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Femmes dans le secteur des TIC : «On ne voit aucune progression»


Un salarié luxembourgeois a presté 33 heures de moins en 2022 qu’en 2015. (Photo Adobe stock)

Au Luxembourg, la part de femmes dans le secteur des technologies de l’information et de la communication plafonne autour de 20 %. En cause : des idées reçues qui découragent les étudiantes potentielles. Mais l’IA pourrait changer la donne.

Les entreprises luxembourgeoises n’ont jamais eu autant de mal à recruter des talents dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC, en anglais ICT). En 2022, l’Adem a comptabilisé plus de 4 500 postes vacants dans l’informatique, nombre qui a doublé en à peine deux ans, tandis que moins de la moitié ont été pourvus.

Mais alors que les besoins explosent sur le marché du travail, la part de femmes actives dans ces métiers ne décolle pas. Au contraire, elle aurait même tendance à diminuer : Eurostat note que, si les expertes des TIC au Luxembourg représentaient 22 % des effectifs en 2021, l’an dernier, elles n’étaient plus que 20 %.

Et encore, ces chiffres ne refléteraient pas vraiment la réalité du terrain, selon Marina Andrieu, cofondatrice de WIDE (Women in Digital Empowerment), entreprise sociale qui s’est donné pour mission de combler l’écart entre les genres dans les TIC au Grand-Duché : «Il est difficile de disposer de statistiques fiables, mais je dirais que les femmes sont même moins que 20 % dans ces métiers. Parfois, on arrive dans une entreprise et elles sont deux pour 40 hommes.»

Des stéréotypes bien ancrés

En cette journée mondiale des filles dans les TIC, une initiative lancée par l’ONU en 2016, Marina Andrieu déplore le peu d’évolution qu’elle a pu observer au Grand-Duché sur les dix dernières années : «On ne voit aucune progression significative. Le problème, c’est que peu de filles s’engagent dans ces filières, donc il est compliqué d’en recruter, alors que les entreprises sont demandeuses», assure-t-elle.

L’enquête PISA de 2020 menée par l’OCDE révèle ainsi qu’à 15 ans, seules 17 % des filles scolarisées dans des établissements appliquant le programme officiel luxembourgeois disent vouloir travailler dans le domaine des sciences.

La faute à des stéréotypes bien ancrés qui font des ravages : «Quand on intervient dans les écoles, on voit bien qu’entre huit et dix ans, l’intérêt pour les sciences est le même chez les garçons que chez les filles. C’est au moment de faire un choix de carrière que s’opère une bascule chez les adolescentes : l’ICT ne fait pas partie de leur champ des possibles», souligne Marina Andrieu, qui cite le manque de promotion de la part des professeurs ou des parents, et le fait qu’aucune de leurs amies n’opte pour ce cursus, pour expliquer ce découragement. «Les élèves qui sont douées en sciences finissent par faire médecine, c’est le grand classique.»

«L’IA avait écarté tous les CV féminins»

Même une fois diplômées, les obstacles sont encore nombreux pour les femmes, notamment à l’étape clé de l’embauche : «On voit des annonces de recrutement qui semblent ne s’adresser qu’aux hommes», pointe Marina Andrieu. «La photo qui accompagne le post sur les réseaux sociaux met en scène un homme, ou alors le descriptif est ponctué de vocabulaire guerrier. Ça ne parle pas aux femmes.» Et parfois, c’est la technologie elle-même qui pose problème : «Une entreprise qui utilisait une IA pour faire un tri dans les CV s’est aperçue qu’elle était mal programmée et avait écarté tous les profils féminins.»

L’évolution du codage pour changer la donne?

Un phénomène que confirme Fabrice Roth, le directeur du lycée des Arts et Métiers de Luxembourg, longtemps professeur d’informatique dans l’établissement. Si lors des préinscriptions, un certain nombre de filles remplissent les formulaires, à la rentrée, les classes n’en comptent qu’une petite poignée : «Le ratio est toujours le même, largement en faveur des garçons», pointe-t-il, voyant dans l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) une opportunité pour inverser la tendance.

«Je suis certain que l’IA aura un impact positif sur les futurs choix d’orientation des filles, car le coding tel qu’on l’imagine et qui rebute certaines élèves, est en train de changer : l’assemblage, la compréhension et la pensée critique priment désormais sur l’écriture», projette-t-il.

Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, les générations nées avec les nouvelles technologies, ou digital natives comme on les appelle, ne se montrent pas plus douées que leurs aînés : «Les jeunes ont grandi avec ces outils et maîtrisent leur utilisation, mais ne connaissent rien de leur fonctionnement. Ils voient la technologie comme un loisir, pas comme objet de recherche ou créateur de savoir», analyse Fabrice Roth.

Quant aux cours de codage introduits à l’école et au lycée en 2020, il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact : les premiers élèves à en bénéficier ne feront leur choix d’orientation que dans deux ans.