Le personnel de santé, national ou humanitaire, est à bout de souffle mais continue de soigner dans des conditions terribles les blessés qui affluent chaque jour. Deux médecins de MSF, rentrés de mission, témoignent.
«Même si je connaissais à l’avance les conditions désastreuses qui règnent à Gaza, j’ai été choqué de voir tout ce qui était en ruine et les gens qui cherchaient de la nourriture sous les décombres et faisaient des queues interminables pour obtenir un peu de pain.»
Le Dr Aldo Rodriguez est chirurgien pour Médecins sans frontières. Durant les mois de novembre et décembre, il a effectué une mission de près de cinq semaines dans la bande de Gaza, notamment au sein des hôpitaux Nasser à Khan Younès et Al-Aqsa à Deir el-Balah, situés réciproquement dans le sud et dans la zone médiane du territoire.
Là-bas, il a pratiqué entre 20 et 25 opérations chaque jour, de la chirurgie de guerre, particulièrement des amputations, et sur un très grand nombre d’enfants.
«J’ai eu affaire à de très jeunes patients qui étaient les seuls survivants de leur famille. Des enfants âgés d’un ou deux ans, sans bras, sans jambe. À Gaza, c’est une population jeune et plusieurs centres de réfugiés, qui abritent surtout des femmes et des enfants, ont été touchés par des bombardements. La situation est d’autant plus dramatique qu’une fois le travail chirurgical terminé, ils n’ont nulle part où aller. Même s’ils peuvent aller mieux physiquement, ils sont détruits mentalement», témoigne le médecin. Chirurgien humanitaire aguerri – il a déjà effectué des missions en Afghanistan, en RDC, en Centrafrique ou encore au Soudan du Sud –, le Dr Rodriguez relève d’ailleurs cette particularité de la guerre à Gaza : «Le nombre de civils affectés, et notamment le nombre d’enfants, est vraiment énorme».
Même s’ils peuvent aller mieux physiquement, ils sont détruits mentalement
Il rapporte également les conditions terribles dans lesquelles travaille le personnel de santé en Palestine à l’heure actuelle et le sentiment d’abandon que même les plus optimistes d’entre eux ressentent.
«Le bourdonnement des drones utilisés par Israël pour surveiller l’enclave peut être entendu sans interruption, de jour comme de nuit. C’est un bruit fort et stressant. Il y a aussi les bombes, qui tombent régulièrement autour des hôpitaux», décrit-il.
Opérations sans sédation
Les hôpitaux ne sont actuellement plus directement la cible de bombardements, mais une bombe tombée à proximité (même à un kilomètre) peut avoir des conséquences sur le bâtiment et ses patients (murs qui tremblent, vitres soufflées…). Pour prévenir les risques, MSF et les autres ONG envoient les coordonnées GPS des centres dans lesquels ils interviennent aux deux parties, mais cela ne garantit pas leur sécurité, comme l’a encore prouvé l’attaque mercredi contre un bâtiment de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) à Khan Younès, abritant des déplacés. Les tirs de char ont fait au moins neuf morts et 75 blessés.
Israël avait justifié des interventions dans les hôpitaux par la possibilité que des combattants du Hamas y aient trouvé refuge. «J’ai circulé librement à l’intérieur des hôpitaux. Le temps de ma mission, je n’y ai jamais vu d’armes ou de combattants», affirme le Dr Rodriguez.
Il faut au demeurant rappeler que le droit international oblige à soigner tous les patients, sans faire de distinction. Par contre, ce droit interdit de prendre pour cible les hôpitaux, les ambulances et le personnel de santé.
Or, selon l’OMS, entre le 7 octobre et le 21 décembre, 286 travailleurs de santé ont été tués dans la bande de Gaza et 57 ambulances ont été touchées. «C’est une violation du droit international humanitaire!», réagit le chirurgien.
Les hôpitaux sont surchargés, confirme-t-il par ailleurs, chaque jour amenant ses dizaines de blessés supplémentaires : «L’hôpital Al-Aqsa, le seul hôpital à fonctionner partiellement dans la zone médiane de Gaza, compte 650 lits, alors qu’il a une capacité de 200 places.» Dans ces conditions, impossible de soigner les maladies chroniques et dégénératives ou les diarrhées et infections de la peau en pleine expansion.
Quant au matériel, comme de nombreuses ONG l’ont déjà martelé, il manque cruellement, et les camions humanitaires qui sont parfois autorisés à pénétrer dans la bande sont bien insuffisants :
«Avant le 7 octobre, 300 camions d’aide entraient régulièrement dans la bande de Gaza. Là, on en laisse passer une quarantaine de temps en temps, alors que les besoins sont énormes. Il faut tout optimiser. Et déjà en décembre, les médicaments postopératoires étaient en rupture totale : il n’y a plus de morphine ou de tramadol», désespère le Dr Aldo Rodriguez.
À quoi s’ajoutent «les coupures d’électricité et des communications, le manque de nourriture et d’eau. C’est catastrophique. Il n’y a pas que les victimes du bombardement, on assiste aussi à la déshumanisation de la population».
Mais si la situation est dramatique dans le sud de la bande, «c’est deux fois pire dans le nord», alerte le Dr Rodriguez. L’accès au nord de la bande de Gaza est en effet toujours impossible, l’armée israélienne bloquant le passage au checkpoint de Wadi Gaza. Les humanitaires parviennent parfois à obtenir des informations de certains de leurs collègues palestiniens restés là-bas. «Les hôpitaux ne sont plus ou quasiment plus fonctionnels. Ils opèrent avec des lampes frontales, sans anesthésie.»
Cessez-le-feu immédiat
Le Dr Thomas Lauvin, médecin et coordinateur pour MSF, a également effectué une mission à Gaza, plus précisément à Rafah, ville à la frontière avec l’Égypte, de laquelle il est rentré début janvier.
Dans cette ville qui compte à l’origine quelque 150 000 habitants, s’entassent désormais entre 1,5 et 2 millions de personnes. «Il y a cet énorme déplacement de population. Les gens, effrayés, sont comprimés dans cette ville entre des combats et une frontière qui ne s’ouvre pas, dans des conditions sanitaires déplorables. Ils dorment dehors, alors qu’il peut faire -5 °C la nuit.»
Lui aussi décrit une situation «catastrophique», des besoins «gigantesques». «J’ai vraiment été frappé par l’état de choc dans lequel se trouve un grand nombre de personnes, y compris des enfants. Ils sont hagards, ils ne parlent pas. On ne voit plus rien dans leurs yeux.
Il ajoute : «Il reste des professionnels de santé palestiniens, Gaza n’est pas un désert médical. Mais le besoin est tel que ce qu’on peut apporter est dérisoire. Et penser qu’on peut répondre à ces besoins par plus d’aide d’humanitaire, c’est du fantasme. Sans arrêt des combats, ce sera impossible. C’est pour cela qu’on demande un cessez-le-feu immédiat. Ce n’est pas une question de principe, c’est un appel urgent et désespéré.»