Épouvantail utile pour la majorité, conseiller parfois embarrassant du Rassemblement national, Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump, s’offre depuis samedi un drôle de tour de piste politique et médiatique en plein sprint final de la campagne française des européennes.
Depuis qu’il a posé ses valises dans sa suite du luxueux hôtel Bristol vendredi, Steve Bannon a réussi son pari : faire parler de lui. D’Emmanuel Macron à Marine Le Pen, en passant par Édouard Philippe et les porte-parole des campagnes : difficile d’échapper au nom de l’ancien banquier de Goldman Sachs. Renvoyé de la Maison Blanche en août 2017 moins d’un an après sa nomination, il est désormais établi à Bruxelles à la tête d’une fondation qui rêve de mettre en réseau les partis nationalistes et populistes et de leur proposer analyses et stratégies.
A son arrivée à Paris, pendant que ces formations se réunissaient sans lui à Milan samedi, Steve Bannon, épaulé par une agence de communication, a lancé plusieurs propositions d’entretiens à la presse, entamant sa tournée par Le Parisien. « De toutes les élections (…) c’est de loin, ici, en France, la plus importante », a-t-il estimé, affirmant vouloir « parler du RN » et du « potentiel d’un super-groupe » populiste au Parlement européen.
« Cheval de Troie de Trump et Poutine »
La majorité présidentielle a immédiatement riposté par une batterie de tweets, dénonçant « une atteinte à la souveraineté de l’élection », Pascal Canfin, n°2 de la liste présidentielle qualifiant Steve Bannon de « cheval de Troie de Trump et de Poutine ». Emmanuel Macron a enfoncé le clou en épinglant dans une interview mardi les « lobbyistes comme M. Bannon » dont « l’objectif est le démantèlement de l’Europe ».
Sur le perron de l’Élysée, où il était invité mardi à déjeuner avec d’autres écrivains, Bernard-Henri Lévy s’est ému de voir l’Europe « gangrénée de l’intérieur par des petits caïds populistes instrumentalisés par M. Bannon ». Au même moment, le député (LREM) Pieyre-Alexandre Anglade a mis le sujet sur la table lors des Questions au gouvernement, provoquant le départ des élus communistes.
Car la présence de Steve Bannon à Paris conforte la stratégie du camp macroniste, qui n’a cessé d’alerter sur le risque d’une coalition des populistes en Europe et d’ingérences étrangères dans l’élection. « Cette visite n’est pas anodine et je ne crois pas qu’il faille la passer sous silence », a plaidé le député Anglade, en se défendant de « donner de la force ou de l’écho » à l’Américain.
« Aucun rôle dans la campagne »
Du côté du RN, la proposition d’aide de Bannon ne suscite en façade guère d’enthousiasme. C’est un « conseiller intéressant » mais il n’a « aucun rôle dans la campagne », a assuré Marine Le Pen qui en avait fait son invité vedette lors du congrès du parti en mars 2018. Prudente, la présidente du RN a expliqué s’être « rapprochée » de Bannon pour plusieurs raisons : parce qu’il avait contribué à la victoire de Donald Trump qui est « en train de faire le choix de tourner le dos à la mondialisation sauvage », parce que le RN cherchait une banque européenne pour financer sa campagne et parce qu’il connaît les méthodes américaines de levées de fonds.
Mais « quelle est l’influence de M. Bannon en France ? Assez réduite, soyons honnêtes », a estimé sur Radio Classique mardi le numéro 3 de la liste du RN, Thierry Mariani, connu pour sa proximité avec la Russie.
« Steve Bannon est devenu un peu le sparadrap du capitaine Haddock », analyse le politologue Jean-Yves Camus. « Marine Le Pen semble agacée par lui mais des cadres du RN vont à l’hôtel Bristol » pour le rencontrer, « donnant l’impression d’un double discours », ajoute-t-il, en référence à une visite révélée lundi par Le Parisien.
Le sujet pourrait toutefois encore rebondir après l’élection. Le patron des députés LREM Gilles Le Gendre a repoussé à cette échéance une possible commission d’enquête parlementaire sur les liens entre le RN et Steve Bannon, réclamée par plusieurs parlementaires.
LQ/AFP