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[Football] Hervaine Moukam : «Ils sont fous, on ne joue pas au foot par -21 °C»


Il a fait le tour du monde. Photo : mélanie maps

COUPE (8e DE FINALE) Hervaine Moukam, l’attaquant de Rumelange, défie la Jeunesse ce mercredi soir du haut d’une expérience internationale extraordinaire, de Grèce en Chine, du Bélarus au Kazakhstan.

En 16es de finale contre Mersch (4-0), Gérard Jeitz, qui en a vu passer des joueurs en tant que coach puis président de l’US Rumelange, a assuré que le Franco-Camerounais était son «meilleur transfert des dix dernières années». Tant pour le jeu que pour la personnalité du garçon. Cela donnait forcément très envie d’aller le voir avant Rumelange – Jeunesse.

Pas de faux suspense : vous êtes le seul joueur du Grand-Duché à avoir joué avec Messi.

Hervaine Moukam : (Il rit) Ah oui, oui : Rayane Messi, Franco-Camerounais, comme moi, que j’ai fréquenté en équipe de France jeunes. C’était un mec avec lequel j’aimais bien jouer pour ce qu’il propose offensivement. Un mec qui joue avec sa tête plus qu’avec ses jambes. Quand tu ne joues qu’avec tes jambes, tu trouveras toujours un mec qui court plus vite que toi.

Mais quand on joue avec sa tête, on peut aussi trouver quelqu’un qui réfléchit plus vite ou mieux…

Oui, mais j’aime développer le côté intellectuel du football. C’est aussi pour ça que je suis venu à Rumelange : parce que je savais que je retrouverais des gars qui pensent comme moi, comme Valentin Sannier, que je connais depuis que j’ai 12 ans et avec lequel je sais que le football, ce n’est que du plaisir.

Pour vous, est-ce que le plaisir a commencé en Grèce, à 19 ans, du côté de l’Asteras Tripolis ?

Pour percer, quand on est jeune, la Grèce, ce n’est pas l’idéal. Mais c’est aussi le moment où tu apprends, quand pour être sûr de jouer, il faut vraiment que tu survoles ton sujet. C’est dans ce genre de moments que tu apprends que le foot pro, en fait, c’est du business. À l’époque, il y avait beaucoup d’Argentins dans le club, avec des agents implantés depuis au moins deux ou trois ans et qui avaient déjà fait des deals entrants et sortants. Le club savait qu’avec eux, les affaires marchaient. À la fin de la première saison, l’Olympiakos me veut. Ils cherchent un latéral droit or c’est là que le coach m’a repositionné. Sauf que notre directeur sportif leur suggère de prendre, à ma place, l’Argentin avec lequel j’étais en concurrence et qu’à la fin, c’est un Argentin qui joue sur un poste différent qui a fini par partir… Là, Éric Tié Bi (NDLR : milieu de terrain, ancien international ivoirien) me dit : « Soit tu pleures, soit tu te te donnes encore plus aux séances. Tu penses que tu as touché le fond ?« . Moi, je lui réponds : « bien sûr !« . Et là, il me dit : « Non! Plus tard, tu seras beaucoup plus costaud que ceux qui n’ont pas connu ça!« . Il avait raison.

Il me répond « 1 700 euros », mais j’y vais, pas de souci

Comment vous retrouvez-vous au Bélarus ?

Ça, c’est une histoire. Quand je finis en Grèce, un ancien coéquipier messin, Yohan Croizet, me trouve un essai à Louvain. Je fais l’essai, ça marche et le mercredi, on me présente un contrat que je dois signer le samedi, non sans me préciser : « Ne sois pas trop chiant, ne négocie pas, signe« . Bref, tout est calé et le jour où un gars doit passer me chercher pour signer, plus de son, plus d’image, rien. Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas ce qui s’est passé.

