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France : les lobbies, un danger pour la démocratie ?


Nicolas Hulot a clairement pointé l'influence des lobbies dans les décisions de l'exécutif. (illustration AFP)

En jetant l’éponge après 15 mois au gouvernement, Nicolas Hulot a mis en cause le poids des lobbies, dont l’influence bien réelle en France peut être une entorse à la démocratie si elle demeure dans l’ombre, avertissent des spécialistes.

C’est « l’élément qui a achevé de me convaincre », a expliqué Nicolas Hulot mardi pour justifier sa soudaine démission du ministère de la Transition écologique : la présence, lundi lors d’une réunion à l’Élysée sur la chasse, d’un lobbyiste « qui n’était pas invité », Thierry Coste, conseiller politique de la Fédération nationale des chasseurs. « C’est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? ».

Fin mai, le poids des lobbies avait déjà été pointé du doigt, à propos de la loi agriculture, lorsque l’ex-ministre socialiste de l’Écologie, Delphine Batho, avait accusé un lobby d’avoir pu consulter son amendement sur l’interdiction du glyphosate plusieurs jours avant les députés.

Longtemps, le sujet est demeuré tabou en France, selon Cornelia Woll, professeure à Sciences Po, spécialiste des lobbies. Dans l’hexagone, « on a cette conception que la politique éclairée ne devrait pas être pervertie » par des groupes, analyse-t-elle. Pour autant, poursuit la chercheuse, « est-ce que les chasseurs doivent avoir une chaise à la table ? Oui. Mais dans la même mesure que les autres groupes ».

Dotés d’ « accès sans limites »

Or, soutient Benjamin Sourice, de l’ONG anti-corruption VoxPublic et auteur d’un Plaidoyer pour un contre-lobbying citoyen (éd. Mayer), il y a un déséquilibre : « Aujourd’hui la société civile, même organisée en associations, a des difficultés d’accès aux décideurs et trouve des portes fermées là où certains lobbyistes comme Thierry Coste ont des accès sans limites. » Celui-ci racontait récemment sur France Inter : « Mon métier c’est d’abord de faire beaucoup d’investigation, je suis un spécialiste du renseignement, j’en cherche aussi dans les groupes de pression opposés, que j’infiltre – associations de consommateurs, ONG environnementales, syndicats… »

Taclant « certaines personnes qui ont oublié qu’on faisait un métier de prestation de service », Clément Leonarduzzi, président de l’agence de relations publiques Publicis Consultants, relativise pourtant. La loi Sapin II de 2016 et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique « permettent d’encadrer la profession: quand vous demandez un rendez-vous à un député, il doit être déclaré, vous devez expliquer qui vous avez vu, et pourquoi ». Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, assume, lui, son influence sur les sujets de rénovation énergétique: « Une fédération professionnelle, elle sent mieux que personne le ressenti des entrepreneurs sur un sujet. »

« C’est surtout un problème quand les lobbyistes cherchent à bloquer un progrès pour maintenir un avantage concurrentiel », note Benjamin Sourice.

Certains entrent au gouvernement

« On ferait mieux de s’interroger sur l’absence de courage et de conviction des politiques, il ne faut pas croire que ce sont les lobbies qui décident », fait valoir de son côté Alain Bazot, président de l’association de défense du consommateur UFC-Que Choisir. Se revendiquant « lobby transparent » à l’origine « d’études sérieuses publiées et soumises à la critique de tous pour dénoncer des dysfonctionnements de marchés », l’UFC se trouve confronté à des lobbies professionnels très puissants, dotés de moyens financiers importants. Parmi ceux-ci, les lobbies des secteurs chimique, agro-alimentaire, bancaire mais aussi le Medef comptent parmi les plus influents auprès de l’exécutif, estime Alain Bazot.

Benjamin Sourice prône la transparence, opposant « le travail toujours public des associations » et « le lobbying privé, en coulisses, dont on ne sait pas exactement les réclamations ». Une règlementation efficace est d’autant plus difficile à concevoir qu' »en France, le lobbying ce n’est pas la mallette d’argent, mais les liens interpersonnels, la connivence entre ceux qui ont été à l’école ensemble », souligne Cornelia Woll. « C’est la structure de l’élite française, il est assez facile de passer du public au privé, de travailler dans un cabinet, puis d’être précieux pour une entreprise car on a des contacts politiques », ajoute-t-elle.

Le gouvernement actuel compte d’ailleurs d’anciens lobbyistes. Le Premier ministre, Édouard Philippe, assume avoir été directeur des relations publiques d’Areva, tandis que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait un poste similaire chez le géant de l’immobilier commercial Unibail-Rodamco.

LQ/AFP