Le Rwanda commémore à partir de dimanche les 25 ans du génocide de 1994. Alors qu’au Luxembourg les initiatives se multiplient pour lutter contre les violences sexuelles en zone de conflit, tel le forum «Stand Speak Rise Up !» ou le projet Zero Impunity, des études évaluent à plus de 250.000 le nombre de femmes violées pendant le génocide au Rwanda. La ministre de la Famille constitua alors des bataillons de violeurs à la tête desquels elle plaça son fils.
Au Rwanda, en 1994, Pauline Nyiramasuhuko est une femme puissante. Elle est l’amie de toujours d’Agathe, l’épouse du président, le général hutu Juvénal Habyarimana. Aussi, cette fille de petits cultivateurs de la préfecture de Butare, née en 1946, gravit vite les échelons au ministère des Affaires sociales qu’elle intègre dans les années 60.
De son union avec Maurice Ntahobali, futur ministre et président de l’Assemblée nationale, naissent quatre enfants parmi lesquels Arsène Shalom, dont sa mère fera en 1994 le chef de bandes d’assassins et violeurs écumant la préfecture de Butare.
Dirigeante de premier plan du Mouvement républicain pour la démocratie et le développement (MRND), le parti présidentiel, Pauline Nyiramasuhuko devient ministre de la Famille et de la Promotion des femmes en 1992, dans un gouvernement d’union nationale, formé pour mettre fin au conflit opposant depuis deux ans l’armée régulière à la rébellion du Front patriotique rwandais (PFR).
Butare résiste à la folie meurtrière
Mais lorsqu’au soir du 6 avril 1994, l’avion transportant le président Habyarimana est abattu au-dessus de la capitale Kigali, c’est au côté des extrémistes du régime que se range Pauline Nyiramasuhuko. Elle est confirmée dans son poste par le gouvernement intérimaire qui coordonne le génocide. Pour les idéologues du Hutu Power, l’attentat est le signal attendu d’un massacre planifié qui fera un million de morts en trois mois, décimant la majorité des Tutsis du Rwanda.
Toutes les régions du pays ne basculent pas unanimement dans la folie meurtrière. À Butare, grand centre universitaire, le préfet, un Tutsi, parvient à maintenir le calme. Il le paie de sa vie quand Pauline Nyiramasuhuko, présentée en exemple de réussite locale, y est chargée d’une campagne de «pacification».
À son arrivée, elle commande aux Interahamwe, «ceux qui tuent ensemble». Elle exhorte les habitants à participer aux massacres. Le premier a lieu le 25 avril, dans un stade où se réfugient des milliers de Tutsis, encouragés à s’y rendre par des messages diffusés depuis des voitures munies de haut-parleurs. On leur dit qu’ils y seront pris en charge par la Croix-Rouge. C’est un piège. Pauline Nyiramasuhuko supervise le carnage. «Avant de tuer les femmes, vous devez les violer», ordonne-t-elle.
Quand les bulldozers viennent ensevelir les corps, elle quitte le stade et rejoint un enclos où des Interahamwe gardent 70 femmes tutsies. Les miliciens refusent de les violer. Elle leur ordonne de les asperger d’essence et de les brûler vives.
«C’est elle qui donnait les ordres»
Tout au long du génocide, Pauline Nyiramasuhuko appelle au viol des femmes tutsies.
La plupart sont torturées et tuées. D’autres sont maintenues en vie pour devenir des esclaves sexuelles. Elle place son fils de 24 ans à la tête de bataillons de violeurs et assassins d’un genre particulier : des malades du sida, extraits de leur hôpital pour contaminer les femmes tutsies, afin de leur infliger une mort «lente». Ainsi, 70 % des femmes ayant survécu aux viols ont contracté le virus du sida.
Dès le début des années 90, Pauline Nyiramasuhuko fait partie des propagandistes qualifiant les femmes tutsies de tentatrices, de prostituées et de perverses sexuelles.
«Je ne comprends pas qu’une femme qui a donné la vie ait pu inciter des gens à violer d’autres femmes», disait Rose en 2011 au journal Libération. Cette survivante fut détenue et violée pendant trois mois, après avoir assisté à la lapidation de son mari et au meurtre de sa fille de deux ans, préalablement torturée. «C’est elle qui donnait les ordres», raconte un autre témoin devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), instauré par l’ONU à Arusha, en Tanzanie.
Cachée au Kenya
Lorsqu’en juillet 1994, les troupes du FPR prennent le contrôle du pays, elle fuit à Bukavu, au Zaïre voisin (actuelle RDC). Avec d’autres génocidaires, elle se cache ensuite au Kenya où elle est arrêtée en juillet 1997, quelques jours avant son fils qui tient une épicerie à Nairobi.
Face aux magistrats du TPIR, elle nie son implication. Elle tient tête. Licenciée en droit de l’université francophone de Butare, elle refuse de s’exprimer dans une autre langue que le kinyarwanda, dont l’interprétation parfois complexe nourrit d’incessantes polémiques entre défense et accusation. Elle a perdu de sa superbe mais veut toujours manipuler son auditoire. Elle sourit au public présent aux audiences, se drape dans l’habit traditionnel des femmes rwandaises. Son fils et quatre autres prévenus, dits du «groupe Butare», comparaissent à ses côtés.
En 2011, dix ans après le début de son procès, Pauline Nyiramasuhuko est la première femme condamnée pour génocide et crime contre l’humanité. À perpétuité. En 2015, en appel, la sentence est ramenée à 47 ans de détention. Âgée aujourd’hui de 73 ans, elle purge sa peine aux côtés d’autres responsables du génocide dans une prison au Mali, où ils ont été transférés à l’issue de leur procès.
Fabien Grasser