On est encore loin de Grodno, votre prochain club…

Je me retrouve en effet pour six mois à Amnéville, avec l’actuel président de Thionville, François Ventrici. Un gars bien. Mais moi, je suis nul. Tellement nul que j’imagine que mes coéquipiers devaient se demander : « Mais ce gars-là a été pro?« . Ma femme était enceinte et pour la première fois de ma vie, je travaillais. J’essayais de devenir un jeune adulte et je faisais chauffeur-livreur. Je me réveillais tous les jours à 3 h du matin pour un premier job jusqu’à 7 h, puis j’en avais un second qui allait de 8 h à 17 h. Ma femme me disait : « Tu te plains ? Mais il y en a qui font ça pendant plus de vingt ans !«  Mais le pire, c’est qu’au foot, j’étais nul ! Et un soir, je reçois un coup de fil d’un pote pour un essai au Bélarus. Il me demande : « Ça te dirait ?« . Je demande quel est le salaire. Il répond 1 700 euros. En Grèce, j’étais à 5 000, mais j’ai vu ce qu’il fallait faire dans le monde du travail pour un SMIC, alors je lui dis : « Mais j’y vais ! Pas de souci !« . C’est moi qui paye mon billet d’avion. J’arrive à Minsk, il fait -21 °C ! Je suis prêt à reprendre mon billet de retour pour le lendemain en me disant que ces gars sont fous, qu’on ne peut pas jouer au foot dans ces conditions. Mais je vais au moins voir. Là, ils me mettent dans la chambre d’un Camerounais. Le matin, on se lève, il fait encore -20 °C. Lui se prépare, moi je reste au lit. Il me demande ce que je fais. Je lui explique qu’il fait -20 °C et il me dit : « Non, non, prépare-toi !« . Et là, après avoir rencontré un coach en simple survêtement avec la fermeture éclair à moitié descendue, on part courir dans les bois. Je ne trouvais même pas mon souffle. En plus, je me blesse au tendon d’Achille. En général, un essai, quand tu te blesses…

Mais ils vous gardent…

Et pourtant, en championnat, comme à Amnéville, je suis nul, nul, nul ! J’avais une philosophie de jeu et eux étaient surtout physiques. Je prenais cher à chaque fin de match par le coach. Et puis un jour, je suis titulaire et je marque. Ça prend. Je deviens la plaque tournante, je donne des passes, je marque. Jusqu’à ce que je signe au BATE Borisov.

En six mois, je suis passé de chauffeur-livreur à Arsenal et Chelsea !

Et pourtant, on vous pronostiquait des difficultés, non ?

J’étais le premier Noir de l’histoire du club. Avant moi, il n’y avait eu qu’un Brésilien chocolat au lait.

Et c’est là-bas que vous avez joué, notamment, Arsenal et Chelsea en Europa League.

Je suis passé en six mois de chauffeur-livreur à Arsenal et Chelsea ! À cause de ma couleur, j’étais déjà devenu le chouchou du public et me voilà à rentrer contre les Gunners dans un match qu’on gagne 1-0. Il y a 35 000 personnes dans le stade, c’est fou. Mais je me rappelle surtout d’une conversation que j’ai eue avec l’Italien Jorginho. Parce que je me demandais depuis longtemps ce qui faisait la différence entre des joueurs de ce niveau et nous. Alors j’y vais, après le match, et je lui pose la question. Ça le fait rire et en toute humilité, il me répond : « À part Eden Hazard, ce soir, est-ce que tu as vu quelqu’un faire des trucs exceptionnels ?« . Je lui dis non. Alors lui, il poursuit : « Eh bien voilà, c’est ça. La différence, c’est qu’il faut faire les choses bien et les faire vite« . Une simple passe, dans le bon tempo, au bon endroit, dans le football, c’est le plus dur.

Olivier Giroud et moi, on a le même aumônier

C’est votre seul souvenir de ce grand moment de votre carrière ?

(Il sourit) Non parce que j’ai aussi discuté avec Olivier Giroud, ce jour-là. Lui et moi, on a le même aumônier. Nous faisions des temps de prière et d’étude biblique ensemble. Il ne se souvenait pas forcément de mon visage, mais se souvenait de mon nom. Alors, on a discuté.

Mais vous ne l’avez pas retrouvé au retour, sur le terrain, à Stamford Bridge ?

