L’ADR se voit comme la seule véritable alternative crédible aux grands partis. Fred Keup estime que le franc-parler des siens, notamment sur le modèle de croissance, va permettre de remporter cinq sièges et plus.
Après des élections communales couronnées de succès, l’ADR se dit confiant quant à sa capacité à sortir également renforcé du scrutin national. Pour Fred Keup, la tête de liste nationale, les récents remous en interne ne vont pas nuire à la dynamique. Le programme du parti est axé sur la croissance, le logement, la sécurité et la famille.
L’ADR aborde la campagne électorale avec le slogan « Lëtzebuerg gär hunn », soit « Aimer le Luxembourg ». Pourquoi avoir effectué ce choix ?
Fred Keup : Il s’agit d’un slogan très authentique qui correspond pleinement à l’action de l’ADR. Nous sommes un parti qui aime le Luxembourg. C’est notre marque de fabrique. Le fait de s’engager pour une cause qui colle à votre profil, est plus largement honoré par les gens.
Un certain « désamour » était par contre à déceler lors de la composition de vos listes de candidats, avec une polémique dans le Nord, la démission de Roy Reding et la mise à l’écart d’un candidat dans l’Est, ayant partagé des positions extrémistes sur les réseaux sociaux. Est-ce que ces tensions en interne ont écorné l’image de l’ADR ?
Vu de l’extérieur, ces épisodes ont peut-être été mal jugés par les médias. Lors de cette période, nous avons réussi à recruter 41 nouveaux membres alors que seules 11 personnes ont décidé de nous tourner le dos. Dans le cas de Roy Reding, il faut rappeler que c’est le parti qui a décidé de ne plus le nommer comme candidat. Dans le Nord, c’est également le parti qui n’a pas retenu la candidature d’une personne qui voulait à tout prix figurer sur la liste. En interne, tout cela a plutôt été un non-évènement. La nouvelle dynamique, qui s’est créée lors des élections communales, est toujours présente.
État civil. Fred Keup est né le 15 mai 1980 à Luxembourg (43 ans). Le président du FC Kehlen est marié et père de deux enfants.
Formation. Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires au lycée Michel-Rodange, Fred Keup entame des études à l’université de Strasbourg. Il décroche un master en géographie.
Profession. En 2003, Fred Keup commence sa carrière de professeur en géographie. Il quittera sa fonction au moment d’entrer à la Chambre des députés (octobre 2020).
Référendum. Fred Keup est le leader de la campagne pour le «non» au référendum constitutionnel de 2015 («Nee2015.lu»). Dans la foulée, il devient membre de l’ADR et se présente aux législatives de 2018.
Député-président. Le 14 octobre 2020, Fred Keup succède à Gast Gibéryen comme député. En mars 2022, le néo-élu est nommé président de l’ADR. Il mène aussi le parti aux élections législatives du 8 octobre.
Ne redoutez-vous pas que le nouveau mouvement politique créé par Roy Reding, baptisé « Liberté-Fräiheet », va coûter des voix à l’ADR ?
Je reste convaincu que nous allons pouvoir améliorer notre résultat de 2018 (NDLR : 8,28 % et 4 sièges). À chaque élection, de nouvelles formations se présentent, mais il est très rare que ces partis décrochent d’emblée des sièges. Je pense que l’ADR a été le dernier à le faire en 1989. La liste de Roy Reding ne me fait ni chaud ni froid. Un éclatement des partis rend néanmoins plus compliqué la tâche à l’électeur. Il est d’autant plus important que l’ADR sorte renforcé de ce scrutin. L’objectif doit être que le gouvernement tricolore sortant perde sa majorité.
En dépit de la « perte virtuelle » du quatrième siège, l’ambition de l’ADR reste bien de décrocher au moins 5 sièges, le seuil pour former un groupe parlementaire à part entière ?
Lors des communales, l’ADR a gagné plusieurs points de pourcentage au niveau national. Si l’on parvient à confirmer ce résultat aux législatives, on arrive dans des sphères qui peuvent nous permettre de décrocher 5, 6, voire 7 sièges. À la fin, des détails décideront, mais nous sommes convaincus de pouvoir le faire.
