Croisant le documentaire et la photographie d’art, les finalistes du Prix Pictet, actuellement exposés au Cercle Cité, mettent en avant l’humain dans un monde qui survit.
La première fois que des finalistes du Prix Pictet ont occupé les murs de l’espace d’exposition du Cercle Cité, c’était pour sa cinquième édition, en 2014; dix ans plus tard, le prix mondial de photographie consacré au développement durable, créé en 2008 et décerné depuis à une cadence aléatoire, retrouve le chemin du Ratskeller. Exit la consommation («Consumption», thème de l’édition 2014, remportée par l’Allemand Michael Schmidt pour son enquête sur l’industrie alimentaire en Europe), place à l’humain («Human») avec douze artistes et autant de récits photographiques reflétant les urgences d’un monde où l’humain est forcé à une vie précaire. Menacé d’extinction, en quelque sorte.
Les causes sont nombreuses, les conséquences terribles : misère, déplacements de population, mort. Ces artistes venus des quatre coins du monde (États-Unis, Inde, Pologne, Italie, Ukraine, Mexique…) donnent à réfléchir en premier lieu sur le réchauffement climatique. Tantôt avec effet immédiat, dans la série aussi somptueuse que terrible de l’Islandais Ragnar Axelsson (Where the World Melts, 2013-2022), qui cherche à «préserver l’histoire» des communautés du Grand Nord, leurs modes de vie étant menacés par la fonte des glaces et la disparition de la biodiversité. Ou dans le travail d’Alessandro Cinque (Peru, A Toxic State, 2017-2023), qui documente la «difficile coexistence» entre la communauté quechua et l’industrie minière, autrement dit le vol des terres et des richesses des premiers par la seconde. Ou encore dans l’histoire similaire racontée par Michal Luczak (Extraction, 2016-2023), cette fois en Pologne, la houille remplaçant l’or, le cuivre et autres métaux précieux exploités dans les Andes. Un plongeon dans l’immensité des étendues de paysages transfigurés par l’exploitation de l’homme, mais aussi par les expressions du noir et blanc chez Axelsson, Cinque et Loczak, leurs contrastes lourds et tranchants.
Horreur et réconfort
D’autres retombées de la catastrophe climatique en cours sont moins simples à observer à l’œil nu. Les jeux (cerceaux, ballons, flaques d’eau) auxquels s’adonnent les enfants d’une rue pauvre de La Nouvelle-Orléans, dans la série de Vasantha Yogananthan (Mystery Street, 2022), fonctionnent comme la métaphore d’un entre-deux, un espace de liberté entre réel et imaginaire, mais aussi entre deux âges, l’enfance et l’adolescence de ces jeunes silhouettes, nées après l’ouragan Katrina, qui ont grandi dans un quartier en ruines et qui devront faire face à un futur incertain.
Les images (dont explicites) de Federico Ríos Escobar (Paths of Desperate Hope, 2022) défient le regard, mais capturent, elles aussi, les moments d’espoir et d’humanité, cette fois au milieu des eaux sauvages : une chaîne humaine, un père berçant son bébé… Des moments de bienveillance au milieu de l’horreur, que le photographe colombien a vécus et documentés avec des groupes de migrants, chassés de leurs terres ou fuyant les ravages du climat, au cours de la traversée du fossé du Darien, un passage meurtrier entre les Amériques du Sud et centrale. Chez Ríos Escobar, comme ailleurs dans l’exposition, pétille un optimisme fugace.
La lauréate de ce 10e Prix Pictet, Gauri Gill, ouvre quant à elle l’exposition. Originaire d’une grande ville indienne, elle s’est rendue pour la première fois dans le désert du Thar, au Rajasthan, en 1999, pour un projet photographique; depuis, elle tient ses Notes from the Desert, chroniques d’une société parmi les plus isolées et les moins protégées en Inde. Soit des portraits qui touchent presque au fantastique, affichant à leur façon étrange, comme pour contrer (ou exacerber) la fatalité, des instants de réconfort, de bonheur, de solidarité. L’artiste révèle ces moments de grâce par un effet de décalage avec le décor (une famille qui pose dans sa maison vide), la situation («Un nouveau foyer après l’inondation», s’intitule la photo prise dans un carré de briques) ou la pose (un sac plastique sur la tête).
Harmonies dérangées
Gauri Gill, comme les onze autres finalistes exposés, crée une nouvelle narration dans le grand récit des enjeux humains, écologiques, sociaux et politiques de notre temps. Un jeu d’artistes qui ouvre à d’autres terrains créatifs, à l’instar de Siân Davey (The Garden, 2021-2023) : la photographe anglaise a transformé son jardin, à l’abandon depuis dix ans, en un lieu à la végétation luxuriante, un lieu de liberté totale et de secrets aussi, où les voisins, les passants et les inconnus ont été reçus, écoutés puis immortalisés sur pellicule.
De façon plus tangible, les techniques de Yael Martínez (Luciérnaga, 2019-2023) et Richard Renaldi (Disturbed Harmonies, 2022-2023) libèrent une imagination forte. À même le tirage, la première perce des trous; une «analogie du traumatisme», entre ombre et lumière, des personnes et familles qui subissent la violence urbaine au Mexique. On peut y voir un ciel étoilé autant qu’un décor criblé de balles… De son côté, l’Américain joue sur la combinaison des images : sa série met dans le même cadre l’humain et le végétal (ou le minéral), capturés à des endroits et moments différents, pour chercher à en définir la relation. Pour leur façon de «combler les vides» (dixit l’artiste) qui gardent la planète en un lieu de vie dysfonctionnel pour l’humain, les œuvres de Richard Renaldi sont parmi celles dont l’originalité et la force font le plus gros effet. En soulignant le grand déséquilibre, le photographe a trouvé le parfait point d’harmonie.
Jusqu’au 19 janvier 2025.
Cercle Cité – Luxembourg.