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France: dans l’affaire Théo, le viol au cœur du débat judiciaire


"L'affaire Théo" avait remué la France en février 2017 (photo: AFP)

Le coup de matraque porté à Théo par un policier en 2017 à Aulnay-sous-Bois peut-il être qualifié de viol ? Une expertise judiciaire très attendue ne tranche pas la question, mais estime que le geste du fonctionnaire était « conforme aux pratiques professionnelles ».

Peut-on parler de viol?

Février 2017, Théodore Luhaka, jeune homme noir de 22 ans, est gravement blessé par un coup de matraque au niveau de la zone rectale, lors d’une interpellation dans la cité des 3.000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

Quatre policiers sont mis en examen pour « violences volontaires aggravées », l’un d’eux est aussi poursuivi pour « viol ». Dans un premier temps, le parquet de Bobigny avait ouvert une information judiciaire pour « violences » mais ce choix avait été vivement critiqué, au lendemain d’une nuit d’échauffourées aux 3 000, par le maire LR de la commune Bruno Beschizza et les proches de Théo.

Cette qualification de viol peut-elle toutefois tenir?

Une expertise, transmise vendredi au magistrat instructeur relève que la matraque n’a pas pénétré l’anus mais « la partie périanale », sans conclure explicitement s’il y a eu viol ou non.

« Le rôle des experts n’est pas de déterminer telle ou telle qualification juridique. Seul le juge d’instruction peut le faire », souligne Me Antoine Vey, l’un des avocats de Théo.

Autre point à trancher: le viol implique que l’auteur ait eut conscience d’infliger un acte de pénétration sexuelle. Y a-t-il eu intentionnalité de la part du policier ?

L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) avait retenu, au vu des vidéos et des premières auditions, « le caractère non intentionnel » de son geste.

Une requalification des faits notamment en « violences aggravées » peut-elle être dans ce cas envisagée, avec de possibles conséquences sur les peines encourues?

« Ce n’est pas moins grave d’être victime d’actes de torture et de barbarie, de viol ou de violences policières en réunion », souligne Me Vey.

« L’important est que le préjudice de Théo puisse être évalué au terme d’un débat contradictoire », ajoute-t-il, assurant que le geste du policier « était intentionnel et ciblé dans la zone anale ».

Un geste « conforme »?

Dans leurs conclusions, les experts notent que « le coup a été mené avec une certaine force ». Il a engendré une plaie de près de 10 centimètres longeant le canal anal.

Mais, « dans l’absolu » le geste est « conforme aux pratiques professionnelles » et a été réalisé conformément « au discernement possible et exigible de la part d’un policier dans ce genre de situation complexe d’intervention », ajoutent-ils.

Si cette analyse était suivie par le juge d’instruction, pourrait-elle conduire à un non-lieu ?

« Je vois mal comment le parquet ne pourrait pas requérir l’abandon de ses poursuites », estime Me Frédéric Gabet, avocat du policier poursuivi pour viol.

Auditionné, le fonctionnaire a assuré que Théo faisait preuve d’une « particulière virulence » au moment de son interpellation, selon une source proche du dossier.

Ce « coup vigoureux non retenu » porté « au haut de la cuisse » avait pour but de « faire chuter au sol Monsieur Luhaka » et en aucun cas de le « blesser gravement », a-t-il ajouté, précisant n’avoir pas eu d’autre choix, compte tenu de sa position et de celle du policier qui tentait de procéder au menottage du jeune homme.

« Je l’ai vu avec sa matraque: il me l’a enfoncée dans les fesses, volontairement. Je suis tombé sur le ventre, j’avais plus de force », avait relaté de son côté Théo.

Séquelles permanentes?

Autre question importante pour déterminer le préjudice de Théo et les éventuelles peines encourues par les policiers, la gravité de ses blessures et la nature de ses séquelles.

La dernière expertise médicale, rendue le 26 décembre 2017, rappelle que le jeune homme s’est vu délivrer une interruption totale de travail qui « devrait être de l’ordre de 12 à 15 mois » à l’issue de laquelle les médecins vont tenter de lui enlever sa poche artificielle. Il « ne devrait pas garder d’infirmité permanente » à la suite de l’opération.

Pour Me Vey, il est impossible à ce stade d’affirmer si le préjudice sera ou non permanent.

Le Quotidien/ AFP