Entre festin artistique et marché de créateurs visant à dénoncer et redéfinir les règles économiques du monde de l’art, la plateforme en ligne CAT s’installe temporairement, mais «IRL», au Casino.
Au Casino Luxembourg, on mange serré dans les deux petits espaces d’exposition au rez-de-chaussée du bâtiment. Sans doute pour plus de convivialité et un meilleur effet d’abondance, comme on le dirait d’un buffet à volonté. Après tout, on y trouve du dessin, de la sculpture, de la photographie ou encore du vêtement, le tout disposé le long de deux grandes tablées. Festin artistique ou marché temporaire des créateurs d’art?
Un peu des deux, puisque le Forum d’art contemporain accueille dans son espace la plateforme Contemporary Artist Things (CAT) – une initiative curatoriale en ligne, lancée pendant la pandémie de Covid-19 par deux artistes et designers basés à Berlin, Nora Cristea et Vincent Schneider.
Au menu, donc, une cinquantaine d’œuvres réalisées par autant d’artistes, dont certaines réalisées spécialement pour l’exposition au Casino. C’est le cas des poupées du duo franco-belge Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, représentant des belettes habitant un monde miniature et fait main, où les pièces de monnaie jonchent le sol, parfois jusqu’à occuper une grande partie de ce petit espace. Idem pour deux bustes, l’un sérigraphié par Vanessa Brown, artiste canadienne basée à Luxembourg, à la croisée du dessin, du vitrail et de la mode; l’autre sculpté par la Germano-Irlandaise Mariechen Danz, un corps sans tête façon Docteur Maboul où les organes sont volontairement placés aux mauvais endroits, et lourds de symboles.
Contre les rituels snobs
Ces œuvres, comme toutes les autres – du sweat-shirt signé Philip Hinge, dont l’imprimé se réapproprie un signe religieux, au rat dessiné par Maximilian Kirmse –, portent chacune leur propre histoire et transmettent leur propre message. Certains se recoupent : le paillasson de Zuzanna Czebatul à l’imprimé «Patriarchy» (fait pour être piétiné, donc), l’image conçue par Mary-Audrey Ramirez en dialogue avec l’IA, mi-créature imaginaire, mi-appareil génital masculin – déjà présentée au Casino en 2024 au sein de son exposition «Forced Amnesia» et drôlement titrée Herpes is annoying – et le portrait cauchemardesque de Katharina Höglinger proposent trois approches différentes d’un sujet de fond similaire, aux accents féministes.
Les nouvelles technologies – et l’intelligence artificielle en particulier – sont aussi régulièrement abordées au fil des œuvres, soit dans des travaux qui les convoquent (chez Mary-Audrey Ramirez, Max Kreis, Vika Prokopaviciute), soit en réaction à elles (la poésie naturaliste des photos de Sangun Ho et Peter Oliver Wolff, le dessin d’enfant signé Andi Fischer).
Au-delà de l’éventail des techniques esthétiques et des commentaires engagés, l’objectif d’une telle exposition collective – c’est ce qui fait sa richesse et, en fin de compte, toute son importance – réside dans son existence même. Sortir la galerie de sa page web n’est pas une simple transposition «IRL» (in real life) de cette initiative, c’est aussi montrer que l’espace institutionnel peut – et doit – réagir à l’inaccessibilité toujours plus grande du marché de l’art et à ses rituels snobs.
À ce titre, la scénographie de l’exposition, qui met littéralement toutes les œuvres au même niveau, et son titre, qui ajoute deux barres horizontaes (peut-être, justement, ces deux tables sur lesquelles sont déployées les œuvres) à l’acronyme «CAT» pour le transformer en «€AT», se suffit à soi comme commentaire contre l’infection toujours plus grande de l’ultracapitalisme dans le monde de l’art, assumant une bonne fois pour toutes la nécessité de le rendre accessible à tous. Le prix des œuvres présentées, qui va d’environ 30 à 300 euros, le prouve : il faut maintenant que l’initiative soit entendue et fasse des petits. Le chemin est long, mais pas infranchissable.
Jusqu’au 15 février 2026. Casino – Luxembourg.