Face au grand manque de considération dont sont victimes les footballeuses du pays à ses yeux, Karine Reuter, la présidente du RFCU, quintuple champion du Luxembourg chez les dames, monte au créneau. Celle qui dirige aussi la Ligue de football luxembourgeoise (LFL) pointe notamment Paul Philipp, le président de la FLF.
Le 30 août, Karine Reuter, la présidente du Racing, s’est étonnée que nos confrères de RTL ne fassent aucune mention, dans leur bulletin d’informations sportives de la mi-journée, du match de Ligue des champions féminine qui venait de s’achever entre les Albanaises du Vllaznia Shkodër et ses joueuses, battues 3-1. Son constat allait dans le sens de l’interview qu’elle avait sollicitée et qu’elle venait de nous donner dans l’immense mais désuet salon VIP du stade Loro-Boriçi de Shkodër, juste après cette petite finale du 2e tour de C1, et au cours de laquelle la dirigeante, qui préside également la Lëtzebuerger Football Ligue (LFL, Ligue de football luxembourgeoise), regrettait largement le désintérêt dont est victime, à ses yeux, le foot féminin au Grand-Duché. Notamment de la part de la Fédération luxembourgeoise de football (FLF).
Lorsque nous vous avons contactée pour vous annoncer notre présence en Albanie pour assister au 2e tour de Ligue des champions de votre club, vous nous avez suggéré que nous en profitions pour discuter de la place du football féminin au Luxembourg, et notamment de sa gestion ou son approche par la fédération. Vous aviez visiblement des choses à dire sur le sujet.
Karine Reuter : J’ai effectivement beaucoup de choses à dire. Sur notre campagne européenne, déjà. Pour le premier tour de Ligue des champions qu’on a organisé, on doit payer les hôtels, les bus, etc. Bien évidemment, on reçoit une somme importante à cet égard de la part de l’UEFA, mais quand l’argent arrive, la compétition est déjà passée. Or il est de coutume que la FLF avance une partie des frais de déplacement des clubs européens, qui peuvent aller de 35 000 à 60 000 ou 70 000 euros chez les hommes.
Et l’accueil d’un premier tour de Ligue des champions féminine, combien ça coûte?
Il faut réserver trois hôtels pour les trois équipes étrangères. On est déjà aux alentours de 20 000 à 25 000 euros par équipe. Il faut aussi payer les repas, les déplacements en bus. Donc, pour un tournoi que vous organisez, vous devez au minimum avancer de 80 000 à 90 000 euros, que l’UEFA vous rembourse dans le calendrier qui est le sien.
Et la FLF n’a pas soutenu votre club sur ce volet-là?
On m’a rapporté qu’au niveau du conseil d’administration de la FLF, il y avait des remarques, chacune plus stupide, plus misogyne que l’autre
L’an passé, quand on a accueilli le premier tour de la Ligue des champions, j’avais déjà demandé, par mail, une avance à la FLF, qui m’a dit que c’était possible. Quelque temps après, à l’occasion d’une réunion sur un autre sujet, j’ai relancé la fédération, on m’a encore dit « oui, oui, on fera le nécessaire », mais rien n’a été fait. On ne m’a transféré les fonds qu’au moment où la Fédération avait elle-même reçu les fonds de l’UEFA, alors qu’elle avait bel et bien fait des avances de paiements aux clubs de BGL Ligue qui jouaient l’Europe. Cette année, on s’était entendus, au niveau de la LFL, pour que les clubs qui jouaient la Coupe d’Europe fassent une demande officielle pour avoir un acompte plus important, car les avances de la fédération ne permettaient de couvrir qu’une partie des frais si on avait un déplacement très loin à faire. La FLF nous a accordé un acompte beaucoup plus important sur, je le rappelle, de l’argent qui nous est dû. Ce ne sont pas des fonds qu’on demande à la fédération, mais des avances sur six ou huit semaines, le temps que ça arrive de l’UEFA. Alors pour les dames, j’ai fait la même demande. Et on m’a rapporté qu’au niveau du conseil d’administration, il y avait des remarques, chacune plus stupide, plus misogyne que l’autre. J’ai fini par leur dire : « Écoutez, vous nous faites cette avance ou je vous attaque au pénal ». Parce que l’égalité hommes-femmes, ça vaut aussi pour la fédération. Et finalement, j’ai eu mon acompte.
