En charge depuis peu du ministère qui frappe de plein fouet de l’Économie, Franz Fayot a rapidement dû se mettre au travail pour faire face à la crise du coronavirus les entreprises du pays et l’ensemble de l’économie.
Franz Fayot a succédé, en début d’année, à Étienne Schneider au ministère de l’Économie. Premier défi majeur pour l’ancien président du LSAP, le Covid-19.
L’entretien qu’il nous a accordé a été réalisé au mois de février, avant les récents événements en lien avec le coronavirus. Évidemment, nous l’avons adaptée en fonction de l’actualité et malgré son autoquarantaine depuis le 12 mars, après avoir croisé une personne infectée par le Covid-19, Franz Fayot a accepté de répondre à de nouvelles questions beaucoup plus en lien avec l’actualité du moment.
Vous êtes en quarantaine depuis jeudi soir. Comment allez-vous ?
Franz Fayot : Je me porte très bien ! Conformément aux consignes de l’Inspection sanitaire, je suis tout de suite rentré chez moi lorsque j’ai appris que j’étais en contact avec une personne qui s’est avérée positive. À l’instar des consignes d’hygiène, l’autoquarantaine est une mesure préventive que je me devais de respecter et d’appliquer à la lettre pour protéger mes collaborateurs et toutes les autres personnes que je fréquente. Confiné chez moi, j’ai dirigé les affaires et géré les dossiers du ministère depuis mon domicile, aussi en recourant à l’audio- et à la vidéo-conférence. D’ailleurs, comme le test de diagnostic du coronavirus s’est révélé négatif chez moi, je retourne sous peu au travail pour assurer une gestion de la crise efficace.
Comment le ministère de l’Économie s’est-il préparé à cette situation ?
Nous disposons en interne d’un plan de crise. Nous avons identifié toutes les personnes occupant un poste essentiel au bon fonctionnement du ministère, comme les services d’aide aux entreprises par exemple. Pour que ces départements continuent d’être opérationnels en temps de crise, il s’agit d’éviter autant que possible les contacts avec ces personnes : ces mesures vont de la séparation physique d’agents assumant les mêmes fonctions et occupant le même bureau, jusqu’au recours systématique au télétravail. En outre, pour éviter la propagation du virus, les agents du ministère évitent les réunions tant internes qu’externes, ainsi que les déplacements à l’étranger et les voyages de service.
La situation change de jour en jour voire d’heure en heure…
Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures pour lutter contre le coronavirus. Pouvez-vous faire un premier point sur son impact économique au Luxembourg ?
La situation change de jour en jour voire d’heure en heure. Mais ce qu’on peut déjà dire aujourd’hui (NDLR : samedi matin), c’est qu’à l’instar des autres pays, l’impact économique pour le Luxembourg sera sévère. Pour certains secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, l’événementiel, mais aussi pour certaines grandes entreprises industrielles, les conséquences seront même brutales.
Pour le moment, est-ce que des entreprises ont fait des demandes d’aides ou de chômage partiel ?
L’état actuel des demandes de chômage partiel pour cas de force majeure témoigne de la situation grave actuelle. Jusqu’à aujourd’hui, (NDLR : samedi matin), sur les 200 entreprises qui ont contacté le ministère de l’Économie, près de 160 ont déjà introduit une demande formelle en vue de bénéficier de cet instrument. Des milliers de salariés sont potentiellement concernés. Je rappelle que nous avons décidé que cet instrument s’appliquerait à tous les secteurs économiques dès lors que les causes invoquées sont directement à mettre en relation avec le coronavirus. En temps de crise, le chômage partiel est l’instrument idéal pour maintenir l’emploi et, par conséquent, éviter des licenciements à la suite de la baisse de l’activité économique.
Vu l’état d’urgence, Dan Kersch (NDLR : le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire) et moi-même avons convenu d’organiser mercredi prochain (NDLR : le 18 mars) une réunion du Comité de conjoncture afin de statuer sur les dossiers introduits qui sont liés au coronavirus. Comme tous les partenaires sociaux, organisations patronales et syndicales siègent au sein de ce comité. Cette réunion extraordinaire nous donne donc l’opportunité d’évaluer et discuter, dans un esprit tripartite, la situation des entreprises face à la propagation du coronavirus.
Le Luxembourg a-t-il les moyens sur le plan économique de résister à une crise plus sévère, à une quarantaine généralisée ?