Non. Mais qu’est-ce que c’est impressionnant de jouer en Angleterre. Bon sang… Quand un joueur est en position de tir, c’est magique : le stade t’encourage littéralement à frapper ! Quand on s’était retrouvés à jouer contre Arsenal, à l’Emirates, à un moment, le coach se tourne vers le banc et là, je vous jure que c’est vrai, je me suis reculé pour ne pas qu’il me choisisse. J’avais déjà eu la même chose une fois, en Grèce, lors d’un match contre le Panathinaïkos, en play-off. Ce jour-là, le coach m’avait choisi, mais à cause des supporters, j’avais les jambes qui tremblaient. À Arsenal, même chose : on a envie d’y aller, de vivre ça, mais c’est une telle pression qu’on hésite. Mais je n’avais pas plus joué qu’à Arsenal alors que quelques mois plus tard, ce seraient les deux finalistes (NDLR : victoire 4-1 de Chelsea). Cela dit, quand je me suis retrouvé en Coupe avec Rumelange contre Mersch, avec un peu plus de pression que d’habitude, j’ai adoré! Alors là, contre la Jeunesse… Encore que, au tirage, à l’automne dernier, on se disait que c’était jouable mais depuis, vu ce qu’ils font…

Après le Bélarus, il y a eu le Kazakhstan.

À cause du président biélorusse (NDLR : Loukachenko)! Il n’appréciait pas les résultats de la sélection nationale alors il a exigé de mettre un nombre minimal de joueurs locaux sur la feuille de match, avec plafonnements de salaires pour les étrangers. Alors tous les étrangers ont déserté. Moi, j’avais encore un an mais mon ancien coach était parti à Aktobe et m’a demandé si ça m’intéressait. J’arrive avec l’étiquette de fils du coach… qui se fait virer au bout de cinq matches. Et là, je suis dans un championnat où on te colle double pression parce que quand un local fait une erreur, on te demande pourquoi tu ne lui as pas filé un coup de main. Mais j’ai fait la saison complète, bien que le maire ait changé entretemps et que les subventions allouées au club aient été drastiquement baissées. Il a donc fallu repartir, même si ma femme kiffait, malgré les gens qui venaient toucher les cheveux de nos enfants, par curiosité.

Koulibaly me dit : « Si tu veux finir l’entraînement, ne reviens plus de ce côté »

Et là, direction la Chine ?

J’avais déjà des contacts avec Rumelange à l’époque. Mais un agent chinois qui avait fait ses études à Nancy me propose le club de Qingdao. Il y avait des avantages et des inconvénients, mais je me suis dit que j’allais forcer encore un peu.

Si on vous demande quels étaient les avantages et les inconvénients ?

Ah ben les avantages, quand on va aussi loin, évidemment, c’est le pécule ! Même si footballistiquement, là-bas, malgré la présence de beaucoup de joueurs brésiliens et de beaucoup de coachs espagnols, ils sont en retard. Cela reste un jeu très direct. Pas mon truc.

Et les inconvénients ?

Deux ans après le covid, je dois rester 31 jours dans une chambre d’hôtel à mon arrivée. Au bout de quelques jours seulement, je me parlais à moi-même. Je pétais les plombs. J’avais voulu éviter ça à ma femme et aux enfants alors j’ai pris la difficulté sur mes épaules et je suis parti seul. Et je me faisais la conversation. J’ai fini par demander à l’agent de m’acheter une PlayStation. Dans la chambre, j’avais des haltères, un tapis de course, un vélo… Mais à un moment, même le sport te saoule. Quand j’ai enfin pu sortir pour rallier Qingdao, où je devais refaire trois jours d’isolement, l’agent m’a dit : « On va au restau ?« . Je lui ai répondu : « Et c’est moi qui t’invite !« , tellement j’étais content de revoir du monde. Mais je vous promets : après les repas à l’hôtel, je n’ai plus remangé de riz pendant un mois.

La formation au FC Metz, avec notamment l’Hesperangeois Bryan Nouvier ou votre ami Bouna Sarr (Bayern Munich), ça vous avait préparé à ça ?

Ah Bouna… On était super proches. J’étais surclassé mais lui, il mettait des pilules à tout le monde ! Tant en vivacité qu’en technique. Mais je me souviens surtout de Kalidou Koulibaly (NDLR : ex-Naples et Chelsea). On s’entendait super bien mais un jour, à l’entraînement, je suis sur son côté, et je le dribble. L’action d’après, il me marche sur le talon et quand je me relève, il me dit : « Va de l’autre côté du terrain et ne reviens plus si tu veux finir l’entraînement« . Alors, je prends cette alternative, mais les coachs avaient vu ça et m’ont demandé d’y retourner. Alors les ballons suivants, je faisais des contrôles très longs pour me dégager… C’est comme ça dans le milieu du foot. C’est un défi psychologique permanent. Soit tu es prêt mentalement, soit non. Et le respect se gagne sur le terrain. Il n’y a que si tu fais des différences en match qu’on a intérêt à faire attention à toi.