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Évolution du monde syndical : le combat de trois femmes


Ces trois femmes nous racontent l'évolution du monde syndical. (Photo : Archives OGBL)

Danièle Nieles, Viviane Georgen et Martine Birmann, respectivement figures de l’OGBL, du LCGB et de l’Aleba racontent comment les syndicats exclusivement masculins ont évolué petit à petit vers plus d’égalité entre les sexes.

À quelques jours des élections sociales et au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons choisi de retracer le parcours de trois femmes figures du monde syndical au Grand-Duché. Un univers historiquement très masculin qui n’a pas été sans contraintes pour ces syndicalistes. Car, aujourd’hui comme hier, les femmes restent encore sous-représentées à la Chambre des salariés et parfois même dans les instances syndicales.

Danièle Nieles, la combattante

Danièle Nieles a rejoint l’OGBL en 1984. (Photo : Julien Garroy)

Une pionnière dans un monde presque totalement masculin. En 1984, Danièle Nieles n’a que 23 ans quand elle rejoint le département des jeunes de l’OGBL. Elle qui a baigné depuis son enfance dans la culture syndicale avec un père fervent syndicaliste qui l’emmenait aux manifestations du 1er mai veut comprendre comment faire respecter ses droits. Elle quitte alors son poste d’employée de banque pour intégrer le syndicat. Quelque temps plus tard, elle devient secrétaire centrale de l’OGBL, une fonction politique occupée pour la première fois par une femme. «C’était quelque chose d’inédit pour l’ensemble même des syndicats», se souvient-elle. En 1987, alors secrétaire politique du département des femmes, elle organise la restructuration totale de ce comité. «Ce plan de promotion des femmes avait pour objectif qu’elles soient davantage représentées au sein des comités d’organes de décision, dans la structure syndicale, mais aussi dans les confédérations (…). C’était un vrai travail de persuasion pour mettre en avant celles qui n’osaient pas s’engager», explique Danièle Nieles.

L’OGBL sans femmes, ce n’est plus pensable

Oser, l’ancienne figure de l’OGBL n’a jamais eu peur de le faire, même quand elle a dû négocier pour la première fois une convention collective dans l’une des plus grandes entreprises du pays, Cactus. «J’avais 24 ou 25 ans. À l’époque, je me souviens que le patronat n’avait jamais vu une femme en tant que négociatrice. Et j’avais un handicap, j’étais jeune et femme. Alors oui, il y a eu des réticences de la part des patrons, mais pas de remarques sexistes directes», appuie l’ancienne syndicaliste. Pourtant, elle reconnaît que d’être une femme dans le Luxembourg très «catholique» et «patriarcal» des années 1980 n’était pas toujours évident. «Il ne faut pas oublier le triple travail d’une femme : le boulot, la maison et le syndicat. Alors pour les hommes, le deuxième rôle n’existait pas. En tant que mère célibataire, sans mes parents, je n’aurais pas pu faire ce travail», se remémore-t-elle.

Quelques années après son arrivée, les changements commencent à se faire sentir. Plusieurs femmes deviennent secrétaires centrales et accèdent à de hautes responsabilités politiques. Plus de trente ans après ses premiers pas, Danièle Nieles explique que le monde syndical a «beaucoup changé» et insiste sur un point. «C’était un monde d’hommes, mais ça ne l’est plus (…). L’OGBL sans femmes, ce n’est plus pensable. Nous étions très peu quand nous avons commencé. Il y avait seulement 30 femmes et celles-ci n’occupaient que des postes administratifs. Pour moi, la fierté est d’avoir quitté ce syndicat en ayant à sa tête une femme. Ce n’est pas mon mérite, mais celui de toutes celles et tous ceux qui ont œuvré pour faire changer les mentalités.»

Viviane Goergen, l’Européenne

Viviane Goergen a débuté son engagement syndical dans les années 1980. (Photo : LCGB)

Contrairement à d’autres, Viviane Goergen n’a pas baigné dans une tradition syndicale familiale. «Mon père était chef d’entreprise», sourit-elle. Dans les années 1980, elle est aide-soignante dans le domaine hospitalier. C’est à ce moment-là qu’elle se rapproche d’un syndicat, le LCGB, pour régler des «problèmes professionnels» auxquels elle est confrontée. De simple membre, elle décide de s’engager dans la délégation du personnel de son entreprise qu’elle quitte pour rejoindre une maison de soins pour les personnes âgées.

