À la tête de trois établissements, dont l’étoilé Grünewald Chef’s Table, Clovis Degrave vient à nouveau d’être récompensé pour son travail. Le «Gault&Millau Luxembourg» l’a sacré chef de l’année 2026.
Clovis Degrave est un chef heureux. Nous avons échangé avec lui, quelques jours après que le Gault&Millau lui a décerné le prix de chef de l’année et l’a décrit comme «créatif, persévérant ayant le sens de l’entrepreneuriat». Une «bonne surprise» pour le chef de 35 ans, qui avoue ne pas s’y être attendu : «Certains, peut-être, l’attendent, mais pour moi cela a été une vraie surprise et un grand plaisir. Lorsque l’un des deux grands guides se concentre sur vous, c’est qu’il y a une raison, donc ça fait vraiment plaisir!»
Il partait pourtant avec un «a priori de chef». «Je suis peut-être le seul chef à avoir trois restaurants et je me suis toujours demandé si les guides réussiraient à faire la part des choses et à détecter la partie gastronomique de notre Chef’s Table», confie Clovis Degrave. Mais le jeune chef est soulagé : le Gault&Millau comprend l’importance des équipes dans les restaurants gastronomiques. «Il n’y a aucun chef de cuisine qui est tout seul. Les grands chefs arrivent à monter ce type de restaurants grâce à des équipes entières et à la collaboration.»
S’il faut un leader pour donner la direction, il faut aussi des personnes pour exécuter et apporter leurs idées. Un aspect qui lui tient à cœur, et qu’il démontre grâce à son concept de cuisine ouverte : «Les gens voient exactement le travail d’une équipe. Il n’y a pas qu’une seule personne qui cuisine, mais plusieurs personnes qui font les cuissons et qui dressent, et moi qui coordonne tout ça, un peu comme un chef d’orchestre», détaille le chef.
«Travailler bien et sérieusement»
Mais pour en arriver là, il y aura quand même fallu quelques étapes. La première : découvrir sa vocation. «Ce n’est pas à l’enfance en cuisinant des petits plats avec ma grand-mère que j’ai découvert un plaisir pour la cuisine, plaisante Clovis Degrave, mais en arrivant à l’école hôtelière à 15 ans, où j’ai apprécié travailler les produits et créer des recettes.» Selon lui, l’école est «nécessaire» pour évoluer rapidement dans la cuisine. «Bon, entre les plats de l’école et maintenant, il y a quand même une grande différence», sourit-il.
Après ça, Clovis Degrave a vite travaillé au Luxembourg. À seulement 22 ans, il est devenu le chef du restaurant Le Sud. «C’était rapide, il n’y a pas beaucoup de chef à 22 ans à qui on donne un restaurant toujours bien fréquenté avec de grosses équipes… C’était un gros challenge, mais j’ai continué à faire et faire, et ça a porté ses fruits», se remémore le jeune chef. Si bien qu’à 27 ans, il a pu ouvrir son propre restaurant bistronomique avec sa compagne. «Nous avons repris l’Hostellerie du Grünewald en 2017, c’est une véritable institution, elle existe depuis 1922.»
C’est grâce à ce premier établissement que le reste a pu s’enchaîner. S’il ne se voyait pas ouvrir un restaurant gastronomique à 27 ans, en termes de moyens économiques mais aussi de maturité psychologique et culinaire, l’Hostellerie lui a permis d’acquérir tout cela et de «tester la clientèle locale». Une fois prêt, il a pu ouvrir son gastro, le Chef’s Table, un «restaurant d’exception» qui a obtenu une étoile Michelin plus tôt dans l’année. Et en 2024, il a ouvert son troisième établissement, la brasserie «chic» Maison B. «Tout s’est bien goupillé, mais s’il y a toujours une part de chance, il y a aussi un facteur travail. En travaillant bien et sérieusement, ça va dans la bonne direction. Mais il faut garder son sérieux tout le temps et gagner la confiance des gens», appuie Clovis Degrave.
Une cuisine moderne inspirée d’ailleurs
Comment définir la cuisine de Clovis Degrave? «Les guides la qualifie de cuisine moderne», répond le chef. Selon lui, elle se traduit avant tout par un travail minutieux autour des sauces. «Chez nous, on prend beaucoup de temps à faire les sauces. Dans certains plats, il y en a trois ou quatre différentes qui se mêlent, raconte-t-il. Avant, on mettait une sauce pour un plat. Aujourd’hui, j’aime bien cumuler, jouer sur les contrastes, les textures.» Entre respect des «beaux» produits et audace gustative, il assume une approche à la fois classique et inventive : «Quand je travaille un turbot sauvage, je vais lui ajouter une sauce un peu funky, ou une sauce au coquillage, au caviar…»
Sa signature? Des associations franches, assumées, qui ne laissent pas indifférent. «Quand on part sur une inspiration orientale ou thaï, on y va à fond! Il faut que ça ait du peps, que le client s’en souvienne.» Pour lui, la mémoire d’un plat se joue dans la clarté de la saveur : «Si on met du piquant, il faut qu’il se sente.» La cuisine du chef se nourrit avant tout d’ailleurs. «Dès que je voyage quelque part, j’essaie de prendre des inspirations, surtout au niveau des saveurs», confie-t-il. Voyager, goûter, puis retranscrire ces émotions : c’est comme ça qu’il fait «parler» ses assiettes. «Faire voyager les gens à travers les plats, c’est leur amener un souvenir.»