Mais il a fallu montrer les muscles…
Après, à la fédération, ils me disent toujours que je suis la râleuse de service. OK, mais si personne ne râle, on ne va jamais faire changer quoi que ce soit. Je me suis dit : « c’est donc ça, le respect qu’ils ont par rapport au football féminin? » D’ailleurs, dans le BIO (Bulletin d’information officiel) de la FLF daté du 13 août, on trouve notamment un extrait de la session du conseil d’administration qui a eu lieu le 21 juillet. La fédération souhaitait bonne chance à Differdange et Strassen pour leurs matches de Ligue Conférence du 29 et du 31 juillet, pas à nos dames, sachant qu’elles jouaient le 30. Comme quoi…
Quand nous nous sommes qualifiées pour le 2e tour de la Ligue des champions, je n’ai pas eu un seul mot de félicitations de la fédération
Dans un courrier que nous nous étions procuré, les joueuses de la sélection féminine avaient regretté le manque de reconnaissance dont elles font l’objet, en dépit de leurs progrès ces dernières années, de leur participation aux barrages de l’Euro en 2024 et de leur montée en Ligue B de la Ligue des nations en 2025 – une première pour le pays, hommes et femmes confondus. Pensez-vous que ce manque de reconnaissance peut s’élargir aux championnats féminins et aux clubs féminins luxembourgeois?
Je pense que oui. Regardez : quand nous nous sommes qualifiés pour le 2e tour de la Champions League début août, je n’ai pas eu un seul mot de félicitations d’un quelconque membre de la fédération. Je trouve cela… Mon ego n’en souffre pas, mais je trouve que c’est un manque de considération incroyable. Idem pour la Ville de Luxembourg : la seule chose qu’ils ont fait, c’était de nous féliciter dans leur newsletter! Ce manque d’égards des politiques ou de la fédération pour les dames, c’est incroyable et ça me fâche tellement! Tous les politiciens qui sont à la tribune, à la Chambre, disent : « Oh, il faut être pour les femmes, l’égalité… » Mais c’est du bullshit! Ils ne font strictement rien. Dans le foot non plus, ils ne font rien.
Quel serait le meilleur moyen de mettre davantage en avant les footballeuses et leurs bonnes prestations, quand c’est le cas?
On doit d’abord continuer à faire pression au niveau de la fédération, au niveau politique, mais aussi au niveau de la presse. Cet été, on était en réunion avec RTL et la FLF pour discuter du contrat de streaming pour la BGL Ligue. Une fois l’accord trouvé, j’ai dit à Christophe Goossens (le PDG de RTL Luxembourg) : « quid du streaming des matches de Ligue 1 dames? » Lui et Paul Philipp (le président de la FLF) ont commencé à rire… Si RTL, notre grand média national, a cette attitude vis-à-vis du football féminin, ce n’est pas la peine de demander le soutien du grand public! En juillet, RTL avait dépêché des reporters pour le déplacement de Differdange au Kosovo en Ligue des champions. Je leur ai demandé s’ils allaient faire la même chose pour les dames du Racing, mais on m’a répondu qu’en cette période de congés, personne n’était disponible pour faire le déplacement en Albanie. Traitement égal, mon œil!
À l’image de ce qui s’est notamment fait en France, pourrait-on imaginer la constitution d’une ligue féminine pour faire valoir les droits et augmenter la visibilité de la Ligue 1 dames ou des autres championnats féminins? Voire aller chercher d’autres partenaires médiatiques que RTL?