Pour gagner la confiance des électeurs, l’ADR mise sur ses thèmes de prédilection. À quoi va ressembler le mécanisme qui doit permettre de sortir de ce que vous considérez comme le « piège de la croissance » ?
La croissance extrême est à l’origine de toute une série de problèmes dans ce pays. Nous plaidons pour une croissance modérée. Il est difficile de décrire en quelques phrases le mécanisme que nous allons proposer. Mais on estime qu’il est très important d’impliquer les citoyens dans la discussion. Il faudra définir à quoi doit ressembler le pays dans 10, 20 ou 30 ans. Ce sont nous qui avons les choses en main. Si l’ADR réussit à intégrer le prochain gouvernement, on compte proposer un référendum sur le modèle de croissance. Le pays a besoin d’un débat sur la question.
On vous rétorque souvent qu’une croissance plus faible met en danger le financement des systèmes de sécurité sociale. Comment voulez-vous résoudre cette équation ?
On me pose cette question sans cesse, car la croissance est un de nos thèmes phares. Il serait aussi intéressant de la poser aux autres partis. J’ai l’impression que la plupart d’entre eux préfèrent la politique de l’autruche pour continuer à faire comme si de rien n’était. Mais le grand défi est, en effet, de découpler la sécurité sociale de la croissance économique et démographique du pays. Il est donc important de bien expliquer aux gens quels sont les enjeux. Mettre fin à la croissance extrême aura, à long terme, un effet bénéfique pour nos enfants. À plus court et moyen terme, il y aura par contre des effets négatifs, dans certains domaines, et pour certaines personnes seulement. Actuellement, beaucoup de gens se portent très mal, ce qui confirme que la forte croissance ne permet pas de résoudre tous les problèmes.
En interprétant bien vos propos, l’ADR ne va donc pas présenter de concept détaillé pour freiner la croissance du pays ?
Notre programme électoral va bien comprendre des solutions à envisager pour sortir, à plus court ou à plus long terme, de cette croissance extrême. L’idée est de soumettre aux gens une orientation sur laquelle ils seront invités à se prononcer.
Comment l’ADR compte agir contre les inégalités sociales que vous venez de mentionner ?
Le plus grand problème est le prix du logement. La forte croissance provoque cette flambée des prix, point à la ligne. On peut toujours rejeter la faute aux promoteurs, aux personnes privées qui refusent de vendre, clamer que leur seul objectif est de maximiser les profits, etc. Dans le détail, tout cela n’est pas faux, mais si l’on veut vraiment résoudre le problème du logement, il faut résoudre celui de la croissance.
La fiscalité est un autre enjeu majeur. Est-ce que l’ADR va aussi s’engager à rendre le système d’imposition plus équitable ?
Il est important de souligner d’emblée que la promesse de Luc Frieden (NDLR : tête de liste du CSV) de réduire les impôts pour tous n’est pas réaliste. Il s’est égaré, et je pense qu’il l’a compris. On se retrouve dans une situation où la marge de manœuvre financière de l’État est très petite. Une grande réforme fiscale ne semble pas possible. Cela n’empêche pas que l’on procède à des modifications ciblées. Une adaptation du barème à l’inflation et un soulagement des plus bas revenus sont nécessaires. La taxe carbone doit être abolie. On n’en a pas besoin.
La taxe carbone est un exemple pour illustrer votre conception fortement différente de la politique environnementale et climatique. Pourtant, l’ADR ne nie pas le besoin d’agir dans ce domaine. Quelles sont vos propositions ?
Il importe de ne pas imposer du haut vers le bas des mesures qui sont empreintes d’idéologie et qui n’apportent rien. La réalité est que si le Luxembourg n’existait pas, cela n’aurait aucun effet sur le climat. C’est pourquoi nous sommes opposés à l’interdiction du moteur thermique dès 2035. Il est mieux de créer des incitatifs pour économiser des ressources qui, indépendamment du climat, sont limitées et qui doivent donc être utilisées bon escient. Et puis, il faut aussi différencier la protection de l’environnement, qui est très importante, et la protection du climat, où l’on touche aussi à la politique énergétique. Miser exclusivement sur les renouvelables, comme le fait l’Allemagne, n’est pas réaliste. En Europe, il faut disposer de sources énergétiques fiables et à bon prix. Au moins pour une phase transitoire, on doit être ouverts à d’autres technologies, y compris les énergies fossiles et le nucléaire.