Nous n’en sommes pas encore là. Le gouvernement a démontré pendant ces derniers jours qu’il est fermement disposé à prendre toutes les mesures et à se donner les moyens nécessaires pour soutenir les entreprises en difficulté et surtout protéger ainsi les salariés concernés. Il y a quelques jours, Lex Delles (NDLR : le ministre des Classes moyennes et du Tourisme) et moi-même avons présenté un projet de loi : la création d’un nouveau régime d’aides qui complétera les instruments existants. Il soutiendra les PME qui se trouvent en difficulté financière temporaire à la suite des répercussions d’un événement exceptionnel et imprévisible d’envergure. Une pandémie comme le coronavirus tombe sous la définition d’un événement exceptionnel. Une fois cette loi en vigueur, les PME impactées pourront donc bénéficier d’une telle aide. Les coûts admissibles dans le contexte du nouveau régime d’aides se limitent à la perte de revenu constatée. L’aide prend la forme d’une avance récupérable. Je n’exclus pas qu’au vu de l’évolution actuelle de la situation, d’autres mesures doivent être prises.
Sans vouloir mettre l’actualité de côté, tentons tout de même de parler de votre ministère. On parle de vous comme d’un homme de gauche. Mais dans un pays comme le Luxembourg, marqué par le capitalisme et sa place financière, qu’est-ce que le socialisme ?
La gauche a une très longue tradition au Luxembourg, avec ses mouvements ouvriers, qui prend racine dans l’industrialisation du pays. Le Parti socialiste est tout de même le plus vieux parti du Luxembourg. C’est une riche et longue tradition. La Ville de Luxembourg était aussi une ville industrielle à l’époque, avant de devenir un centre administratif et financier. Le Parti socialiste luxembourgeois reste le garant de la justice et de la cohésion sociales. Nous sommes quand même, si l’on compare d’un point de vue international, un des pays les plus égalitaires d’Europe. Et je pense que dans une très large mesure, c’est le mérite du Parti socialiste.
Mais aujourd’hui, est-ce que le socialisme peut cohabiter avec les tendances économiques actuelles au Luxembourg ?
Oui, le pays est une économie de marché sociale et encore une fois, sans mon parti l’on n’en serait pas là. Si nous avions un gouvernement CSV, et l’on a vu ce que cela a donné entre 1999 et 2004, encore une fois, nous n’en serions pas là. Il y aurait un autre vent qui soufflerait sur le pays. Je pense que c’est important d’avoir un Parti socialiste qui participe au gouvernement sur beaucoup de sujets, parfois pas très visibles, que ce soit sur la fiscalité ou la transparence de la place financière.
Vous intégrez un gouvernement où les forces politiques se partagent le pouvoir. Comment se passe votre intégration au sein du gouvernement ?
Cela se passe très bien avec mes collègues ministres. J’ai de très bons rapports avec eux, le tout dans un environnement très collégial. Le ministère de l’Économie est un ministère qui touche à beaucoup de domaines où la collaboration avec les autres ministères est importante. J’entends bien poursuivre cela.
On vous décrit comme un intellectuel de gauche, mais également comme une personne hautaine. Qu’en est-il ?
C’est un peu à vous de juger si je suis hautain. C’est toujours un qualificatif personnel et subjectif. Personnellement, je ne pense pas l’être. Être un « intellectuel », oui. Mais je ne considère pas ce qualificatif comme un gros mot. J’aime bien réfléchir. En politique, ce n’est pas un défaut d’essayer de réfléchir, de lire, pour comprendre ce qui se passe dans le pays, la Grande Région et au-delà. Donc ce n’est pas un mauvais terme.
On reproche souvent aux intellectuels et aux politiques d’être loin de la réalité du quotidien, voire déconnecté des salariés, des entrepreneurs…
Je suis proche des gens. J’habite à Luxembourg dans le quartier de la Gare, qui est un quartier populaire dans le bon sens du terme et je me promène dans mon quartier. Je connais bien les gens et je pense connaître la réalité du terrain, pas seulement dans mon quartier, mais également à Luxembourg et dans le reste du pays. Pour l’aspect entrepreneurial, j’ai toujours été proche du secteur privé. J’avais mon entreprise lors des dernières années et je connais le quotidien d’un indépendant, les difficultés des entreprises, le fait de voir balancer ses comptes tout au long de l’année.
Votre prédécesseur au ministère de l’Économie, Étienne Schneider, a été décrit comme « un ministre entrepreneur ». Quel type de ministre voulez-vous être ?