Tout à fait. Au sein de notre club, on a déjà évoqué le fait d’engager des démarches pour peut-être créer une section féminine au sein de la LFL, ou carrément une LFL féminine, et de s’associer à des partenaires, comme des cheffes d’entreprise ou des organisations qui sont là pour promouvoir les femmes. Pour ce qui est de la diffusion, si on parvenait à avoir des caméras Veo et une plateforme de streaming, ce serait déjà un très grand progrès.
Reste que ces caméras représentent un certain coût pour les clubs qui n’en sont pas déjà dotés pour les matches de leur équipe masculine.
Je suis d’accord, mais si on veut avoir plus de respect pour le football féminin, il faut se professionnaliser, engager des moyens et mettre les équipes dans de bonnes conditions. Pour faire des analyses de match, en Ligue 1 dames, la caméra Veo me semble être un outil essentiel. À partir de là, on peut créer une plateforme de streaming. De toute façon, tous les clubs qui demandent une licence UEFA ont désormais des obligations vis-à-vis du football féminin. Vous devez avoir a minima une collaboration très étroite avec un autre club qui a une équipe dames, sinon faire partie d’une entente ou carrément avoir une équipe féminine. Donc, dans les années qui viennent, il y aura des équipes féminines dans tous les clubs de BGL Ligue. Opportunisme ou non, si les règlements ne l’imposent pas, il n’y aura aucun effort de fait. Maintenant, je ne suis pas fan des ententes : est-ce que ça constitue vraiment une équipe d’un club? Moi, je ne pense pas, mais ce n’est que mon opinion. Et ça reste un premier pas vers une professionnalisation du foot féminin luxembourgeois.
Depuis cette année, un quatrième arbitre officie dans les rencontres de BGL Ligue. Pendant ce temps, en Ligue 1 dames, il n’y a toujours pas d’arbitres de touche. N’est-ce pas la meilleure illustration du manque de moyens alloués au football féminin?
Exactement! C’est ce que je réclame depuis trois ou quatre ans, et il n’y a aucune réaction. Mais je dois dire que ça ne concerne pas seulement les dames. Quand on a joué à Rodange en début de saison (1-1, 1re journée), on a dû tester 40 ballons pour en avoir six de valables, alors qu’en Coupe d’Europe, il y a des tests obligatoires avant les matches. L’encadrement des matchs de championnat n’est pas encore au niveau auquel il devrait être si on veut se rapprocher du niveau des pays voisins.
De manière plus générale, vous plaidez pour une réforme globale de l’arbitrage qui ne concernerait pas exclusivement le football féminin.
Exactement. Aujourd’hui, c’est dur de trouver des arbitres. Mais si on faisait une réforme dans laquelle on valoriserait plus les arbitres, ce serait beaucoup plus facile d’en trouver. Parmi les joueurs en fin de carrière, il y en a certainement qu’on pourrait recruter comme arbitres, mais pour accepter de retourner sur le terrain alors qu’on a été absent tous les week-ends pendant des années, il faut que ce soit attractif financièrement. On ne fait pas ça pour 3,50 euros.
Pour revenir au football féminin, dans l’un de nos précédents échanges, vous regrettiez le fait qu’il n’existe pas de pôle qui y soit exclusivement dédié au sein de la fédération.
Non, c’est seulement madame (Karine) Nardecchia qui s’en occupe, et encore : on sait tous que c’est Paul Philipp qui décide de tout. Et Paul Philipp ne porte pas le football féminin dans son cœur… Cela dit, en tant qu’administratrice, il faut avoir le courage de dire aux autres membres du conseil : « écoutez les gars, je suis la représentante du football féminin ici et maintenant, on arrête les conneries ». Et c’est pareil pour tous les autres membres! Mais ce ne sont que des marionnettes. Ce n’est pas pour ça qu’on a un conseil d’administration. Il faut tout de même être reconnaissant pour tout ce que Paul Philipp a fait pour le football luxembourgeois. Ça, c’est indéniable. Mais il faut aussi, à un certain moment, reconnaître qu’il est temps d’impulser un changement au niveau de la direction, impulser de nouvelles idées. Pour moi, une présidence de 10-12 ans, c’est amplement suffisant. Regardez les conseils d’administration des grandes entreprises : je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup, des présidents qui sont là depuis 10-15 ans. C’est trop long. On finit par arriver à court d’idées. Il ne faut pas oublier non plus que Paul Philipp a quand même un certain âge (74 ans). À son âge, normalement, on est en retraite. Donc, je pense qu’il faut un changement de fond en comble de la fédération.
