Les frontaliers français ressortent rassurés de l’avenant signé ce jeudi matin entre le Luxembourg et la France sur la fiscalité. Mais d’un point de vue des états, et non plus des individus, on peut se demander qui y gagne et qui y perd dans le jeu des relations internationales.
Bruno Lemaire est arrivé souriant ce jeudi matin, pour signer le nouvel avenant mettant fin à une éventualité pour la France : celle de taxer, à la hauteur des barèmes français, les impôts sur le revenu des 104.000 frontaliers après passage de l’état luxembourgeois. Une pratique courante au niveau mondial en réalité, et un standard de l’OCDE. « C’est un beau stylo que nous avons là pour signer, a lancé le ministre des finances français, pour détendre l’atmosphère. Décidément, l’état luxembourgeois est généreux !» Mais dans les faits, en s’attardant sur certains points de la convention, pas sûr que ce ne soit pas la France qui soit « généreuse » aussi avec le Grand-Duché.
La fin de la « double imposition » : un joli coup pour le Grand-Duché
Cet avenant est une bonne opération pour le Luxembourg, mais sur un tout autre plan que la fiscalité pure. En l’occurrence, l’accès à la main d’œuvre : une fiscalisation plus lourde des revenus frontaliers les plus bas aurait pu, à terme, accélérer un tarissement de la main d’œuvre frontalière dans les métiers les moins bien payés (restauration, etc.)
En effet, déjà dégoûtés par des transports de plus en plus difficiles vers le Grand-Duché, ces derniers auraient pu se dire qu’avec une fiscalité plus lourde, décidément, ça ne valait plus le coup de franchir la frontière.
Un connaisseur de la fiscalité internationale nuance toutefois : « l’impact aurait été à la marge, d’une centaine d’euros par an peut-être… » oui mais sur des petits salaires ? Surtout, des impacts plus conséquents auraient pu avoir lieu à l’avenir, si la France se décidait à augmenter sa fiscalité sur le revenu des personnes, ou à l’inverse, le Luxembourg à la baisser. Peu importe le jeu de concurrence entre les deux états désormais : c’est un feu en moins à surveiller pour le Grand-Duché, dans sa façon de rester attractif vis-à-vis des frontaliers français, un enjeu clef pour l’économie du pays.
Une mesure plus hasardeuse pour la France
D’un point de vue de l’état français, tout indique qu’il aurait été logique de récupérer une part raisonnable de l’impôt des frontaliers. Ceux-ci sont globalement formés aux frais de la France et surtout, ils utilisent en majeure partie des services publics du côté français (éducation, infrastructures etc.). Ceci explique, d’ailleurs, que l’état français ait conclu des conventions bilatérales spécifiques avec tous ses états frontaliers, qui vont toujours plus loin que le standard OCDE sur ce point précis. Que ce soit avec L’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Italie, Monaco… ces conventions prévoient toujours une forme de répartition de l’impôt sur le revenu des « navetteurs » et autres «pendulaires», avec divers modèles sur la table.
Or ce jeudi matin, la France a signé un avenant avec le Luxembourg qui va moins loin que le standard OCDE (méthode dite du crédit d’impôt ou de l’imputation décrite plus haut). Un mouvement inverse à toutes les relations que la France entretient avec ses voisins, qui peut donc étonner. Il faut croire que d’autres enjeux ont primé en mars 2018 entre la France et le Luxembourg -nous pensons ici aux négociations autour de la définition d’un établissement stable à l’international par exemple- pour que le voisin s’assoie sur ces millions d’euros chaque année.
Hubert Gamelon
L’incroyable cadeau au Luxembourg sur les retraites
Sur le même volet, un autre point est intéressant à étudier. Les négociations fiscales auraient pu être l’objet d’un redressement d’une situation méconnue : depuis 1960, l’ancienne convention fiscale prévoyait que les impôts sur les retraites des frontaliers seraient prélevés en France et non au Grand-Duché, conformément à un standard de l’OCDE.
Mais depuis, c’est pourtant le Luxembourg qui a toujours prélevé l’impôt à la source sur les retraites privées des frontaliers français.
Il s’agit là de millions d’euros accumulés au fil des années… et d’avantage à venir avec l’explosion du travail frontalier ces quinze dernières années (les frontaliers français représentent presque 1/4 des actifs du Luxembourg !)
Mars 2018, on efface tout
Mais de redressement, il n’en n’a pas été question. Quand on lit la nouvelle convention fiscale qui entrera en vigueur le 1er janvier 2020. L’article 17 tranche le problème comme suit :
« 1) Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 de l’article 18, les pensions et autres rémunérations similaires, payées à un résident d’un Etat contractant au titre d’un emploi antérieur, ne sont imposable que dans cet Etat.
2) Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les pensions et autres sommes payées en application de la législation sur la sécurité sociale d’un Etat contractant ne sont imposable que dans cet Etat. »
En clair, la France déchire le chèque et renonce même à partir du 1er janvier 2020 (juste après Noël !) à prélever définitivement l’impôt sur les retraités frontaliers. Une manne colossale pour ces prochaines années.
Encore une fois, on peut penser que cette dette a pu servir de monnaie d’échange dans d’autres domaines épineux entre les deux pays. Mais que de concessions exceptionnelles !