Dans le contexte géopolitique actuel, avec la guerre en Ukraine, envisagez-vous de rétablir la fourniture de gaz par la Russie ?
La guerre constitue une catastrophe économique et sociale pour le Luxembourg. Il est important que le conflit cesse le plus vite possible. Et même si cela peut paraître loin, l’Histoire nous enseigne que la réconciliation entre ennemis de guerre peut se faire très rapidement. J’espère le retour de la paix en Europe et la reprise du commerce avec la Russie.
De nombreux chrétiens-sociaux disent qu’ils souhaitent engager une plus forte collaboration avec l’ADR
L’ADR s’inquiète toujours pour la sécurité intérieure, sans toutefois plaider pour un nouveau corps de police communal. Où voyez-vous les leviers pour agir ?
Eurostat nous place en 5e position des pays avec le plus grand nombre d’agressions. Le Luxembourg a toujours été connu comme un petit État paisible. Désormais, on recommande aux gens de ne plus arborer de bijoux en rue, d’installer des systèmes d’alarme, etc. Tout cela est inédit. Il faut souligner en toute clarté que le Luxembourg est devenu moins sûr. Il nous faut renforcer les effectifs de police, mais aussi certaines lois. On plaide pour l’introduction de la comparution immédiate, mais aussi un contrôle renforcé des frontières, sachant que l’on est confrontés à une importante criminalité transfrontalière.
La défense du modèle de famille traditionnel est également une priorité de votre parti. Est-ce que cette position n’est pas hors du temps au vu de l’évolution de la société ?
Je ne parlerai pas de modèle traditionnel. On veut surtout donner le choix aux parents de garder leur enfant à la maison, et ce jusqu’à l’âge de 12 ans. Il n’est pas juste que les parents qui posent ce choix ne touchent pas d’aide financière. Le montant économisé par l’État au niveau des structures d’accueil est à reverser sous forme d’un « Elterengeld« . Les cotisations sociales seront également à déduire de cette allocation, faute de quoi on risque des situations de pauvreté liées à l’âge.
L’ADR se positionne comme la seule véritable alternative aux quatre grands partis. Vous voyez donc bien une niche dans laquelle s’engouffrer ?
Nous sommes un parti du courage. Il est plus simple de répéter ce que disent les autres. Notre chemin est peut-être plus cahoteux, mais il est aussi plus honorable. À la Chambre, DP, LSAP, déi gréng, mais aussi le CSV ou les pirates, ont défendu dans les très grandes lignes la même politique. Il est difficile de les différencier. Pour le débat politique et la démocratie, il est toutefois important d’avoir des avis divergents. Nous assumons cette tâche, comme le fait peut-être aussi déi Lénk.
L’ADR ne cache toutefois pas de vouloir former avec le CSV un prochain gouvernement. Est-ce que cela est vraiment concevable, sachant qu’aucun des grands partis se dit prêt à collaborer avec vous ?
Au sein du CSV, il existe plusieurs courants. Il n’est pas toujours très clair de savoir qui pense quoi, y compris chez Luc Frieden. En cette période électorale, on critique, si besoin, les autres partis. Mais en ce qui concerne les programmes, nous partageons certainement le plus de points avec le CSV. De nombreux chrétiens-sociaux disent qu’ils souhaitent engager une plus forte collaboration avec l’ADR. Cela correspondrait à la volonté de beaucoup de gens. D’ailleurs, le CSV n’a jamais exclu catégoriquement toute coopération avec nous. Ils se sont contentés de dire que cela semble compliqué. Je n’ai également pas entendu de « non« catégorique d’autres partis. Il faut être ouverts et trouver, lors de négociations de coalition, des compromis. Le cas échéant, l’ADR devra évaluer s’il veut continuer à être un fort parti d’opposition, ce qui est parfaitement possible, ou s’il est prêt à entrer dans un gouvernement.