Accueil | A la Une | Extension des horaires d’ouverture : les syndicats passent leurs troupes en revue

Extension des horaires d’ouverture : les syndicats passent leurs troupes en revue


Membre du bureau exécutif de l’OGBL, David Angel a fustigé l’attitude du gouvernement qui, depuis son élection, semble vouloir se passer des syndicats.

OGBL et LCGB ont tenu une conférence commune pour informer leurs délégués de la branche commerce des futures actions de protestation contre la réforme des heures d’ouverture. L’occasion également de motiver leurs membres pour les combats à venir.

On nous propose un monde où l’on ne peut que consommer et travailler. C’est un retour en arrière comme nous en avons rarement vu!» Sous les applaudissements nourris, David Angel, membre du bureau exécutif de l’OGBL, harangue la foule. Au Casino syndical de Bonnevoie, jeudi, les syndicats cherchent à mobiliser toutes leurs forces.

Face aux futures réformes du droit du travail, étendant les heures d’ouverture ainsi que le travail dominical (lire encadré), OGBL et LCGB veulent rassembler un maximum de monde pour s’opposer au gouvernement. Après des dissensions, notamment en 2022 sur le report de l’index, puis en 2024 lors des élections sociales, les deux syndicats sont prêts à faire à nouveau front commun dans cette nouvelle bataille.

Preuve de cette unité retrouvée, des banderoles «Non à la libéralisation des heures d’ouverture» composées de rouge et de vert, les couleurs des deux syndicats, parsèment la salle dans laquelle se sont réunies 360 personnes. Il faut dire que les syndicats sont remontés face à un exécutif qui semble vouloir faire passer ces lois sans se concerter avec eux. Après une première remise en cause de leur rôle dans les négociations des conventions collectives, sur laquelle le gouvernement a depuis fait marche arrière, l’attitude de Georges Mischo, le ministre du Travail, et de Lex Delles, le ministre de l’Économie, ne passe plus. «Ils disent qu’il faut laisser parler les gens sur le terrain. Qu’ils viennent ici!», lance David Angel.

«Qui va acheter un jean à 5 h du matin?»

Tout aussi remonté, Tiago Afonso, secrétaire syndical du LCGB, souligne que ces réformes soulèvent de nombreux problèmes. Les conditions de travail vont être «fortement détériorées», entraînant «une fatigue accrue et plus d’erreurs» tout en rompant l’équilibre de la vie familiale. «C’est une honte pour les femmes monoparentales qui sont nombreuses à travailler dans les commerces. Comment feront-elles pour faire garder leurs enfants?»

Face aux arguments du gouvernement et du patronat, qui voient dans ces réformes un moyen de s’adapter aux évolutions des modes de consommation et d’améliorer le quotidien des salariés, le LCGB et l’OGBL restent perplexes. «Qui va acheter un jean à 5 h du matin?», se demande David Angel. Pour eux, cette réforme ne va profiter qu’aux grandes enseignes pouvant ouvrir sur ces créneaux étendus grâce à des équipes tournantes, au détriment des petites boutiques, qui ne pourront s’aligner.

«C’est une fausse solution face à la concurrence du commerce en ligne, affirme Tiago Afonso. La réponse ne peut pas fragiliser les salariés, elle doit passer par la valorisation de leur métier.» D’autant que les syndicats redoutent que ce qu’ils considèrent comme une libéralisation des heures d’ouverture affecte d’autres secteurs, comme la garde d’enfants, le nettoyage ou la sécurité, qui devront s’adapter à ces horaires élargis.

Pour lutter contre ces politiques, l’OGBL et le LCGB ont donc déroulé un calendrier d’actions qui culminera le 28 juin avec une grande manifestation nationale, une date assez éloignée pour pouvoir s’organiser. Entre-temps, d’autres opérations auront lieu, comme un piquet mobile «du nord au sud du pays», le 7 mars, des distributions régulières de tracts dans les centres commerciaux ou une participation au Festival des migrations. Dans l’espoir de faire plier le gouvernement et de l’obliger à négocier. «Ensemble, nous sommes plus forts. Ensemble, nous gagnerons», conclut Jean-Pierre Nicolas, le président de la fédération Services et Commerces du LCGB.

