À Völklingen (Sarre), Barry Cawston, photographe «officiel» de Banksy, dévoile ses vues des projets de l’artiste-fantôme, «Dismaland» et «Walled Off Hotel».
Du côté de la Völklinger Hütte, on n’a pas peur des mélanges. Déjà, par son caractère même, le lieu confronte les époques et les humeurs artistiques. D’un côté, un labyrinthe de tuyaux, de souffleries, de hauts fourneaux, héritage de fer et de rouille qui s’étend à perte de vue (près de 17 000 personnes travaillaient sur le site en pleine période d’activité). De l’autre, un dédale chaotique propice aux projets contemporains de tous horizons, qui se mêlent d’ailleurs sans la moindre gêne.
Au gré d’une balade automnale, au pied des imposantes machines, il est ainsi fréquent de tomber sur l’un des «100 ouvriers» conçus spécialement pour l’endroit par Ottmar Hörl, artiste réputé pour ses sculptures pop hautes en couleur (dont ses fameux nains au doigt d’honneur). Autant dire que ça ne passe pas inaperçu au cœur de cet univers de poussière et de graisse, aux effluves toujours sensibles.
Que dire alors de cette exposition sur la «légende de la reine Elizabeth II», qui s’étale généreusement sur le site (il faut reconnaître qu’une vie de 92 ans ne se résume pas facilement). Il faut être en effet audacieux pour mettre côte à côte le symbole de la monarchie en Grande-Bretagne et son dernier trublion le plus célèbre, Banksy, qui, à travers son art, se moque, entre autres, du pouvoir et de ses représentants (politique, police, justice…). Rappelons que l’artiste, sur une de ses œuvres récurrentes, plaçait la couronne de la reine sur la tête d’une guenon, quand il ne dévoilait pas sa cargaison de faux billets de banque à l’effigie de la famille royale (NDLR : dans son film Exit Through the Gift Shop). Mieux, quand on lui demandait ce qu’il supprimerait en priorité s’il avait le pouvoir en Angleterre, il répondait sans hésitation : «L’héritage…» Autant dire que ces deux-là sont faits pour s’entendre.
L’hôtel avec la «pire vue du monde»
Néanmoins, passons rapidement sur ces pièces de porcelaine royales, précieusement conservées, qui s’incrustent, désinvoltes, sur cette ancienne terre de travail, de souffrance, de solidarité. De quoi donner de sérieux vertiges au dernier des syndicalistes… Il faut encore traverser l’imposante étude chronologique, un peu comme si l’on entrait dans un gigantesque journal genre «presse people», avant de tomber sur les œuvres de Barry Cawston, devenu, par son intérêt pour le travail de Banksy, son photographe officiel. Ce dernier lui a d’ailleurs rendu la pareille en les faisant figurer sur son site.
Amabilités faites, on découvre alors les vues de deux projets emblématiques du «street artist» : d’abord «Dismaland» (2015), un faux parc à thème où règne la confusion. Dans une station balnéaire près de Bristol en Angleterre (d’où il est originaire), Banksy a imaginé une réplique brûlée du château de Disneyland, une Cendrillon morte dans un accident de carrosse, encerclée par des paparazzi, des migrants dans des bateaux, ou encore un ancien camion de la police utilisé en Irlande du Nord transformé en toboggan pour enfants…
De bien étranges attractions («dismal» signifie «lugubre» en anglais) mises en valeur par le photographe qui tire le portrait, en passant, du public, des employés toujours de mauvaise humeur et, plus loin, des habitants de Weston-Super-Mare (une ville qui, par son aspect désertique, rappelle la côte belge). «C’est un parc thématique dont le thème principal est que les parcs thématiques devraient traiter de thèmes plus sérieux!», soutenait alors l’artiste à propos de cette satirique réunion, qui intègre des œuvres d’autres compères, et non des moindres (Damien Hirst, David Shrigley, Jenny Holzer…).
Ensuite, l’exposition «Banksy’s Dismaland & Others», comme son nom l’indique, se penche sur son projet «Walled Off Hotel», l’hôtel de Bethléem avec la «pire vue du monde» : celle, en l’occurrence, du mur entre l’Israël et la Palestine. Dans un ancien immeuble résidentiel vidé de ses occupants, Banksy a reconstitué avec son équipe un hôtel à l’intérieur un peu suranné, s’amusant à détourner des motifs célèbres pour la décoration : des drones pointant la figure du Christ, des anges en chute libre… Bref, tout un programme!
D’autres prises de vue de Barry Cawston montrent, en parallèle, d’anciens travaux réalisés à Bethléem et dans la bande de Gaza. Précisons que, pour sa première exhibition en Allemagne, le photographe, visiblement conquis par le site, en a réalisé plusieurs clichés, également présentés au public. Un rappel que la singulière beauté des lieux n’a finalement besoin d’aucun artifice.
Grégory Cimatti