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[Exposition] Le MNAHA refait l’histoire


(photo MNAHA/Tom Lucas)

Le MNAHA dévoile une partie peu connue de sa collection, pourtant d’une importance historique : celle consacrée à «Supports / Surfaces», dernier mouvement artistique d’avant-garde français du XXe siècle.

D’abord, un chiffre fort qui parle de lui-même : seulement 2,2 % des œuvres stockées au MNAHA et au Dräi Eechelen sont exposées, ce qui en dit beaucoup et peu à la fois sur les mystères que recèle la collection nationale, et ce, malgré les récents efforts de promotion en ligne. Il arrive donc encore que les habitués et autres connaisseurs en découvrent toute une nouvelle partie, jusqu’alors gardée au secret.

C’est le cas de celle dédiée au mouvement «Supports / Surfaces», que l’on imaginait vite résumée aux trois œuvres inscrites dans l’exposition permanente.

En réalité, ce n’était là que la partie visible de l’iceberg, comme en témoigne cette mise en lumière qui réunit pas moins de 38 œuvres, pour la plupart acquises depuis dix ans. Ce qui fait du MNAHA, comme le rappelle Bernard Ceysson, grand connaisseur mondial de ce courant et important promoteur au pays depuis sa galerie, l’un des établissements les plus à la pointe du mouvement avec, entre autres, le Centre-Pompidou à Paris, et deux autres musées situés en province, à Saint-Étienne et Montpellier.

C’était une poignée de gamins décidés à mettre le bordel !

Michel Polfer, son directeur, remet vite en contexte la surprenante proposition. Si la collection d’art contemporain, depuis sa mise en place en 1957, s’est surtout intéressée à la peinture française et deux de ses courants, l’abstraction lyrique et la figuration narrative (au point de donner au musée, par ses prêts, une visibilité à l’international), dans les années 2010, elle a opéré un changement de cap, d’expression.

Une réorientation qui va prendre deux voies : celle de la photographie (en valorisant notamment ses 175 tirages d’Edward Steichen) et celle, donc, de «Supports / Surfaces», dernier mouvement d’avant-garde français du XXe siècle.

Un appétit qui va se combler par des achats (auprès de galeries et sur le marché public, précise-t-on) et, plus étonnant, par de nombreux dons de la part des artistes eux-mêmes. Parmi la quasi-quarantaine d’œuvres présentées, on en compte ainsi neuf. Presque 25 %, ce qui prouve que ce courant artistique n’a jamais été porté par les conventions et les règles mercantiles. C’est même tout le contraire.

D’un point de vue historique, il faut remonter à la fin des années 1960 (jusqu’à 1976 environ) et descendre dans le sud d’une France encore centralisée, selon Bernard Ceysson, pour y découvrir, entre Montpellier, Nice, Nîmes et Cahors, une poignée de «gamins» décidés à «mettre le bordel».

Ils se nomment Daniel Dezeuze, Bernard Pagès, Patrick Saytour, Jean-Pierre Pincemin, Noël Dolla ou encore Claude Viallat (ces deux derniers étaient présents hier à Luxembourg) et qui, du haut de leur arrogante jeunesse, rompent avec les principes de la peinture traditionnelle au profit d’une exploration plus conceptuelle (le nom du groupe fait d’ailleurs référence à la tentative de réduire le geste pictural à ses composantes élémentaires).

Témoin d’une pratique à contre-courant

Ainsi, avec eux, la texture, la densité, la couleur et la forme d’une toile valent plus que le sujet abordé. Peindre n’est plus alors centré sur la représentation (qu’elle soit figurative ou abstraite), mais devient une étude de la matérialité même du médium (d’où aussi quelques prolongements naturels vers la sculpture et l’installation).

Le MNAHA se veut aujourd’hui le témoin de cette pratique à contre-courant, foncièrement politique. Ainsi, dès l’entrée, les masquages de Pierre Buraglio, premières acquisitions du musée, constitutifs de cet assemblage hétéroclite (1994), laissent apparaître des traces de scotch.

Dans une volonté de retour au geste primitif, les exemples se succèdent : André-Pierre Arnal froisse ou plie son travail, Louis Cane rejoue Rothko mais son monochrome déborde sur le plancher, Daniel Dezeuze dissocie la toile du châssis, tandis que Bernard Pagès et Toni Grand s’amusent avec le bois, les briques et la tôle ondulée.

Du sol au plafond

Parmi eux, deux artistes se distinguent encore : Patrick Saytour fait dans le simple et le minimalisme, aussi bien dans les matériaux que les techniques utilisés (brûlage, trempage…). Et Claude Viallat, enfin, qui s’attache aux éléments primaires et structuraux de la peinture, soit la toile, la couleur et la surface. Avec lui, les formes et empreintes se répètent, comme affranchies de tout règlement.

Au cœur du MNAHA, les filets (dont un, comme un symbole, emprisonnant des pinceaux) répondent à une sorte d’échelle, le papier kraft se mélange au tissu et aux cordes, tandis que certaines œuvres s’étalent avec générosité, du sol au plafond. «Supports / Surfaces» n’est pas non plus avare en gabarit, avec de nombreux grands formats, dont deux, magnifiques, qui se font face : celui de Marc Devade (Nel mezzo), d’un rouge puissant, et celui de Jean-Pierre Pincemin (Sans titre), d’un vert hypnotisant.

Un groupement insolite à plus d’un titre, puisque les deux tiers des œuvres sont ici montrées pour la première fois. Le public pourra alors le comparer au travail, plus manifeste au pays, de Robert Brandy ou de Roland Quetsch. Même les plus jeunes (ou plus petits, c’est selon) pourront s’y mettre, grâce à des cartels placés à leur hauteur. Enfin, les plus motivés en apprendront plus à l’écoute de Bernard Ceysson qui, une fois lancé, est intarissable sur le sujet. Dans le catalogue de l’exposition, sa longue analyse, pleine de passion et de controverses, en atteste.

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