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[BD] «Friday» : les mystères de l’étrange et de l’amour


L'œuvre a été récompensée par le prix Eisner 2021 de la meilleure série numérique. (Photo : Glénat)

L’auteur américain Ed Brubaker mélange le récit fantastique à la Lovecraft à une histoire d’amour sur fond d’enquête, dans une série glaciale et noire à la croisée des âges.

Imaginez un instant, dans une intrigue de Scooby-Doo, que Fred, le grand blond, déclare sa flamme à Daphné, la jolie rousse. Ou que dans une aventure épique du Club des cinq, entre une chasse au trésor et la visite glaçante d’une maison hantée, il est question de baisers volés et d’amour de vacances.

Difficile d’y croire, car tous ces héros de fiction ne vieillissent jamais. Ils restent figés dans le temps, éternels adolescents, comme le monde qui les entoure. Rien ne change, en dehors des enquêtes, avec ses faux monstres et ses vrais malfaiteurs.

H. P. Lovecraft pour référence

Plus jeune, l’Américain Ed Brubaker s’est nourri jusqu’à plus soif de ces histoires. Il les énumère : The Great Brain, Harriet l’espionne ou Bobby-la-Science.

Mais il rêvait depuis longtemps d’autre chose, de plus ambitieux : faire grandir ces personnages, les sortir de leur confort d’enfants et les conforter à la réalité des adultes, celle où les sentiments sont plus dangereux que les créatures maléfiques qui hantent les bois… Friday, comme il le définit lui-même, serait donc un «roman graphique post-YA» (pour «Young Adult»), genre «qui n’existe pas vraiment», selon lui.

L’auteur, scénariste réputé outre-Atlantique notamment pour sa participation à la série de HBO Westworld et à celle de Nicolas Winding Refn (Too Old to Die Young), quitte ici les polars pessimistes, peuplés de gueules cassées et de marginaux qui ont fait son succès (Pulp, Criminal, Reckless…) pour s’essayer au fantastique et à l’horreur postadolescent, comme s’il combinait Stranger Things et Stephen Kings. Lui défend toutefois deux autres références : H. P. Lovecraft et l’illustrateur Edward Gorey, à la plume noire.

Sherlock Holmes et docteur Watson en format de poche

Rien d’étonnant de se retrouver alors en Nouvelle-Angleterre, dans ce qui s’apparente aux années 1970. On découvre Kings Hill, son phare et ses vieilles baraques entourés de brume. Sans oublier sa forêt, «haut lieu du folklore local» avec ses complots occultes et ses bêtes nichées dans l’ombre.

C’est là que Lancelot Jones et Friday Fitzhugh se sont fait une réputation : celle d’être inséparables et de déjouer tous les mystères! Le premier, sorte de «génie de la ville», mise sur son intuition et son cerveau. La seconde, elle, lui apporte son courage, sa ténacité et parfois ses poings. En somme, Sherlock Holmes et docteur Watson en format de poche!

Depuis six ans et une rencontre au collège, aucune intrigue ne leur résiste. Mais le temps passe, et la vie change. Vite. Si Lancelot est resté fidèle à leur repère de détectives, menant ses investigations en compagnie du shérif Bixby, Friday, elle, est partie à l’université et revient pour les vacances avec l’intention de dénouer une autre affaire, bien plus cruciale : pourquoi se sont-ils embrassés avant son départ, même maladroitement?

Sur place, elle est pourtant entraînée dans une nouvelle enquête, la plus complexe et la plus dangereuse qu’ils aient connue : celle d’une dague antique qui possède les esprits avec, en retrait, une inquiétante «dame blanche»…

Ed Brubaker joue avec l’horreur invisible

L’histoire, prévue en trois tomes (le prochain est programmé pour septembre); est sortie en version anglaise sur la plateforme Panel Syndicate, où aucun prix n’est fixé, mais laissé à la libre décision du lecteur.

Une œuvre, récompensée par le prix Eisner 2021 de la meilleure série numérique, qui profite de la patte austère de Marcos Martin au dessin (qui surprend avec ses protagonistes aux visages «écrasés»), et du style «old school» de Muntsa Vicente à la couleur. Avec eux, le climat est glacial et les frissons de circonstance.

Dans ce récit aux frontières du réel, Ed Brubaker porte un soin particulier à brosser le caractère de ses personnages et l’ambiance des lieux (comme le détaille un cahier graphique en fin d’ouvrage). Et, comme il l’explique, plutôt que de montrer des «monstres à tentacules», il préfère jouer avec l’horreur «invisible», celle qui se tapit dans les souvenirs et les obsessions.

Coincée entre le Bien et le Mal, et bouleversée par ses sentiments à fleur de peau, Friday va devoir grandir plus vite que prévu, surtout au vu de la conclusion dramatique de ce premier volet. Ce n’est pas dans Les 4 As que l’on aurait vu ça.

Friday (t.1), d’Ed Brubaker, 
Marcos Martin et Muntsa Vicente.
Glénat.

L’histoire

Quand Friday Fitzhugh revient à Kings Hill pour les vacances de Noël, la neige tombe à gros flocons. Elle qui a passé son enfance dans cette petite ville à élucider des mystères en tout genre aux côtés de son meilleur ami, Lancelot Jones, pensait bien avoir tourné la page en entrant à l’université. Mais il lui suffit de le revoir pour se laisser embarquer dans une nouvelle aventure!

Petit prodige local mal-aimé de tous, ce garçon a toujours su résoudre les affaires les plus occultes de la région avec la bienveillance du shérif local. Pour autant, leurs retrouvailles n’ont rien d’idyllique et malgré le lien fort qui les unit, les non-dits subsistent…