Situation des cafetiers et de l’hôtellerie, taxation, transparence alimentaire, statut d’Airbnb… Pour François Koepp, le secteur de l’Horeca se porte bien au Luxembourg… même si certains points restent à éclaircir.
Quelle est la situation générale dans le secteur ?
François Koepp : Commençons par les plus faibles, c’est-à-dire les cafetiers. Ce sont eux qui ont le plus souffert sur les dernières années, notamment à cause du changement des habitudes de consommation induit par les nouvelles législations comme l’interdiction de fumer dans les cafés ou encore la hausse de la TVA. Cela a fait du tort aux petits bistrots qui ont vu le nombre de clients diminuer, mais également une nette baisse de la consommation de l’ordre de 8 à 15 % suivant les régions du pays. De plus, les cafetiers n’ont pas vu passer les nombreuses personnes affirmant vouloir retourner dans les cafés grâce à l’interdiction de fumer, comme nous l’avions prédit, étude à l’appui.
Pourtant, l’État a mis en place des aides pour soutenir les cafetiers ?
Oui, le ministère des Classes moyennes, conscient que les bistrots et les cafés font partie de notre patrimoine culturel, permet de financer et de soutenir des entreprises souhaitant rénover ou investir dans des travaux. Mais trop peu ont fait les démarches pour profiter de ces subsides, car il y a encore un fort sentiment d’être délaissé chez certains de nos cafetiers. Mais d’un autre côté, il est vrai que nous voyons des jeunes reprendre des endroits qui ont bien fonctionné tout en donnant une nouvelle identité à ces endroits. Ce qui est une bonne chose, car cela permet d’attirer des nouveaux clients. Le métier de cafetier est en train de changer, et va tendre de plus en plus vers le professionnalisme et le divertissement, le but étant de donner un plus aux clients. D’ailleurs, on constate que ceux qui vont dans cette direction se font ou se refont une nouvelle clientèle.
Après les cafetiers, il y a les restaurateurs…
Pour les restaurants, le constat est plus positif, notamment grâce à la prospérité du Luxembourg, mais également des pays voisins, ce qui fait qu’il y a une masse importante de consommateurs qui s’agrandit d’année en année. Nous le voyons avec l’augmentation des personnes qui vont tous les jours au restaurant. Si je crois pouvoir dire que la restauration s’en tire plutôt bien, il ne faut pas négliger le coût toujours trop élevé des loyers et le coût salarial qui reste toujours important, même si je pense que l’on ne pourra jamais rémunérer un bon salarié à sa juste valeur.
Vous pouvez approfondir ?
Il faut comprendre que nous ne sommes pas de grosses industries ni des entreprises financières. Dans la restauration, le chiffre d’affaires que l’on peut obtenir sur un collaborateur est de l’ordre de 100 000 euros. Les coûts salariaux pèsent autour des 40 %, voire même 50 % dans la restauration de luxe, ce qui laisse très peu d’amplitude en termes de marges. À titre comparatif, dans le secteur financier, le rendement d’un collaborateur est d’un million d’euros. Cela donne une image de l’écart entre la restauration et la finance, par exemple. Mais en terme général, la restauration se porte bien au Luxembourg.
Passons à l’hôtellerie…
Avant toute chose, il faut préciser qu’avec l’hôtellerie nous avons des chiffres assez clairs, ce qui n’est pas le cas avec les autres segments de notre secteur, ce que nous déplorons d’ailleurs. Le fait d’avoir des chiffres clairs, notamment sur les nuitées, nous permet d’avoir un regard sur la réalité et de pouvoir comparer nos chiffres avec ceux des autres pays.
On dit souvent que le Luxembourg n’a pas assez de chambres d’hôtel pour accueillir les touristes, y compris le tourisme de congrès. Pourtant, en ce moment, il y a plusieurs projets visant à construire des nouveaux hôtels qui tentent de voir le jour. Quel est votre regard sur le sujet ?
Le vrai problème est de pouvoir obtenir les autorisations pour bâtir un hôtel. Parfois quand vous avez un projet hôtelier, la difficulté c’est d’avoir les autorisations. Encore récemment, on parlait du projet d’un aquapark. En sachant qu’il y a les verts dans le gouvernement, je souhaite bonne chance aux personnes derrière ce projet pour avoir les autorisations nécessaires. Car, à mon avis, avec toutes les zones protégées dans le pays, nous n’aurons bientôt plus la possibilité de faire quoi que ce soit. Mais pour revenir à la question, je pense qu’il faut une concurrence saine sur le marché de l’hôtellerie luxembourgeoise et qu’il manque sur le marché un certain type d’hôtels afin d’attirer une certaine catégorie de clients, notamment des hôtels cinq étoiles et plus. Là aussi, il y a l’éternel débat sur l’offre et la demande, encore faut-il avoir l’offre pour faire venir la demande ou l’inverse. Mais personnellement, je pense que si une enseigne, par exemple Marriott, décide de venir au Luxembourg, elle va attirer son portefeuille de clients et contribuer à l’exposition du marché. Faut-il encore pouvoir proposer des endroits susceptibles d’accueillir des hôtels de cette catégorie…
D’ailleurs, vous avez quelques idées sur la question…
Oui, je suis d’avis que certains ministères n’ont rien à faire dans certains bâtiments, comme par exemple la Villa Louvigny. C’est un bâtiment avec un potentiel important qui pourrait accueillir un hôtel quatre ou cinq étoiles avec très peu de travaux, mais quand je vois la façon dont il est entretenu actuellement, je trouve cela honteux.
