Accueil | A la Une | [Football] Olivier Thill de retour en Ukraine : «Ici, c’est comme s’il n’y avait pas la guerre»

[Football] Olivier Thill de retour en Ukraine : «Ici, c’est comme s’il n’y avait pas la guerre»


(Photo : fc cherkazy)

La ligne de front est à 400 km, mais cela s’entend à sa voix : Olivier Thill est ravi de s’être extirpé de Turquie pour revenir dans cette Ukraine qu’il aime.

Un an, onze mois et vingt-cinq jours après avoir fui le pays en catastrophe avec son frère, Vincent, au volant d’une voiture empruntée à son club, quand les Russes ont commencé à envahir l’Ukraine, Olivier Thill est de retour. Non loin de Poltava, située à 260 kilomètres à l’est, il va tenter de renouer à Cherkasy le fil d’une carrière qu’il a eu l’impression de mettre entre parenthèses.

Comment se résout-on à retourner en Ukraine, pays toujours en guerre ?

Olivier Thill : Pour moi, un retour en Ukraine a toujours été d’actualité, parce que j’y étais bien. J’aime la vie là-bas, les gens, le championnat. Il était certain que je reviendrais un jour, mais je ne pensais pas que la guerre sévirait encore. Mais je ne suis concentré que sur le football et j’espère vraiment reprendre là où j’en étais resté dans ce pays avec le Vorskla Poltava.

Vous a-t-il fallu beaucoup de garanties pour votre sécurité, avant d’accepter ?

J’ai conservé beaucoup d’amis dans le pays et je me suis renseigné. Et depuis que je suis rentré du stage en Turquie, à Antalya – cela nous a pris 12 h de bus depuis l’aéroport de Chisinau –, j’ai pu me rendre compte qu’ils m’ont dit la vérité : Cherkazy, c’est très calme. En fait, c’est comme s’il n’y avait pas la guerre. C’est simple : on ne la voit pas. On rencontre peut-être plus de policiers et de militaires qu’avant, mais tout est normal. Ce matin, j’étais à la salle de fitness et c’était plein. Le seul truc, c’est que tout ferme à 22 h et ça, oui, je pense que c’est lié à la guerre.

Ma mère n’est pas trop contente de ma décision

Votre famille n’est pas inquiète?

C’est MON choix. Je le leur ai expliqué. Ils savent ce que je viens de vivre en Turquie. Ils savent que ce n’était pas facile. J’avoue que ma mère n’est pas trop contente de ma décision, mais elle doit l’accepter parce que je suis assez en sécurité. De toute façon, ma femme et mes enfants vont vivre au Grand-Duché.

Curieusement, on a l’impression après cette phrase sur ce que vous venez de « vivre en Turquie » que vous êtes plus heureux dans un pays en guerre qu’en D2 turque…

Ah, la Turquie… Tout a commencé dès Eyüpspor. Très vite, les salaires n’ont plus été payés. Je me suis alors tourné vers la FIFA, qui a forcé le club à les verser mais dans la foulée, j’ai été écarté du groupe. Et alors on m’a dit : soit tu restes encore un an ici mais sans jouer, soit tu pars pour Sanliurfaspor. On ne m’a pas laissé le choix. On m’a dit : « C’est là-bas et c’est tout ». Comme mon optique, à moi, c’était de jouer, j’ai choisi de rejoindre le promu pour beaucoup moins d’argent que ce que je gagnais chez Eyüpspor. Au début, tout allait bien, mais dès qu’on a commencé à perdre, je n’ai pas compris pourquoi, visiblement, tout le monde disait que c’était de ma faute. Même le président est venu me le dire : « C’est toi qui dois faire gagner l’équipe! ». Bref, on m’a proposé de partir en hiver, mais que cela coûterait 80 000 euros. Alors, je me suis dit que je patienterais jusqu’en été, mais le président est revenu vers moi juste avant la trêve, avant deux matches importants. Il m’a dit : « Si tu joues bien, tu auras le droit de partir. Sinon, je te bloque ». J’ai bien joué. J’ai même marqué contre Manisaspor (NDLR : 1-1, le 25 décembre). Et du coup… il a décidé de revenir sur sa promesse et de me garder. Mais là-bas aussi, j’avais eu des soucis pour être payé, et j’avais aussi un temps été sifflé par tout le stade quand j’avais le ballon parce qu’apparemment, les fans aussi considéraient que nos mauvais résultats étaient exclusivement ma faute. Cela devenait trop compliqué, même pour ma famille. J’ai dit que je ne voulais plus jouer pour des supporters comme ça. Il a quand même fallu payer 40 000 euros pour partir. C’est Cherkasy qui s’en est chargé.

Je ne voulais plus jouer pour des supporters comme ça

Vous semblez sortir de deux années infernales en Turquie, en somme ?

J’ai commencé à ne plus aimer le football. J’ai même pensé à revenir au Luxembourg pour retrouver ma liberté. Après tout, je n’ai que 27 ans et j’ai encore le temps. Je voulais en finir avec ce stress permanent. Et puis beaucoup d’offres ont commencé à arriver depuis l’Ukraine.

Et vous préfériez revenir dans un pays en guerre que de rester sur les rives du Bosphore…

C’est exactement ce que j’ai dit au président de Sanliurfaspor! Je lui ai dit : « C’est triste parce que je n’ai plus que trois mois à faire, mais après tout ce que vous m’avez fait, je préfère encore aller dans un pays en guerre. Je serai plus heureux là-bas ». Lui m’a répondu : « mais on t’aime quand même ». Moi, je ne pouvais plus. Les Turcs, ils paient quand ils ont envie. Quand on gagne, tout va bien, mais si les résultats ne suivent pas… Nous, Européens, on n’est pas habitués à ça. Eux, ils répondent : « c’est la Turquie, c’est comme ça! ». Ils pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et d’ailleurs, ils font ce qu’ils veulent. Moi, je n’aime pas ça.

Vous débarquez dans une équipe composée exclusivement d’Ukrainiens. Ils doivent être heureux de voir revenir des étrangers…

Oui, ils le sont! Moi, ça m’a fait un peu réfléchir : être le seul étranger, même si je parle russe…Tu te sens mieux avec d’autres étrangers autour de toi.

Les Ukrainiens ne sont plus excessivement fans du fait de parler russe depuis le début de la guerre…

Je parle russe avec eux et je sers de traducteur pour un peu tout le monde car ils ont déjà recruté d’autres joueurs. Tout le monde ici parle encore russe et en général, quand cela vient d’un étranger, ils acceptent. Certains ne veulent plus du tout parler cette langue et je dois l’accepter.

Vous devez accepter aussi de jouer ailleurs que dans votre nouvelle ville…

Oui, on part demain (NDLR : aujourd’hui) pour Kiev, où l’on va jouer pendant un mois, jusqu’à la trêve internationale. On sera logés dans l’académie du Benfica en Ukraine. Tous les matches se joueront là par commodité. Il me semble que désormais, les huis clos sont levés et qu’ils ont droit à 5 000 spectateurs par match.

Le Vorskla ne s’est pas montré intéressé à l’idée de vous faire revenir ?

Si. Et on a beaucoup discuté. Mais ils ont des problèmes financiers.

Repensez-vous souvent à cette fuite de février 2020, au début de la guerre, quand vous avez dû quitter le pays en catastrophe avec Vincent, votre frère ?

Non, plus trop. Je ne suis vraiment plus concentré que sur le football.