Le triple triomphe de ce week-end au festival d’Annecy a montré une fois de plus que le Luxembourg fait du cinéma d’animation de haute qualité. Pour les producteurs, chaque petite réussite profite à tout le secteur.
Hier matin, Lilian Eche décrochait le téléphone avec la voix enrouée des lendemains de fête. Le producteur luxembourgeois avait une bonne raison de célébrer : Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, petite merveille d’animation présentée le mois dernier hors compétition au Festival de Cannes, a décroché samedi soir le Cristal du meilleur long métrage, plus haute récompense du festival international du Film d’animation d’Annecy.
«C’est une belle surprise», dit le fondateur, avec Christel Henon, de Bidibul Productions. «Même si on reste optimiste en soumettant notre film pour avoir un prix, c’est très aléatoire : on dépend d’un jury, on ne sait pas qui sera en face…» La loterie a en tout cas été gagnante cette année pour les coproductions luxembourgeoises à Annecy : en plus du trophée suprême, les deux autres films représentant le Grand-Duché au sein de la compétition officielle, Saules aveugles, femme endormie, de Pierre Földes, et My Love Affair with Marriage, de Signe Baumane, ont tous deux obtenu une mention du jury.
Une décennie de succès
Le Luxembourg n’a plus à s’étonner, encore moins à rougir, du succès qu’il connaît depuis une petite décennie dans le domaine du cinéma d’animation. En 2006, «à une époque où l’animation au Luxembourg était bien moins reconnue qu’aujourd’hui», le film Renaissance, de Christian Volckman, et déjà produit par Lilian Eche, avait été la première coproduction nationale à triompher à Annecy. Ce dernier relève les «différents prix et succès» du cinéma d’animation national en soulignant l’importance de la figure de Stéphan Roelants, qui, avec Mélusine Productions et le Studio 352, «a régulièrement des prix avec ses projets». Le dernier en date, Le Sommet des dieux (Patrick Imbert, 2021), a notamment décroché le César du meilleur film d’animation en février.
Notre travail est là : initier les projets et chercher les coproductions à l’étranger
Cette réussite, elle «ne date pas d’hier», remarque aussi David Mouraire (Doghouse Films), «pour la simple raison qu’on travaille beaucoup les projets». Raoul Nadalet, le producteur d’Antevita Films, derrière My Love Affair with Marriage, lui fait écho : «Au Luxembourg, il y a un savoir-faire, des techniciens, des artistes… Tout le monde ici a travaillé dur pour atteindre ce niveau d’excellence.» Dans cette «petite famille» de l’animation «made in Luxembourg», chaque réussite individuelle profite à tout le secteur. «C’est comme ça qu’on a gagné en crédibilité, en productions de qualité et qu’on est aujourd’hui à un très haut niveau international», juge Raoul Nadalet.
Un soutien important du Film Found
Hors de question, donc, de mettre cette réussite sur le dos du hasard. David Mouraire, qui a fondé Doghouse Films en 2012 avec Pierre Urbain, met aussi l’accent sur «la politique du Film Fund, qui a toujours très fortement soutenu l’animation». «On est en train de récolter les fruits de tous les efforts de la politique culturelle et audiovisuelle du Grand-Duché», explique-t-il. Et s’il a fallu s’armer de patience pour y parvenir, c’est pour une raison toute simple : «Un film d’animation, c’est long à fabriquer.»
Celui qui a valu une mention du jury d’Annecy à David Mouraire et Pierre Urbain, Saules aveugles, femme endormie, remonte à dix ans et une arrivée du Luxembourg dans la coproduction en 2019. Le Petit Nicolas a démarré, lui, en 2014, avec une différence fondamentale : Bidibul a lancé le projet, ce que Lilian Eche et Christel Henon font avec pratiquement tous leurs films. «Avec mon ami, le producteur français Aton Soumache, on a eu l’idée de lancer Le Petit Nicolas en animation et, surtout, de faire un hommage aux auteurs, à la création et au trait de Sempé. C’était la base de notre réflexion», explique le producteur luxembourgeois.
Le «projet développé», en d’autres termes le projet initié et suivi tout au long de sa réalisation par un même studio, est la posture adoptée par Bidibul. «Notre travail est là : initier les projets et chercher les coproductions à l’étranger», affirme Lilian Eche. Il y a de quoi être fier, d’autant plus que Bidibul fait à la fois de l’animation et du «live», toujours avec succès : deux millions de spectateurs pour Boule et Bill (Alexandre Charlot et Franck Magnier, 2013) et plus d’un million pour Les Blagues de Toto (Pascal Bourdiaux, 2020), dont la suite commencera à être tournée vendredi, informe le producteur.
« Plus il y aura de succès pour le Luxembourg, mieux ce sera pour nous tous »
Quoi qu’il en soit, les méthodes de chacun n’enlèvent rien au fait que la réussite est collective. David Mouraire se réjouit autant de sa mention du jury que des récompenses reçues par Bidibul et Antevita. «On avance groupés : plus il y aura de succès pour le Luxembourg, mieux ce sera pour nous tous. Les succès de chacun continuent de vernir l’image du pays en faisant oublier les idées reçues.» Ces beaux résultats apportent aussi un niveau d’exigence qui s’affine envers les futurs projets. David Mouraire : «Aujourd’hui, on nous propose beaucoup de choses. On est donc en capacité de choisir les projets sur lesquels on veut travailler, c’est un grand luxe» que personne au Luxembourg ne pouvait se permettre il y a 15 ou 20 ans.
Un autre effet de ce succès, poursuit le producteur, est que les studios attirent plus facilement les talents. Doghouse met un point d’honneur à former des étudiants sortis du BTS animation «de très bonne qualité» à Luxembourg, puis à les embaucher, «afin de les fixer au Grand-Duché», tout en n’ayant plus aucune difficulté à faire venir des artistes et techniciens plus expérimentés pour des productions «plus compliquées».
En définitive, Raoul Nadalet martèle que «ce qui a changé» dans le paysage de l’animation, «c’est qu’aujourd’hui, on est vu à l’international comme un partenaire fiable. Pour un petit pays, cette qualité, c’est une question d’honneur.» Et si le producteur d’Antevita Films et Lilian Eche soutiennent que leur réussite réside avant tout dans leur capacité à mener à bien des projets dont ils sont fiers, les récompenses n’étant «que du bonus», David Mouraire, lui, reste «persuadé» que ce succès n’en est encore qu’à ses débuts. «Quand on voit les projets qui sont dans les cartons des studios luxembourgeois, cette réussite va se répéter dans les années à venir.» Voilà qui est dit.
Les principales récompenses du Luxembourg à Annecy
2006 Cristal du meilleur long métrage : Renaissance, de Christian Volckman (LuxAnimation)
2013 Mention spéciale du jury : Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill, de Marc Boréal et Thibaut Chatel (Mélusine Productions)
2016 Prix Fondation Gan aide à la diffusion pour un «work in progress» : Croc Blanc, d’Alexandre Espigares (Bidibul Productions)
2018 Cristal du meilleur long métrage : Funan, de Denis Do (BAC Cinéma)
Prix du jury et prix du public : The Breadwinner, de Nora Twomey (Mélusine Productions)
Prix Fondation Gan aide à la diffusion pour un «work in progress» : Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec (Mélusine Productions)
2022 Cristal du meilleur long métrage : Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre (Bidibul Productions)
Mentions du jury : Saules aveugles, femme endormie, de Pierre Földes (Doghouse Films) et My Love Affair with Marriage, de Signe Baumane (Antevita Films)
Tout le monde (au Luxembourg) a travaillé dur pour atteindre ce niveau d’excellence