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[Football] D’anciens internationaux l’assurent : «Pour moi, le temps de Gerson est fini»


(Photo : Jeff Lahr)

Cinq anciens internationaux du début du siècle ont accepté de donner leurs avis (très disparates) sur la mise à l’écart de Gerson Rodrigues par la fédération. C’est sans concession.

Tous ensemble, ils représentent 149 sélections nationales. Mais au-delà du nombre de fois où ils sont montés sur un terrain pour porter les couleurs du pays, ils ont aussi vécu un nombre de stages et de rassemblements assez conséquent.

Les dynamiques d’un groupe, Tom Laterza, Massimo Martino, Ben Payal, Marc Oberweis et Claudio Lombardelli connaissent. Ils font partie de la génération du début du siècle.

Trop vieux pour jouer et donc devoir se taire, trop jeunes pour être réactionnaires et taxés de réagir «à l’ancienne». Nous sommes allés leur demander ce qu’ils pensaient de la mise à l’écart de Gerson Rodrigues, actée en début de semaine par la FLF.

La décision de la FLF

«Sous la pression des politiques»

Ils ont vécu dans la maison pendant des années, mais ne sont pas tendres avec la gestion «mondercangeoise». Et Claudio Lombardelli renverse d’emblée la question de la pertinence de cette décision du début de semaine.

«Déjà, je continue de ne pas comprendre qu’on l’ait pris en juin pour des matches amicaux sans importance ! De ce point de vue-là, la fédération ET le sélectionneur sont fautifs.» Pour lui comme pour tout le monde, il y avait moyen de mieux faire les choses pour éviter d’en arriver là.

«Certaines décisions auraient dû tomber plus tôt, confirme Martino. Mais ils ont pris celle-là sous la pression des politiques dont je pense que certains ont voulu se construire une image sur le dos de Gerson. Il aurait fallu le sanctionner bien plus tôt, avant qu’il ne fasse du mal à l’image du pays et à la fédération. Ils ne voulaient pas de double peine pour lui ? Mais c’est là, maintenant, qu’ils le sanctionnent doublement.»

Ben Payal est tout à fait d’accord : «À un moment, il faut le punir. Mais le faire comme ça… Disons qu’il aurait fallu réagir avant.»

Du coup, Tom Laterza en tire des conclusions qu’il est le seul à formuler ainsi, mais qui lui semblent être des conséquences logiques : «On doit opérer un changement de génération au niveau des joueurs, du staff et même de la fédération, qui est très vieille école. Ils n’ont pas suivi l’évolution du professionnalisme des joueurs. Il n’y a qu’à voir la façon dont ils ont géré le cas Rodrigues. C’était catastrophique. Quant au staff, je crois qu’il n’est plus à la hauteur parce qu’il ne peut plus faire la part des choses et a trop d’affinités avec quelques joueurs. À ce niveau, ce n’est plus possible que l’entraîneur fasse des faveurs à certains que d’autres ne peuvent pas revendiquer.»

Une perte sportive ?

«Pour moi, il n’est plus indiscutable»

On s’attendait à plus d’intransigeance de la part des anciens. Mais globalement, peu estiment que Gerson Rodrigues, exception faite des «affaires», n’a plus sportivement sa place sur le terrain.

Le seul à en douter ouvertement, c’est Marc Oberweis, qui étaye son point de vue : «Cela fait un moment qu’il n’est plus au-dessus du lot et qu’il ne pèse plus, hormis quelques exploits individuels et buts sur penalty. Il vit encore de son nom, mais il y a plus de négatif que de positif. D’autant qu’il n’est pas au top physiquement. Cela se voit qu’il ne joue pas beaucoup et que l’hygiène de vie ne s’améliore pas. Son corps se dégrade et les sorties en boîte de nuit n’aident pas.»

Pour Tom Laterza, il est même déjà un peu temps de déplacer le débat sur la succession : «Se baser sur un seul joueur ne serait pas juste, parce qu’il y a d’autres garçons qui vont exploser dans les deux ou trois prochaines années.»

Seulement, si pour Claudio Lombardelli «tout le monde est remplaçable», Massimo Martino résume quand même une évidence que tous partagent, à savoir qu’il est dur de ne pas penser à son expérience et ses statistiques.

«Je pense qu’il reste un des meilleurs joueurs du pays et que c’est dur de penser faire sans notre meilleur buteur. On n’a pas de deuxième Rodrigues. Madjo n’a pas son expérience. Après, comment ça va aller, avec son état de forme, à Gerson ?»

La réponse s’esquisse dans des salles de fitness de Thaïlande. Ou dans celle du FC Metz. Mais Ben Payal en doute un peu : «Au moment où on avait Aurélien Joachim, on n’avait déjà personne derrière. Après, Dave Turpel aurait dû le remplacer, mais bon… Là, je ne sais pas si on a ce qu’il faut pour compenser.»

La réaction du groupe

«Bien sûr qu’ils en discutaient, de Gerson !»

Là, au moins, il y a unanimité : cela sent le soulagement pour les Rout Léiwen. La pression va retomber. La vie, retrouver un cours fluide et apaisé. Ces anciens «insiders» sont formels, le soutien soi-disant inconditionnel à Gerson, ce corporatisme dérangeant que l’on nous vendait en conférence de presse pour enterrer les questions… n’existe que dans l’imagination du staff.

