Accueil | A la Une | Fièvre catarrhale : premier bilan, premières critiques

Fièvre catarrhale : premier bilan, premières critiques


Bien que la mortalité concerne surtout les moutons, les vaches allaitantes et laitières sont aussi touchées par la fièvre catarrhale dans leur production.

Après plus de six semaines de propagation et des centaines des cas recensés, les éleveurs dressent un premier bilan peu glorieux pour l’État sur l’impact de la fièvre catarrhale.

«Il y a plus d’un mois, un copain m’a dit qu’il avait une bête malade. Le lendemain, je suis allé voir les miennes et j’en avais trois de malades.» Ce jour-là, Franck Lamberty, éleveur ovin à Kalborn, ignore encore qu’il s’agit du début de l’épidémie de fièvre catarrhale ovine (FCO). Comme pour beaucoup d’autres, tout s’enchaîne très vite après les premiers cas détectés le 2 août dernier. «À mon avis, sur mes 70 bêtes, 50 ou 60 l’ont eue», estime l’éleveur qui a perdu sept ovins depuis le début de la propagation.

Au vu des derniers chiffres de l’administration luxembourgeoise Vétérinaire et Alimentaire (ALVA) et du rafraîchissement des températures qui freine la propagation du virus par les mouches culicoïdes, les éleveurs semblent désormais pouvoir souffler un peu. «Sur les derniers jours, je n’ai rien vu» se réjouit Franck Lamberty. «J’ai vacciné donc normalement. Dans moins de trois semaines, la protection vaccinale sera complète et la météo aidera aussi», relativise également Jürgen Albers, éleveur à Wincrange.

Les six dernières semaines que viennent de vivre les éleveurs luxembourgeois laisseront tout de même des traces. «Le moral prend un coup quand on perd un animal. C’est toujours comme une défaite et quand vous avez trois défaites dans la journée, ce n’est pas super», témoigne l’éleveur du nord du pays. «On est fermiers, on aime les animaux et les voir en bonne santé», résume Lydie Kauffman-Hall qui a, elle, perdu deux moutons et un veau.

Des pertes à tous les niveaux

Forcément, l’impact est également financier. Pour les bêtes qui souffrent trop, des médicaments peuvent être prescrits moyennant un traitement à 50 euros pour un mouton et à 150 euros pour une vache selon les éleveurs. Un coût important d’autant plus que ces derniers déplorent la hausse actuelle des frais des vétérinaires. «J’ai vacciné 50 moutons en une heure et il a pris 270 euros. J’ai demandé à l’inspection vétérinaire et ils m’ont dit qu’ils peuvent prendre à la limite 1,50 euro par bête ou alors 90 euros par heure», fulmine encore l’éleveuse.

Pour les vaches allaitantes, destinées à l’élevage de veaux pour la production de viande, la FCO cause des vêlages précoces et mortels. «Et quand une vache vêle et que le veau est mort, on a plus d’une année sans rien de cette vache, donc la fertilité va baisser et cela va avoir un impact énorme», prévient Christian Hahn, président de la Chambre d’agriculture.

Pour les vaches laitières, «il y a des exploitations qui parlent de 10 % de perte de la production laitière», selon Jürgen Albers. Au-delà du volume moins important, le lait des vaches malades rémunère moins bien à cause d’une hausse du niveau du taux de cellule qui «montre que le système immunitaire travaille». Sans conséquence sur la consommation, ce taux de cellule est néanmoins «un paramètre de qualité en fonction duquel on est moins payé si on dépasse un certain seuil entre 2 à 5 % du prix en moins».

«Je connais des fermes qui ont des dégâts de 30 000 à 40 000 euros sur un mois mais c’est trop tôt pour dire quel est l’impact réel, car il y aura des suites en fin d’année et l’année prochaine», alerte Christian Hahn, qui annonce vouloir «essayer» d’obtenir une aide de l’État pour les fermes durement touchées. «Déjà que la récolte de céréales n’a pas été bonne et que les prix de l’énergie n’ont pas tant baissé, c’est une année difficile.»

