Moins connu que J. M. W. Turner, John Constable (1776-1837) compte pourtant parmi les peintres les plus célèbres d’Angleterre. Grand observateur de la nature et paysagiste hors pair, il bénéficie d’une belle mise en lumière à la Villa Vauban.
Aujourd’hui, quand on évoque la peinture anglaise, quelques noms, parmi les plus connus, s’imposent : Thomas Gainsborough parfois, William Blake bien sûr, sans oublier J. M. W. Turner, grand maître du paysage et considéré comme le précurseur de l’impressionnisme.
Celui de John Constable, lui, arrive le plus souvent après tout le monde, «moins prolifique et moins international» que son illustre prédécesseur, explique Anne Lyles, spécialiste de l’art britannique des XVIIIe et XIXe siècles et ancienne conservatrice à la Tate Britain. Un artiste, poursuit-elle, qui mérite d’être «soutenu», pas seulement pour son côté «beau garçon», rit-elle en pointant du doigt un rare autoportrait.
Véritable mythe outre-Manche, sa résonance est en effet moindre ailleurs, méconnaissance que cherche à réparer la Villa Vauban à travers cette exposition, «majeure» à plus d’un titre.
Après une première démonstration au musée Mitsubishi Ichigokan à Tokyo en 2021, c’est au tour du Luxembourg d’accueillir cette sélection d’œuvres (dans une première collaboration avec la Tate) qui couvrent toutes les périodes de création de l’artiste, trouvant dans ce nouvel écrin un écho particulier. Ainsi, pour Guy Thewes, directeur des musées de la Ville, il est «le lien manquant entre les écoles hollandaise et française» dont les paysages sont largement représentés dans leurs collections et régulièrement montrés.
Presque exclusivement tourné vers l’art du paysage
C’est vrai, John Constable, à ses débuts, s’est inspiré de Pierre Paul Rubens ou encore de Jacob van Ruisdael, avant d’influencer, à son tour, le romantisme français, l’école de Barbizon et certaines figures de l’art qui comptent (Gustave Courbet, Eugène Delacroix, Théodore Géricault). Sans oublier qu’avec un pareil musée, entouré d’un vrai «parc à l’anglaise», il n’y a pas de «meilleur endroit pour l’exposer!», poursuit-il.
En tout cas, pour Anne Lyles, cette première monographie au pays est une sorte de «petite revanche» par rapport à son célèbre alter ego – Turner devant, lui, se «contenter» d’une double exposition au MNHA en 1984 et 1995 (soit ses aquarelles réalisées à la moitié du XIXe siècle devant la forteresse de Luxembourg). Ici, les dessins, études à l’huile et autres toiles d’importance réalisées pour les salons de l’Académie royale, prouvent une chose : oui, John Constable a clairement sa place parmi les artistes de l’«âge d’or» de la peinture anglaise, dont certains partagent avec lui les cimaises de la Villa Vauban.
Un statut qui tient à une seule hantise : celle de dédier sa vie de peintre presque exclusivement à l’art du paysage – longtemps considéré comme un genre mineur. En témoigne cette lettre adressée à un ami dans laquelle il évoque sa vocation artistique, éveillée, écrit-il, par «le bruit de l’eau qui s’échappe des écluses (…), les saules, les murs de briques (…) et tout ce qui se trouve sur les rives de la Stour», fleuve serpentant dans sa région.
La quintessence de l’art anglais
John Constable est l’archétype du peintre sédentaire, qui n’a jamais quitté l’Angleterre pour mieux la raconter dans ce qu’elle a de plus humble. «Mon art se trouve au pied de chaque haie et dans chaque chemin de campagne», avait-il coutume de dire – modestie qui a toutefois joué dans sa reconnaissance tardive, même sur ses propres terres. Un homme du peu devenu, au fil des années, la figure de l’«englishness», en substance, la quintessence de l’art anglais.