«Tous les événements autour de lui ne peuvent pas ne pas peser sur la vie du groupe, assène Marc Oberweis. J’ai été suffisamment longtemps immergé dans ce genre de vie en communauté pour savoir ce qui se passe dans les têtes, surtout quand il y a plein de gars sérieux, très pros, et qu’un seul gars est constamment en train de perturber le climat.»

Claudio Lombardelli va même beaucoup plus loin : «J’ai lu chez vous que Luc Holtz disait que ce n’était pas un sujet du tout, les problèmes de Gerson avec la justice. C’est faux ! Ce n’est pas parce que les joueurs n’en discutent pas en sa présence que cela n’existe pas ! Bien sûr qu’ils en discutent entre eux. Et ça, l’histoire de la condamnation pour violences conjugales, croyez-moi, ils en ont parlé. Mais après, ils restent des joueurs de foot et, sur le terrain, ils doivent faire leur boulot. Que ça fasse plaisir ou pas de jouer avec un gars, on n’a pas d’autre choix que d’accepter.»

Le côté enfant terrible, Ben Payal n’est pas le dernier à savoir ce que c’est. Mais avec le recul de l’âge, il a du mal à ne pas ouvrir de grands yeux à l’évocation de l’effet Gerson sur le club Luxembourg.

«La sélection, il faut la respecter. Pour un groupe, ce comportement, ça peut faire mal. Je sais que beaucoup de joueurs n’ont pas apprécié les trucs qu’il a pu faire. Je veux bien qu’on rame tous ensemble, mais l’ambiance, elle devait être bien tendue chez eux. Il y a tant de fois où tu penses, à propos d’un autre joueur : « C’est quelque chose que je ne ferai jamais de ma vie ». Je me rappelle que des fois, quand on voyait que Maxime Chanot ne venait pas des États-Unis pour un amical, on en discutait ! Genre : « Il ne vient pas pour un amical contre la Lituanie, mais il vient pour un officiel contre la France ?! ».

Des trucs aussi simples, aussi cons que ça. Alors vous imaginez, là, avec ce qu’a fait Gerson ? Forcément qu’il y a des gars qui n’ont pas supporté, certainement qu’il y en a qui se sont dit « moi, je n’aurais pas eu de deuxième chance comme ça ». Mais personne ne se lèvera pour le dire devant la presse. Pourtant, quelqu’un aurait peut-être dû le faire… Luc aurait dû le faire, tiens.»

Au sujet du sélectionneur, d’ailleurs, Massimo Martino voudrait recontextualiser son investissement. Parce que cela lui semble être une question d’honnêteté intellectuelle.

«Il ne faudrait pas croire que c’est facile pour Luc Holtz. Pour lui en avoir parlé parfois, je sais qu’il gérait du mieux possible, mais que ce n’était pas évident.» Et si le sélectionneur, pour la fin de son bail, y gagnait en tranquillité d’esprit ce qu’il y perdra sportivement ?

Une dernière chance ?

«Ça dépendra du nouveau sélectionneur»

Claudio Lombardelli a un peu de mal à entendre la suggestion. Pour une raison bien simple : «Quand j’étais en U13 et en U15, mon modèle, moi, c’était Manou Cardoni. Irréprochable. Aujourd’hui, Gerson Rodrigues, ce n’est pas un bon exemple pour les jeunes, donc l’exclure était une bonne décision.» Autant dire que cette petite phrase, le fameux «jusqu’à nouvel ordre», glissée dans le communiqué de la FLF, il a du mal à l’avaler.

Mais il semblerait bien qu’il soit le seul. Les autres sont prêts à l’envisager. C’est a minima pour Marc Oberweis, pour qui la condition est qu’il ne revienne pas en tant que patron à qui l’on pardonne encore tout :

«Ce ne sera plus la star qui porte l’équipe sur ses épaules. D’autres, désormais, sont plus importants. Pour moi, le temps de Gerson est fini. Sauf s’il change de comportement. Mais même s’il y parvient, le chemin est long avant de pouvoir revenir. Il s’est fait une très mauvaise réputation.» Cette réputation fait sourire Martino : «C’est lui le plus gros sponsor de la FLF, tant il a reçu d’amendes ces dernières années.»

Peut-il revenir et cette fois sans avoir à se faire sanctionner à répétition ? «Cela dépendra sans doute du nouveau sélectionneur», assume Payal, évoquant un technicien que la FLF devrait commencer à choisir après les vacances d’août.

«Est-il capable d’arriver et de dire, fermement, « voilà mes règles, je te reprends, mais si tu ne les respectes pas, il n’y aura pas de deuxième chance » ?»

Ce serait une cinquième «deuxième chance», mais de guerre lasse, Claudio Lombardelli se résout à voir l’évidence en face, celle qui veut que ce n’est sûrement pas encore fini : «Je pense qu’il peut revenir. Ils l’ont dit : ils n’ont pas fermé la porte. Mais s’il se refait virer dans six mois, cette fois de Thaïlande…»