Quel secteur ne connaît pas la crise ? Le digital, plaide avec passion Nicolas Guelfi, qui a créé les bachelors en informatique à l’université du Luxembourg. Ce professeur souhaite convaincre la société de l’importance des sciences du digital.
Pourquoi avoir quitté votre France natale il y a plus de 20 ans pour venir enseigner au Luxembourg ?
Nicolas Guelfi : Notamment parce qu’il y avait une sclérose en France. J’ai le souvenir d’avoir participé à des réunions où l’on discutait pendant deux heures pour savoir qui, parmi 20 profs, allait avoir 300 euros. Avec des collègues qui sont des génies, mais qui n’avaient aucun moyens. Et qui étaient écrasés par le système bureaucratique français. J’ai travaillé en Suisse également, où il y avait aussi des lourdeurs. Par exemple, si vous vouliez changer une séance dans un cours, il fallait le faire 18 mois à l’avance…
En quoi le Luxembourg était-il différent ?
Certains professeurs préfèrent aller dans des établissements connus et bien établis. Et puis d’autres veulent construire. Quand je suis arrivé au Luxembourg, il y avait tout à construire. Mais pour cela, ce pays avait besoin de faire venir des experts. J’ai été le premier professeur recruté dans le cadre de la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui a été votée en 1996. À l’époque, l’université n’existait pas (NDLR : elle a été créée en 2003). J’ai donc commencé en 1999 comme professeur d’informatique à l’Institut supérieur de technologie (IST). Et j’ai reçu un excellent accueil! Il y avait beaucoup d’espoirs, donc j’ai eu des moyens pour monter des projets de recherche, j’ai monté un laboratoire, etc. C’est pour ça que je suis venu. Car j’avais déjà monté des formations, en France ou en Suisse, mais participer à la création d’une université, ça n’arrive pas souvent dans la vie d’un enseignant !
Que représentait l’enseignement en informatique à l’époque ?
À l’époque, c’était simple : quand vous étiez bon en science, il n’y avait que l’IST, mais qui délivrait une formation plutôt générale. Le choix était vite fait.
Les jeunes partaient donc étudier les sciences dans d’autres pays…
Exactement. Quand vous avez des moyens financiers, ce qui est généralement le cas au Luxembourg, alors vous pouvez vous payer le voyage, le logement, l’inscription universitaire à l’étranger. Moi, quand j’étais à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, je voyais plein de Luxembourgeois ! C’est un problème qui reste très ancré au Luxembourg : les parents préfèrent envoyer leurs enfants à l’étranger. On a encore cette difficulté à faire comprendre aux gens qu’on est meilleur ici à Esch-Belval.
Et qu’est-ce qui vous fait dire que l’Uni est désormais « meilleure » ?
Déjà, parce que de plus en plus de Luxembourgeois restent étudier au Luxembourg. Surtout depuis les dernières années, avec le développement de nos bachelors en informatique. Cette année, on est 78e mondial en informatique, sur 1 000 universités classées. Pour une jeune université, c’est pas mal, non ? L’Uni a aussi l’avantage de donner un enseignement de proximité. J’ai des étudiants qui sont allés étudier avant en Allemagne, et qui n’en reviennent pas : ils s’étonnent que je réponde à leurs mails. En Allemagne, d’abord, on n’écrit pas de mail au professeur, on l’écrit à ses assistants, sachant qu’on est entre 200 et 800 dans les amphithéâtres.
Moi, si j’ai un étudiant qui ne comprend pas un cours, je peux passer une heure avec lui. Parce que j’ai 27 étudiants. Et les moyens sont là. Si j’ai un étudiant qui a besoin de Photoshop pour préparer sa maquette, la semaine d’après, il a sa licence pour l’utiliser sur une machine de l’université. Dans d’autres universités, on va plutôt leur dire d’utiliser les logiciels open source, gratuits. Tout cela commence à changer le regard des jeunes sur l’Uni et nos formations.
Entretien avec Romain Van Dyck