La fin d’année s’annonce intense pour le chef et ses équipes, entre fêtes d’entreprise et célébrations de Noël. «Pour 2026, on va surtout se concentrer sur nos trois établissements, les consolider et maintenir la qualité», confie-t-il. Pas question de se disperser, même si les propositions ne manquent pas. Un nouveau projet pourrait toutefois voir le jour : un service traiteur haut de gamme, inspiré de l’esprit de la Chef’s Table. «On veut proposer une offre différente, plus exclusive, sans marcher sur le travail de nos confrères.» Et, à long terme, l’un de ses rêves culinaires pourraient prendre vie : un restaurant où tout est cuit au feu de bois.

Si le Luxembourg est intéressant pour un guide comme le Gault&Millau, c’est parce que la scène gastronomique y est «dynamique», selon Laurent Fery, directeur du Gault&Millau Luxembourg. «Nous avons rentré 15 nouvelles adresses au Luxembourg cette année, ce qui est, proportionnellement aux nouvelles adresses en Belgique, deux fois plus», souligne-t-il. Il note également une dynamique grandissante des nouveaux chefs, que le guide accompagne d’ailleurs grâce au titre de «jeune chef de l’année», cette année remporté par Archibald De Prince, responsable d’un hôtel-restaurant à Echternach.
La singularité du Luxembourg, c’est sa multiculturalité «plus riche et condensée». «Il y a un grand mix gastronomique. Les chefs viennent d’horizons très différents, on a des chefs de France et de Belgique, mais aussi des chefs italiens ou ukrainiens», se réjouit Laurent Fery. Pour lui, ce «brassage culturel» mène constamment à de nouvelles découvertes. «Mais on a aussi une gastronomie luxembourgeoise, il ne faut pas l’oublier, qui elle aussi peut être élevée au rang de haute gastronomie, comme c’est le cas au Lys avec le chef Kim de Dood.»
Des chefs de l’année aux profils très divers
Cette diversité se retrouve, aussi, dans les profils des chefs de l’année élus par le Gault&Millau. «Il n’y a pas de profil type au Luxembourg, rien qu’avec un seul chef il peut déjà y avoir plusieurs styles de cuisine différents», souligne Laurent Fery. Le chef de l’année 2021 en est un bon exemple, selon le directeur : «René Mathieu a changé de direction après des années de carrière et est passé au végétal.» Le guide a félicité son travail de «quintessence» du produit.
Après lui sont passés Roberto Fani et Ryodo Kajiwara, respectivement un Italien ayant élevé sa cuisine au rang de haute gastronomie et un Japonais au «concept fabuleux». En 2024 et 2026, place aux jeunes chefs, avec Louis Linster et Clovis Degrave, qui ont tous deux une «autre idée de la gastronomie» où l’intelligence des équipes est au centre. Entre eux, en 2024, c’est un chef plus âgé, François Jagut, qui a été élu grâce à son «dépoussiérage» du restaurant Les Roses au Casino 2000 de Mondorf.
À la tête des cuisines du K de Montenach depuis son ouverture en 2017, Benoît Potdevin a su rapidement imposer son style : «J’aime le terroir, je travaille exclusivement avec des producteurs du secteur. J’ai la chance d’avoir cochons, canards et oies sur place. Tout est frais, de saison, on a même de la truite ici.» Le foie gras est local tout comme le miel. Le restaurant se situe dans le Domaine de la Klauss, un hôtel-spa 5 étoiles, qui vient de s’illustrer lors des World Luxury Awards, décrochant quatre prix dont celui d’hôtel le plus romantique du monde. Le K s’est lui aussi démarqué avec deux trophées dont celui de meilleure cuisine contemporaine d’Europe.
En 2024, Le Guide Michelin a décerné sa première étoile au K, la cerise sur le gâteau pour le chef trentenaire : «C’est la reconnaissance du labeur. Cela a mis en lumière la Moselle, mais aussi mon équipe. Moi je suis pour le travail passion, pour la bonne humeur. Je ne suis pas un chef donneur d’ordres et je pense que ça fonctionne bien ainsi. En cuisine, c’est carré évidemment mais on reste des humains.»
La carte de l’établissement gastronomique est régulièrement réinventée pour suivre les saisons et les envies gourmandes du chef, dont le savoir-faire s’est forgé dans différentes maisons étoilées. Actuellement, dos de cerf, tourteau, Saint-Jacques et figues figurent au menu à partir de 130 euros. Vous en avez l’eau à la bouche? Il est possible d’y dîner du lundi au samedi soir sur réservation, mais attention, pour espérer s’y rendre un samedi, il faudra patienter jusqu’en février.
(Le Républicain lorrain)