En plein centre-ville, le Cercle Cité propose de renouer avec le végétal et raconte la forêt, espace de liberté, d’évasion et contrepoint idéal à la frénésie urbaine.
L’homme, dans sa bêtise et sa toute-puissance, a toujours cherché à dompter son environnement. À le dominer plus qu’à cohabiter avec lui. La forêt est un des nombreux exemples de cette autorité aveugle.
Si, au départ, elle est perçue comme un espace nourricier, une sorte d’éden où «l’on vit de ce que la nature donne», explique Clément Minighetti, commissaire de l’exposition, rapidement, la civilisation va prendre le dessus et imposer sa vision radicale des choses.
Sauvage, elle va alors devenir un endroit qu’il faut apprivoiser. Fini les mythes et les rêveries, place au «rationalisme», au «modernisme» et au «productivisme». Oui, le progrès est plus sensible au béton qu’à l’harmonie poétique.
Mais aujourd’hui, cette folle course en avant, sans fin et sans but apparents (en dehors d’enrichir ceux qui le sont déjà), inquiète. Les logiques capitalistes sont questionnées, blâmées même, et face au dérèglement climatique, le végétal redevient essentiel.
La nature se réincarne en un lieu de ressource et de retrait, «contrepoint à l’accélération constante de nos sociétés». Jusque-là cantonnée en lisière des villes, elle ose désormais s’y loger pour les «reverdir» et les refroidir.
Mieux, de par le fourmillement de son fonctionnement, aux multiples interactions, elle montre au monde des hommes qu’à l’individualisme et la compétitivité, mieux vaut privilégier la solidarité et la communauté.
Une fougère qui voit et qui parle
C’est cette «ouverture d’esprit» et ses corollaires (l’observation, la patience, le dilettantisme, la résistance), à voir comme autant de «pas de côté», qui rapprochent les œuvres réunies au Cercle Cité, faisant parallèlement écho aux thématiques portées par la Luxembourg Urban Garden (LUGA).
Par ruissellement, l’exposition «La forêt – solitudes et solidarités» prend des accents «pluriels», aussi bien dans l’approche artistique que dans les médiums utilisés. On y plonge, les sens aux aguets, puisque dès l’entame, c’est l’oreille qui est sollicitée avec Clément Davout et Léo Fourdrinier.
À l’instar de la récente pièce Sensorial Symphonies, pour laquelle la chorégraphe Elisabeth Schilling s’appuyait notamment sur une musique composée de sons végétaux, eux placent également la plante comme «chef d’orchestre».
Après une première tentative en 2021 avec un olivier, c’est une fougère qui, grâce à des électrodes placées sur ses feuilles, «dialogue» avec ceux qui veulent bien l’écouter.
«Sans avoir d’yeux, elle voit beaucoup de choses !», explique l’un des deux artistes pour justifier ce «langage naturel» qui s’adapte à ce qui l’entoure, et donc, «en constante évolution».
Une balade de 356 kilomètres
Moins complexes, les «scènes carnavalesques» dessinées par Keong-A Song, façon contes pour enfants, rappellent que la forêt a longtemps été l’objet de fantasmes, peuplée d’animaux fabuleux et de divinités protectrices.
Terre à terre, Letizia Romanini a, quant à elle, mis ses chaussures de randonnée pour une longue balade de 356 kilomètres le long de la frontière luxembourgeoise, animée par une maxime qui ne la quittera pas de tout le voyage : «Être traversé par le paysage, autant qu’on le traverse».
En résulte une série de photographies qui, développées sur du papier ultrafin, jouent de la transparence et témoignent d’une patiente contemplation.
Dans une veine plus militante, on trouve deux figures connues de la scène grand-ducale : d’abord Bert Theis (1952-2016) qui, comme le rappelait encore la Konschthal en mai dernier, s’était opposé, avec force et inventivité, à la transformation d’un quartier pauvre et ouvrier à Milan où il s’était installé à la fin des années 1990.
Son activisme prend ici la forme d’une vidéo scindée en deux : d’un côté, les grues, le ciment et la spéculation immobilière. De l’autre, des herbes folles que l’on fend, caméra au poing.
Ensuite, Serge Ecker qui, par le biais d’un montage photographique, imagine la ville de Luxembourg envahie par une jungle tropicale.
Des sculptures-totems entre nature et culture
Traitant elle le paysage comme un «espace émotionnel», Aline Forçain brise les barrières entre figuration et abstraction. Sa peinture à l’huile, aux traits dégoulinants et aux reflets troublants, en est une superbe illustration.
Dans le même ordre idées, Alexandra Uppman raconte à son tour que l’expérience de la solitude au beau milieu de la nature est propice à l’introspection et au ressourcement.
Outre deux petits formats presque invisibles, c’est un plus imposant qui dévoile sa technique, laborieuse, dite du «stippling». Soit un travail point par point à l’encre, qui réclame «précision et patience». Le résultat vaut clairement l’effort.
Si l’installation de Valentin van der Meulen rappelle celle de Filip Markiewicz, notamment pour ses slogans directs et ses critiques sur les vanités contemporaines, elle s’en éloigne par un procédé malin : goutte à goutte, une encre colorée s’écoule sur les documents et sous l’action du liquide sur le papier apparaissent des dessins aux motifs végétaux.
Intimiste, l’œuvre de Sandra Lieners, une toile d’angle, porte une drôle d’appellation (37,5° NE). Et pour cause, ce sont les coordonnées GPS de son atelier où elle a été bloquée durant la crise sanitaire, isolement forcé dont elle s’échappait en regardant la verdure par la fenêtre.
Finalement, au cœur du débat tenace qui oppose nature et culture, Martine Feipel et Jean Bechameil décident de ne pas choisir avec leurs sculptures-totems, où l’art et la technique se marient à l’animal, au minéral et au végétal.
Jusqu’au 18 janvier 2026. Cercle Cité – Luxembourg.