«Le Luxembourg n’est pas une île»

Bien que provisoire, il est évident que le premier bilan sur l’impact de la pandémie n’est pas négligeable et la gestion de la vaccination pose question chez les éleveurs. Pour le président de Chambre d’agriculture, c’est évident : «Le vaccin est arrivé trop tard chez nous. En Belgique, ils l’ont eu fin mai voire début juin».

Jürgen Albers, lui, se rappelle des débats sur l’arrivée ou non de la FCO. «Au printemps, on a eu des discussions mais des gens, des scientifiques, disaient : « Ça ne va pas venir chez nous parce que les vents dominants ont tendance à aller vers l’ouest donc ça va partir vers l’Allemagne et le Danemark« .» «C’était autour de nous donc c’était sûr que ça allait arriver, le Luxembourg n’est pas une île à ce que je sache», ironise Lydie Kauffman-Hall.

Finalement, c’est le 8 août, six jours après les premiers cas, que le vaccin a été rendu disponible gratuitement aux éleveurs. Un timing jugé tardif que défend Martine Hansen, ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture. En réponse à une question parlementaire des députés de l’ADR Jeff Engelen et Alexandra Schoos, la ministre assure qu’après la commande du vaccin en mai, «il a fallu l’autoriser au niveau national» et «après l’autorisation du vaccin, un certain nombre de procédures administratives et financières ont dû être respectées».

Depuis, le 9 août, 240 000 doses de vaccin ont été livrées. «Il n’y a sûrement pas un éleveur sur deux qui a vacciné», lance Christian Hahn. Le nombre d’animaux morts est lui inconnu mais les chauffeurs de Rendac, l’entreprise qui nettoie et traite les carcasses, «roulent jour et nuit car ils ont beaucoup de bêtes» selon l’éleveur de Kalborn.

Une hausse des cas qui ralentit

Interrogé dans nos colonnes le 7 septembre dernier, le Dr Tom Petit, inspecteur vétérinaire pour l’ALVA, déclarait : «On peut s’attendre à ce que le sommet de la courbe soit atteint la semaine prochaine». Une estimation qui pourrait s’avérer juste au regard du dernier bilan communiqué par l’ALVA le 11 septembre dernier : 785 animaux ont été annoncés comme positifs à la FCO, soit 127 de plus que le 4 septembre.

Le chiffre reste certes en hausse mais il s’agit d’un pourcentage de croissance qui, pour la première fois depuis le début de la propagation, est moins fort que celui de la semaine précédente. Entre le 4 et le 11 septembre, le bilan a augmenté de 19,3 %. Un pourcentage presque dix points moins élevé qu’entre le 28 août et le 4 septembre (+39,2 %). Entre le 21 et le 28 septembre, c’était 45,1 % de hausse et 92,6 % entre le 14 et le 21 août.

Des virus «devant la porte»

Pour Christian Hahn, cette épidémie en appelle d’autres dans un futur très proche. «Les prochains virus sont devant la porte pour l’année prochaine alors on doit dès maintenant penser à quelle campagne de vaccination on fait dans l’hiver», prévient-il.

Si ce dernier se montre aussi pessimiste, ou préventif, c’est notamment à cause du phénomène croissant de renaturation de zones de terres humides. «C’est bien pour les animaux, mais nos grands-parents et arrière-grands-parents n’ont pas drainé pour rien des prairies car le problème ce sont les régions humides dans lesquelles les mouches aiment bien se reproduire et partager des virus.»

Le président de la Chambre d’agriculture s’inquiète même pour l’être humain : «Quand on voit à quelle vitesse la langue bleue est arrivée chez nous, on doit aussi penser à ce qui se passerait si on avait un virus comme tel qui touche les humains. On aurait de gros problèmes».