Je compte être un ministre travailleur. Quelqu’un qui œuvre pour les entreprises, mais aussi pour leurs salariés qui constituent la richesse de l’économie luxembourgeoise. Ce sont les entrepreneurs mais aussi leurs employés – les deux vont ensemble – qui permettent de faire tourner l’économie. Les entreprises qui fonctionnent bien sont les entreprises qui prennent soin de leurs salariés et de leurs employés. Pour moi, les deux doivent travailler main dans la main. Je serai donc un ministre qui va œuvrer pour un environnement favorable tant pour les entreprises que pour ceux qui y travaillent.
Pourtant, en ce moment, l’ambiance entre les patrons et les salariés, représentés par les syndicats, n’est pas au beau fixe dans le pays…
J’ai rencontré récemment les représentants de l’UEL, Nicolas Buck et Jean-Paul Olinger. Je vais rencontrer Nora Back de l’OGBL, une personne de conviction que j’estime. Je crois que les deux, patronat et syndicats, ne sont pas tellement éloignés. Il y a cette sortie de Nicolas Buck au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE), c’est vrai. Mais il y a d’autres instances au Luxembourg, comme le Comité économique et social où le patronat et les syndicats se retrouvent et où cela se passe mieux. Je ne serais donc pas aussi pessimiste sur l’état du dialogue social dans le pays, même s’il est vrai que lors des dernières années, il a un peu souffert. Encore une fois, j’aimerais œuvrer pour une réconciliation entre patronat et syndicats, le tout dans l’intérêt des entreprises et des salariés.
Le patronat semble pourtant mal digérer les récentes réformes du gouvernement comme le congé parental. Pas certain qu’il veuille encore faire des concessions envers les salariés…
Nous sommes dans un monde en transition où l’on va probablement travailler un peu moins à l’avenir. Il faut accompagner ce mouvement et essayer d’imaginer l’économie de demain, voir comment cela va fonctionner avec de nouvelles formes de travail, le tout dans un nouveau contexte. Il faudra s’assurer que cela se fasse dans de bonnes conditions, idéalement avec des CDI, mais avec une certaine flexibilité pour organiser sa vie de famille, son temps libre et avoir un bon équilibre entre travail et vie de famille.
Cet équilibre, c’est le vœu de tous, mais les entreprises préfèrent parler de flexibilité. C’est d’ailleurs ce que revendique le patronat : avoir plus de flexibilité du droit du travail afin d’assurer un certain niveau de production. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Je ne pense pas que l’on doive toujours voir cela par la lunette du tout économique. Je pense qu’il est dans l’intérêt bien compris des entreprises d’avoir des employés qui sont bien dans leur peau, qui ont une vie de famille qui fonctionne bien. D’ailleurs ce gouvernement s’est clairement donné comme ligne de conduite de faire davantage pour les familles avec ce congé parental qui connaît un grand succès, notamment chez les hommes qui passent ainsi beaucoup plus de temps à la maison avec les enfants, un modèle proche du modèle scandinave. Je pense que c’est une vision de la société moderne où les entreprises ont aussi un rôle à jouer. In fine, cela va être bénéfique aussi pour les entreprises, même si c’est au prix d’un peu plus de temps libre et de plus de flexibilité dans l’organisation du travail. Au final, ce sera bénéfique pour tous.
Avec votre arrivée au sein du ministère de l’Économie et le départ d’Étienne Schneider, l’initiative spatiale luxembourgeoise SpaceResources.lu, a perdu son premier défenseur. Allez-vous continuer à soutenir cette initiative ?
L’initiative spatiale luxembourgeoise a perdu son père. Étienne Schneider avait un rapport très spécial avec SpaceResources.lu et il en gardera à jamais cette paternité spirituelle. C’est un secteur qui a un gros potentiel. L’initiative est maintenant sur orbite et évidemment il faut la poursuivre. Il y a déjà des entreprises, des start-up, de la recherche dans le domaine au Luxembourg. Encore une fois, c’est un secteur avec un fort potentiel, et je ne parle pas d’exploitation des ressources spatiales qui est un lointain horizon. Le secteur touche beaucoup plus d’applications, notamment dans l’environnement et l’observation de la planète depuis l’espace. Étienne Schneider peut être rassuré : je compte bien poursuivre dans le même sens.
Entretien avec Jeremy Zabatta