Connu pour ses réappropriations modernes et lumineuses des œuvres du peintre britannique J. M. William Turner (1775-1851), le photographe japonais Hiroyuki Masuyama raconte son travail, à l’occasion de sa venue au Luxembourg.
William Turner fut un insatiable voyageur parcourant, le plus souvent seul, l’Europe, au cours du XIXe siècle. Et depuis quelques années maintenant, vous le suivez à la trace…
Hiroyuki Masuyama : Partout où il est passé, j’y étais aussi (il rit). Il y a 200 ans, en effet, il s’est mis en tête de parcourir l’Europe. De Londres à Venise, à pied, en diligence ou encore en bateau, mais toujours un carnet de croquis à la main! Je pense qu’aucun grand maître de la peinture n’a autant puisé son inspiration dans ses voyages que lui.
Combien de lieux avez-vous alors visité ?
Environ une bonne centaine, dont le Luxembourg, par lequel il est également passé. Ce n’est pas une histoire très connue d’ailleurs.
Que cherchez-vous à travers cette démarche? Et comment procédez-vous ?
Je cherche à m’approcher au plus près de son image, une image la plus similaire possible, même si ce n’est plus la même époque, et que le paysage lui-même s’est transformé. Sur place, je prends 300-400 clichés que j’utilise ensuite pour faire un photo-montage, en les surimposant jusqu’à obtenir une évocation, quasi fidèle dans la forme mais actuelle dans la substance. Comme lui, je ne m’intéresse pas forcément au réalisme d’un paysage, mais je m’en imprègne pour le refaire en atelier. Il faisait pareil avec ses croquis.
En fin de compte, je suis comme un pont
Vous dites que l’époque n’est plus la même. C’est-à-dire ?
Sur mes photos, on découvre des silhouettes de gens, des constructions comme des ponts, des bâtiments, des autoroutes… En fin de compte, je suis comme un pont : je transpose d’anciennes choses vers la modernité, le futur. On est tous, d’ailleurs, le fruit de multiples combinaisons, d’imbrications. Pour mon travail, c’est le même principe!
L’image produite n’est donc jamais « similaire »…
Mais c’est comme le reflet que renvoie une glace, qui est autre que ce que l’on est vraiment. Différent mais identique! Dans ce sens, à travers mon travail, je peux témoigner des changements qui se sont opérés au cours des deux derniers siècles. Par exemple, comment la nature et sa beauté sont prises aujourd’hui en compte? Quelle importance leur attribue-t-on ?
Dans ce sens, pourquoi le travail de William Turner est-il si évocateur, pour vous ?
Parce que Turner est au carrefour d’une révolution : celle de l’arrivée de la photographie, qui va changer radicalement la manière dont travailleront les peintres, à l’instar de Monet, Manet… En tant que photographe, justement, cette période charnière m’intéresse fortement.
Turner et moi […] on marche à la sensation !
De votre côté, vous n’avez jamais essayé la peinture ?
(Il rigole) Si, j’ai même commencé par cela, et il m’arrive encore de pratiquer ! J’aime représenter les fleurs, l’étendue de l’univers… Mais pas les paysages, les mers, et surtout pas avec le talent de Turner !
Aimez-vous son travail ?
Oui, bien sûr, je suis un grand fan ! Ce qui me plaît le plus chez lui, c’est son instinct, qui l’amène à ne pas représenter le réel comme il se présente. Par exemple, si je pense à ma mère, qui est aujourd’hui très vieille, et que je dois la représenter, ce sera sous des traits plus jeunes. C’est une question de feeling. William Turner et moi, on est pareil : on marche à la sensation ! D’ailleurs, tout au début, quand je me suis rendu sur les lieux où il était passé, c’était un moment bien particulier. Durant deux-trois semaines, j’ai ressenti son travail, sa présence…
Pour mettre en valeur votre travail, vous utilisez des « lightbox ». Pourquoi ?
Parce que si je le présentais sans cet artifice, il s’apparenterait à une vieille image, comme un tableau ancien. Au moins, avec les « lightbox », les gens savent que je ne suis pas peintre, mais bien photographe (il rit).
Entretien avec Grégory Cimatti