Le contenu des réformes

Sur le travail dominical

Pour le moment, le droit du travail luxembourgeois permet à un commerce de détail de faire travailler ses salariés quatre heures le dimanche. La réforme propose de passer à huit heures pour faire du dimanche un jour comme un autre. Cela ne se fera pas sans contrepartie financière, puisque la majoration de salaire de 70 % sera toujours effective. Mais les syndicats redoutent, à terme, sa remise en cause.

Sur l’extension des heures de travail

La réforme permettra aux commerces de détail et de bouche :

– d’ouvrir de 5 h à 22 h en semaine et de 5 h à 19 h les samedis, dimanches et jours fériés
– d’ouvrir durant huit des onze jours fériés (l’obligation de fermeture ne sera maintenue que le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre)
– cette nouvelle catégorisation entraînera également deux catégories de veilles de jour férié : ouverture jusqu’à 19 h pour les veilles de jours fériés ouvrables et jusqu’à 18 h pour les veilles de jours fériés non ouvrables
– d’ouvrir pendant 24 heures deux fois par an (contre une fois actuellement)

Extension des horaires d’ouverture : «La ficelle se cassera un jour»

Dans l’assemblée mêlant des employés du commerce et des salariés d’autres secteurs, le refus est catégorique, tant les désagréments seront nombreux.

Tandis que les représentants syndicaux se sont dits surpris d’une telle mobilisation (lire ci-dessus), c’est moins le cas de Patrick Ourth, le président de la délégation du personnel chez Cactus : «Cela ne m’a pas surpris, car les gens sur le terrain sont vraiment révoltés.» Il ajoute : «Quand le ministre a déposé le projet de loi, les gens ont dit « mais ça ne va pas la tête? ». Depuis, j’ai remarqué, chez nous en tout cas, une dynamique, une colère, comme un ballon qui éclate.»

Cette colère est d’autant plus impressionnante qu’elle est contagieuse, puisque des personnes extérieures au commerce étaient également présentes au Casino syndical de Bonnevoie. C’est le cas de Manu*, employé dans la maintenance. «Même si cela ne nous concerne pas, nous sommes là car il faut être solidaire avec les autres», dit-il. «Aujourd’hui, ce sont les commerces, demain cela peut être autre chose», ajoute, inquiet, son collègue Mickaël*. Les deux hommes jurent que, dans leur secteur, «tous n’ont pas eu l’occasion de venir ici, mais tous sont solidaires».

«Comment je vais faire avec mon enfant»

Ancien employé dans le commerce, Robert n’est pas non plus concerné, mais il s’est déplacé «pour conserver des droits obtenus par nos anciens, pour notre futur, pour nos enfants». À ses yeux, l’équation est simple : «Il nous faut une vie privée pour vivre.» Celui qui se dit encore choqué par le projet d’extension des horaires prévient qu’«à force de toujours tirer plus, la ficelle se cassera un jour». «Les gens ne sont pas des citrons que l’on presse», ajoute Manu.

La question de la vie privée bousculée est l’argument le plus fort des syndicats. Employée dans un centre commercial, Marie*, mère célibataire, s’inquiète. «Comment je vais faire avec mon enfant si je commence à 5 h ou si je termine à 22 h? Il est encore petit, donc je ne pourrais pas le voir ni l’amener à l’école ou le coucher?» Elle et ses collègues disent s’opposer unanimement au projet, «quelle que soit la compensation».

Vice-présidente de la délégation du personnel à Aldi, Sophie Bayette assure que «personne n’a envie de travailler plus». Elle voit également venir les difficultés : «On a déjà du mal à trouver du personnel, donc si on élargit les heures d’ouverture, je ne sais pas comment on va les assurer». Comme beaucoup, elle ne comprend pas l’intérêt économique d’un tel projet.

«À 22 h, les clients seront surtout des alcooliques, parce que les gens, les mères de famille, sont chez eux à cette heure-là.» Chez Cactus, «on nous dit déjà que le vendredi de 20 h à 21 h, il n’y a quasiment personne», assure Patrick Ourth. Sophie Bayette prédit, en outre, que les petits commerces seront menacés, car «ils ne pourront pas s’aligner, donc cela va profiter aux grands et faire mourir les petits».

Morgan Kervestin

* Ces prénoms ont été changés