Ce changement peut-il intervenir dès 2025, selon vous?
Je peux vous garantir une chose : personnellement, je ne vais pas laisser la paix au CA de la FLF
Alors, ça, c’est une très grande discussion que beaucoup de gens sont en train de mener. C’est la fameuse question autour du budget. Si le budget, lors de l’assemblée générale de cette année, n’est pas accordé, en principe, le conseil d’administration doit démissionner. Et cette année, on insiste pour qu’un véritable vote sur le budget ait lieu. Plein de questions seront posées, parce qu’il y a des choses qui ne vont pas, tout simplement. J’ignore quelle sera la posture des clubs de la LFL, mais moi, je peux vous garantir une chose : personnellement, je ne vais pas la paix au conseil d’administration. C’est hors de question que la Fédération continue à cacher le détail de ses dépenses. Si on ne nous le donne pas, je vais faire un scandale. Et si personne ne me suit, je m’en fous.
Quels sont les points du budget qui vous dérangent?
Pour le savoir, il faudra venir à l’assemblée générale, le 25 octobre.
Concernant le football féminin, y a-t-il des rendez-vous de prévus entre les différentes instances du football luxembourgeois pour, justement, le développer, le faire avancer?
Pas que je sache. J’aimerais, mais je dois aussi faire un petit mea-culpa : je n’ai pas non plus trouvé le temps, dernièrement, d’essayer de réunir tous les présidents des clubs qui jouent en Ligue 1 dames pour discuter de la façon dont on pourrait faire évoluer le football féminin. Après, cela peut venir de quelqu’un d’autre, d’un autre club, mais je pense qu’à l’avenir il faudra déjà faire une réunion et voir ce que ça donne.
Au-delà de vos activités professionnelles, vous présidez déjà un club de football et la LFL. Si une ligue féminine venait à être créée, pourriez-vous envisager d’en être également la présidente?
Peut-être. Mais c’est aussi ce qui me chagrine dans le football féminin, au niveau de l’UEFA : il n’y a que des femmes. Les déléguées, les arbitres, ce ne sont que des femmes. Moi, je pense que pour avoir un bon équilibre, un bon fonctionnement, il faut avoir un petit mélange, qu’il y ait des éléments masculins dans le football féminin et inversement. Je pense que ça peut faire avancer les choses. Y compris dans une éventuelle ligue féminine.
Pour conclure sur votre club, il avait été question, il y a deux ans, d’une forme de désengagement ou de prise de recul de votre part vis-à-vis de votre section féminine. Qu’en est-il aujourd’hui?
Pas plus tard qu’il y a une demi-heure, j’ai écrit à un contact pour lui donner des informations en vue d’un recrutement pour la saison prochaine, parce que j’ai vu des trucs intéressants en Albanie. Non, non, non, on veut continuer dans les trois sections, les dames, les hommes et l’académie. On veut avancer. D’ailleurs, ce qui a été raconté il y a deux ans, à la suite du départ de Philippe Ciancanelli (NDLR : l’ancien responsable de la section féminine du RFCU), c’était du n’importe quoi. Ce que j’ai toujours dit, en revanche, et dès ma première année de présidence, c’est que je ne serais pas là éternellement. Ce que je veux mettre en place, c’est une organisation qui permette au club de pouvoir vivre, et bien vivre, même si je ne suis plus présidente un jour. Que les choses ne soient pas exclusivement dépendantes de moi. Car des choses comme il s’en est passé à Hesperange, pour moi, c’est inacceptable.