Puis, en 1994, son engagement s’intensifie. Elle devient secrétaire syndicale pour le secteur des soins et de la santé. Mais sa mission est surtout de mettre sur pied une structure inédite et dédiée aux femmes. Celle-ci verra le jour un an plus tard, en 1995. «Notre but était de faire une analyse et un état des lieux au niveau de la représentativité et de la participation des femmes dans les syndicats, mais aussi dans les comités fédéraux et les fédérations. En somme, améliorer les choses», explique Viviane Goergen. Une vingtaine de femmes de tous les secteurs et toutes les professions rejoignent ce comité. «Il y avait beaucoup de femmes dans les syndicats avant la Seconde Guerre mondiale, puis cela s’est un peu endormi», note-t-elle. Avec cette structure, elle souhaite surtout faire évoluer les mentalités. «On ne voulait pas changer le monde, mais responsabiliser les hommes. Oui, il y a eu des remarques, il fallait être tenaces, mais nous avions aussi le soutien de certains hommes. Après ce long chemin, les changements ont petit à petit commencé à se voir», confie l’ancienne syndicaliste.

On ne voulait pas changer le monde, mais responsabiliser les hommes

À la fin des années 1990, Viviane Goergen choisit de dépasser les frontières et de s’engager au niveau européen. Elle rejoint alors le comité des femmes de la Confédération européenne des syndicats. Là, elle discute avec l’ensemble des syndicats européens, socialistes comme chrétiens, de la place des femmes dans le monde syndical et dans le monde du travail. D’abord membre active, elle en assurera la présidence pendant quatre ans, de 2005 à 2009.

De ce parcours européen, elle retient un engagement long mais fructueux et surtout des différences entre les pays en matière d’égalité entre les deux sexes. «Le Danemark, la Finlande et la Suède étaient les pays les plus avancés. Le Luxembourg n’était pas au niveau des pays du sud, très à la traîne. Mais nos voisins, dont la France, la Belgique ou encore l’Allemagne, étaient plus avancés que nous», reconnaît-elle.

Aujourd’hui, Viviane Goergen, 70 ans, a tourné la page du syndicalisme. Des années de combat qui ont permis une évolution des esprits. «Au Luxembourg comme en Europe, de nombreuses femmes sont à la tête des syndicats. Il y a trente ans, on n’aurait jamais imaginé cela. Mais tout ça reste récent, car je me souviens de la génération juste avant moi où certaines femmes qui travaillaient n’avaient aucun droit.»

Martine Birmann, l’engagée sur le tard

Martine Birmann a rejoint l’Aleba dans les années 1990. (Photo : Aleba)

«À l’époque, rejoindre un syndicat en tant que femme et mère de famille n’était pas toujours facile. La possibilité de mettre ses enfants dans des crèches n’existait presque pas», confie Martine Birmann. Pourtant, à la fin des années 1990, elle décide tout de même de se présenter pour la première fois sur une liste de l’ALEBA, alors syndicat des banques et assurances. En premier lieu suppléante, elle devient quelques années plus tard, en 2003, déléguée du personnel titulaire au sein de son entreprise, la Banque internationale à Luxembourg (BIL). «C’était toujours à côté de mon travail, je n’étais pas syndicaliste libérée», précise-t-elle.

De ses premiers pas, elle se souvient d’un monde «d’hommes» et «patriarcal» où les femmes «n’étaient pas prises au sérieux». «Au début, on s’est beaucoup battues contre les inégalités (…). On remarquait aussi qu’au moment des nominations ou des changements de fonction, les hommes étaient désignés avant les femmes, car ils étaient soi-disant plus disponibles.» Elle avoue avoir été victime de remarques sexistes de la part de certains membres de son syndicat et du patronat avec qui elle devait négocier. «C’était assez subtil. Ils ne me l’ont pas dit clairement, mais l’ont bien fait remarquer.» Martine Birmann est aussi confrontée à des différences de traitement imputées directement à son genre. «À la fin de l’année, si on avait bien travaillé, on avait une gratification financière. Je me souviens que j’avais dit à mon responsable que je méritais plus. Il m’avait répondu :  »Ton mari aura certainement une meilleure gratification qu’il pourra partager avec toi ».»

À l’époque, les femmes n’étaient pas prises au sérieux

Quelques années plus tard, en 2008, en pleine crise financière, elle doit négocier un plan de maintien dans l’emploi dans sa banque. Une lourde charge pour laquelle elle ne reçoit «pas le soutien masculin espéré». Elle finira par démissionner de sa fonction de déléguée du personnel.

De ses années de syndicalisme, elle se rappelle un monde qui s’adaptait peu aux femmes. «Souvent, les manifestations se déroulaient le soir. On ne pouvait pas toujours se libérer, notamment à cause des enfants», note Martine Birmann. Un inconvénient qui persiste encore aujourd’hui. «C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons encore du mal à trouver des candidates pour constituer des listes.»

Si elle reconnaît que le monde syndical a changé, elle soutient que le droit de s’engager dans l’action doit être encore soutenu. «L’égalité au niveau des salaires ou des pensions n’existe pas.» Pour Martine Birmann, hier comme aujourd’hui, la présence des femmes dans l’univers syndical reste nécessaire. «Elles prennent souvent des décisions plus humaines et plus empathiques que les hommes (…). Il est vrai qu’aujourd’hui, elles sont beaucoup plus prises au sérieux», conclut-elle.