Le ministère de la Santé réfléchit sérieusement à créer une nouvelle taxe, sur le sucre, pour le courant de l’année prochaine. Une mesure qui, je crois, ne vous fait pas sauter de joie…
On parle toujours d’assouplir la réglementation, de moins légiférer, de mieux légiférer. Mais en fin de compte, on se retrouve avec de nouvelles contraintes qui ne vont pas dans le bon sens. Comme l’on dit en Suisse, « on n’interdit rien, mais on essaie toujours d’encaisser ». L’introduction de cette nouvelle taxe est, pardonnez-moi l’expression, une belle connerie. Dans plusieurs pays européens, ce genre de taxe a été supprimé. Au Danemark, au bout de deux ans, ils se sont aperçus que le contrôle de cette taxe était plus onéreux qu’autre chose. En Belgique et France, pareil. En plus, il n’y a aucun avantage pour le consommateur, qui ira alors de l’autre côté de la frontière pour faire des achats. Ce genre de taxe me met en rage. On n’arrive plus à taxer les capitaux, alors on taxe les consommateurs. Je suis un entrepreneur pour une Place compétitive et une taxation intelligente. Mais là, ce ne sera pas le cas.
Un autre point qui ne vous ravit pas, c’est la volonté du ministère de l’Agriculture d’imposer un nouveau système de transparence en matière d’hygiène alimentaire…
Nous approuvons à 100 % les contrôles sur l’hygiène. Mais que ce contrôle soit comme en France, publié sur internet et donnant des notes aux établissements, ne me convient pas. Encore une fois, pour protéger le consommateur, je suis d’avis que si le contrôle d’hygiène passe dans une entreprise et constate un manquement, il faut fermer le temps de la remise en conformité. Mais en attribuant des notes, cela va envoyer des signes négatifs. Admettons que le contrôle passe et qu’il y ait des petites anomalies comme un carreau cassé et une planche de travail pas encore nettoyée à ce moment-là : l’entreprise recevra, par exemple, une note de 80 sur 100 sur ce site internet. Le consommateur ne va voir que ce nombre, et non la raison de cette note, qui n’affecte en rien la qualité et l’hygiène de l’entreprise. Ce système ne sert donc pas à renseigner sur la qualité du travail et des produits, mais uniquement sur un état des lieux à un moment précis de la journée. N’importe qui peut comprendre qu’il est impossible de garder chaque seconde une cuisine, un établissement ou un café dans un état impeccable. Donc ce système n’est pas viable pour nous. Il a d’ailleurs été abandonné dans certaines régions en Allemagne.
En Europe, Airbnb fait beaucoup grincer des dents les responsables du secteur hôtelier, alors qu’au Luxembourg ils restent plutôt silencieux…
Pourtant, nous en avons énormément parlé. Nous avons même informé le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, sur le caractère déloyal de cette plateforme numérique. Mais le ministre a simplement répondu qu’il n’y avait pas de raison de légiférer sur cette question.
Ce n’était pas la réponse que vous espériez.
Effectivement. Il faut comprendre que ce genre de plateformes encaisse des millions et des millions d’euros et ne paie quasiment pas d’impôts. Quand on s’intéresse d’un peu plus près au sujet, on se demande comment il est possible qu’Airbnb puisse louer une chambre ou un logement sans remplir une fiche d’enregistrement, qui est pourtant une obligation légale au Luxembourg que respectent les hôteliers. Même chose pour les taxes de séjour, les normes de sécurité des chambres et des logements, sans parler de la TVA. Je m’interroge donc quand un ministre de l’Économie affirme qu’il n’y a pas de raison de légiférer.
Donc vous n’êtes pas totalement contre ce genre de plateformes numériques ?
Nous ne pouvons pas arrêter le progrès. Nous ne sommes pas anti-Airbnb, ni pro-Airbnb, tout comme nous n’avons jamais demandé l’interdiction de cette plateforme, mais bien une compétition loyale. J’irais même plus loin en affirmant que le Luxembourg aurait pu jouer un rôle important en proposant, avec Airbnb, de mettre en place une base légale créant un terrain loyal entre les différents acteurs du secteur. Nous aurions été le premier pays à créer cette base légale, et pourquoi ne pas imaginer voir Airbnb installer son siège social européen au Luxembourg. Il faut être également conscient qu’il y a aussi des personnes qui louent plus de cinq logements différents via cette plateforme, ce qui fait d’elles des professionnels et plus des particuliers. Cela implique que ces personnes devraient avoir une autorisation de commerce, se conformer aux normes d’hygiène et de sécurité, et bien sûr être taxées sur cette activité. Ce n’est pas le cas.
Avez-vous déjà fait un état des lieux de l’étendue des offres Airbnb au Luxembourg ?
Nous estimons qu’il y a entre 300 et 350 offres disponibles sur le site Airbnb. Mais il faut encore comptabiliser les offres qui ne sont pas disponibles, donc déjà louées. Il faut généralement multiplier ce chiffre par 1,8 pour connaître le nombre total d’offres disponibles, soit environ 600 chambres ou logements. Cela correspond à plus ou moins cinq grands hôtels, donc 400 emplois, soit 17 millions d’euros en salaire, soit un peu plus de 4,8 millions d’euros de charges sociales par an qui ne vont pas dans les caisses de l’État. Ce n’est pas une petite somme, mais visiblement, ce n’est pas assez pour légiférer.
Entretien avec Jeremy Zabatta