Ce fils de bonne famille du Suffolk, district dont il a saisi toute la singularité esthétique, défendait surtout un concept qui le rendait différent des autres : celui de la «vérité de la nature», principe qui se veut fidèle à la topographie d’un lieu, mais aussi, et surtout, à l’émotion ressentie. Bien loin des visions idéalisantes de l’époque, ses œuvres se veulent porteuses d’un sentiment, d’une histoire même – d’où son profond attachement au territoire de son enfance.
Il s’illustre alors avec efficacité dans les scènes de la vie rurale – immortalisées entre Hampstead et Brighton – sans recherche du pittoresque, et en accordant une importance majeure au traitement des nuages (à preuve, son œuvre Cloud Study, 1822).
La nature, «la source d’où doit jaillir toute authenticité»
Sans renier ni négliger le travail en atelier, il aime travailler en plein air, habitude qu’il voit comme un moyen de capturer l’essence fondamentale de la nature. Il déclare que celle-ci est «le sommet de la fontaine, la source d’où doit jaillir toute authenticité», philosophie à laquelle il s’attachera plus longtemps que tous ses contemporains.
Pourtant, peindre «à la fraîche» n’a rien d’une sinécure, surtout quand on passe de petites esquisses réalisées à la va-vite à de plus grands formats, aux contraintes plus conséquentes (on est, rappelons-le, quelques années avant l’invention de la photographie et du tube de couleur).
Avec un trait vivace, une variété de coloris et un contraste ombre-lumière omniprésent, John Constable raconte l’Angleterre, ses bocages, ses vertes prairies et ses contrées rustiques, à travers des paysages finalement peu habités (en dehors notamment de l’imposant The Opening of Waterloo Bridge, 1817).
D’autres œuvres, avec le temps devenues des «classiques», sont visibles à la Villa Vauban, dont le tableau à l’arc-en-ciel mondialement connu, Salisbury Cathedral from the Meadows (1831), à propos duquel l’artiste disait qu’il incarnait «toute la gamme de son art». Une palette terreuse, d’une honnêteté sans pareil.
«John Constable’s English Landscapes – Chefs-d’œuvre de la Tate Collection»
Villa Vauban – Luxembourg. Jusqu’au 9 octobre.
À la National Gallery, deux militants écologistes se collent à une toile de Constable
Deux militants écologistes du mouvement «Just Stop Oil» ont recouvert lundi un tableau de la National Gallery de Londres d’une image représentant un paysage bucolique massacré par les énergies fossiles, avant de se coller au cadre de l’œuvre. Les deux membres de l’organisation, qui milite pour l’arrêt immédiat de tout nouveau projet pétrolier ou gazier, ont visé un tableau de John Constable, La Charrette de foin (1821), représentant une charrette dans la campagne anglaise franchissant un cours d’eau.
Avant de se coller à son cadre, les militants ont recouvert l’œuvre d’une version «réimaginée», avec une route à la place de la rivière et des avions de ligne dans le ciel. «Une scène cauchemardesque qui montre comment le pétrole va détruire nos campagnes», a expliqué Just Stop Oil dans un communiqué. Citée dans ce texte, Hannah Hunt, 23 ans et étudiante en psychologie à Brighton, a affirmé se mobiliser en raison des «40 nouveaux projets d’énergies fossiles du gouvernement», un chiffre fréquemment cité par les associations environnementales.
«Nous pouvons dire adieu aux « terres vertes et plaisantes d’Angleterre » vu que la poursuite de l’extraction du pétrole entraînera des pertes de récoltes généralisées, ce qui signifie que nous devrons nous battre pour la nourriture», a affirmé Hannah Hunt en référence à un célèbre poème de William Blake.
«Cette peinture fait partie de notre patrimoine, mais ce n’est pas plus important que les 3,5 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont déjà en danger en raison de la crise climatique», a affirmé Eben Lazarus, 22 ans et étudiant en musique. Just Stop Oil a mené plusieurs actions similaires la semaine dernière avec des militants se collant aux cadres de célèbres tableaux à Londres, à Manchester ou à Glasgow.