de 4 %.
Il sera compliqué de faire baisser encore le nombre de demandeurs d’emploi, en dépit des quelque 12 000 postes qui sont à pourvoir. On pourrait maintenant dire que l’on va octroyer ces emplois aux 15 000 personnes au chômage avec à la clé plus que 3 000 personnes inscrites à l’Adem. Mais ce n’est pas si simple, loin de là.
Comment expliquer ce déséquilibre entre offres d’emploi et candidats adéquats?
Les personnes qui se retrouvent au chômage doivent bénéficier de formations continues pour acquérir de nouvelles compétences et, donc, mieux correspondre aux profils recherchés.
Il nous faut trouver de nouvelles voies de formation. En même temps, il faut admettre que certains demandeurs d’emploi ne vont plus pouvoir réintégrer le marché de l’emploi.
Vous faites allusion au chômage de longue durée?
Entre 40 % et 50 % des personnes inscrites à l’Adem sont depuis plus d’un an au chômage. Il faut être conscient de la difficulté de recaser ces gens. Cela ne veut pas dire que tout espoir est perdu. Je ne souhaite pas être fataliste, mais il faut regarder la vérité en face.
Jeudi, à la Chambre, le débat sur une réduction du temps de travail a refait surface. Vous avez annoncé commander une étude sur cette question. Pourquoi?
Il existe une discussion sur la flexibilisation des heures de travail. Une autre concerne la réduction du temps de travail. Les intérêts divergent. Le patron peut voir dans la flexibilité une possibilité de faire travailler davantage ses employés. L’employé, par contre, imagine plutôt pouvoir travailler moins. Il faut donc d’abord s’accorder sur ce dont on parle. L’étude doit permettre de rendre le débat plus objectif.
La réduction du temps de travail peut à la fois être bénéfique pour le salarié et le patron
Où voyez-vous les avantages d’une réduction du temps de travail?
La réduction du temps de travail peut à la fois être bénéfique pour le salarié et le patron. Travailler moins d’heures peut amener un surplus de motivation aux salariés pour accomplir leur tâche de travail en moins de temps. Travailler moins aide aussi à réduire l’impact sur la santé physique et mentale. Et puis, il ne faut pas oublier que l’on travaille bien plus d’heures au Luxembourg que dans nos pays voisins.
Pour pérenniser l’attractivité du Grand-Duché, il faut disposer d’un surplus. Une réduction du temps de travail peut venir compenser les inconvénients qui existent pour venir travailler au Luxembourg. Je pense à la mobilité, mais aussi aux prix extrêmement élevés pour se loger.
Quelle importance accordez-vous, dans ce contexte, au télétravail?
Le télétravail possède sans aucun doute des aspects positifs. Il y a deux ans, personne n’aurait cru que le télétravail, qui pointait alors aux alentours de 10 % ou 15 %, allait quasiment se généraliser. Il ne va plus disparaître des mœurs.
Une autre organisation de la vie professionnelle et privée devient possible. Il existe toutefois aussi des inconvénients. La cohésion d’équipe ou les contacts entre collègues en pâtissent. Je reste donc d’avis qu’il faudrait limiter le télétravail à un maximum de deux jours par semaine. Il faudrait aussi fixer des jours de présence obligatoire.
Est-il envisagé de prolonger, voire de renégocier, les contingents pour permettre aux frontaliers de travailler davantage de jours à distance?
Il est du ressort de la ministre des Finances de mener ces négociations. Offrir plus de jours de télétravail aux frontaliers peut profiter à tout le monde. Néanmoins, je suis d’avis qu’il sera plus compliqué de convaincre nos pays voisins de faire des concessions supplémentaires en cette période de postpandémie.
Le patronat n’a pas tardé à fustiger les plans pour réduire le temps de travail. Il en va de même pour d’autres avantages à accorder aux salariés. Comment peut-on résoudre ce blocage?
Un élément de l’étude sera d’amener des réponses aux interrogations qui se posent. L’idée est de développer des pistes pour écarter les craintes. Le programme de coalition prévoit que le travail sur de nouvelles formes de travail doit se faire avec les partenaires sociaux. Je compte bien respecter ce principe. De préférence, j’aimerais que cette étude soit finalisée et publiée avant la fin de la législature en cours.
Le camp patronal aime aussi souligner que les salaires au Luxembourg sont parmi les plus élevés au monde. Pourtant, le taux de pauvreté augmente et le phénomène des « working poor » s’accentue. Quels sont vos moyens pour contrebalancer cette tendance négative?
Ce gouvernement a procédé à une hausse du salaire social minimum qui est venue s’ajouter à l’adaptation bisannuelle au prix de la vie. La dernière augmentation était de 2,8 %, la prochaine interviendra en janvier prochain. Je ne suis pas d’avis que le salaire social minimum soit trop peu élevé.
Ce qui accentue les phénomènes que vous venez d’évoquer est la flambée des prix du logement. Si vous devez consacrer 50 % de votre revenu pour se loger, votre salaire doit être assez conséquent pour pouvoir vivre dignement.