ÉLIMINATOIRES EURO-2024 L’enfant terrible Gerson Rodrigues a prouvé en Islande à quel point il reste indispensable sportivement. Mais quand est-ce qu’il sourira de nouveau ?
Le nom de Gerson était sur toutes les lèvres avant sa mise à l’écart, en juin dernier. Son nom était sur toutes les lèvres quand son bannissement a été confirmé, en septembre. Il l’était aussi à son rappel, début octobre. Il le sera encore aujourd’hui, demain et dans les jours à venir parce qu’il a été décisif à Reykjavik (1-1). Et tout, dans son attitude, continue de prêter à en faire une légende de notre époque, du genre qu’on adore ou qu’on adore détester. Parce qu’il semble impossible, aussi, de s’en passer durablement sur le terrain.
Le mois dernier, alors que Luc Holtz ne l’avait pas sélectionné, un commentateur belge mal renseigné occupé à disserter sur Portugal – Luxembourg a cru devoir parler de… Lars Gerson comme de «l’enfant terrible du football grand-ducal»… Gerson, partout. Tout le temps. Même hors des frontières. Même quand c’est faux.
Mais c’est à croire que le joueur adore cette attention perpétuelle autant qu’il la subit. Car jamais un Lars… Gerson ne se serait permis les posts Instagram dont son homonyme s’est fendu après l’annonce de la liste, au moment où la plupart des footballeurs du monde entier auraient fait preuve d’humilité (au moins simulée) et seraient revenus aux affaires dans le plus grand silence. Morceaux choisis. Dont un repompé d’une citation de Zlatan Ibrahimovic : «Parfois, c’est mieux d’être le « bad guy », parce que comme ça, tu sais ce que la personne en face de toi pense vraiment. Mais je vais transformer mes « haters » en fans. Alors, j’ai besoin de plus de « haters »». Et une citation de son propre tonneau : «Vous ne m’avez pas fait, donc vous ne pouvez pas me briser». Ce genre de petites phrases est, finalement, le plus sûr moyen pour conserver ses «haters». Aucun doute : l’ancien Folaman sait y faire.
Il est ostensiblement en marge du groupe
L’enfant terrible, le vrai, est donc de retour sous le maillot des Roud Léiwen. Et on aurait dû s’en douter : c’est un come-back fracassant sur le devant de la scène. On l’avait quitté en juin sur une incroyable bouderie, mais avec une réponse magique contre le Liechtenstein (2-0). Empêtré dans ses affaires, plusieurs fois en retard aux séances, Gerson Rodrigues avait quand même fait pencher la balance contre la lanterne rouge du groupe, en entrant en jeu et scorant une fois avant de délivrer une passe décisive tout en tirant la tronche, et sans se cacher le moins du monde. Être bon ne l’avait pas empêché d’être renvoyé à la maison par Luc Holtz avant le déplacement en Bosnie, gagné sans lui (0-2), pour accumulation de retards aux entraînements.
Mais en septembre, l’autoritaire victoire de l’aller contre Islande (3-1), toujours sans lui, avait éludé un fait, majeur : personne dans cette sélection ne fait de différences aussi fondamentales sur le terrain ces dernières années. Et à Reykjavik, le divin rasta a remis ça : sorti du banc à la pause, il n’a frappé qu’après quelques secondes, d’un coup de fusil soudain des 25 m, pour arracher le nul (1-1).
Voilà pour ce qui a été immédiatement visible. Mais c’est tout ce qu’il y a eu avant et tout ce qui s’est passé après qui contribue à entretenir un psychodrame permanent autour de sa personne, qui n’a heureusement pas encore eu d’incidence désastreuse sur le terrain.
Je vais transformer mes « haters » en fans
L’Islande ? Gerson n’a pas parlé de tout le déplacement. Ni en préambule à cette rencontre. Ni pour évoquer sa folle deuxième mi-temps, quand l’UEFA l’a pourtant invité à se rendre devant la presse, qui le sollicitait dans les couloirs du stade Laugardalsvöllur. Il se préserve? C’est judicieux. Il pourrait dire des choses qu’il regretterait. Ainsi, son entourage le dit «concentré» et le staff se félicite officiellement de son travail lors de ce rassemblement. Mais est-il heureux ? Gerson ne s’est pas beaucoup mélangé aux autres joueurs lors des déplacements, voire pas du tout, semblant traîner un spleen manifeste qui confine une infinie solitude. À la vérité, la star s’est sentie un peu lâchée par certains coéquipiers ces dernières semaines, lassés de ses frasques (la dernière en date, minuscule mais si symbolique, l’a vu faire patienter tout le monde à l’aéroport parce qu’il avait dix minutes de retard à l’embarquement). La perte symbolique de son n° 10 au profit de Danel Sinani, une petite humiliation en soi, dont il dit ne pas avoir été prévenu, n’a rien arrangé.
Le joueur, que Luc Holtz s’est plu le mois dernier à décrire comme «en marge du groupe à l’heure actuelle», a été rappelé au motif de l’union sacrée, mais ses capacités à sauver la nation ne semblent plus être reconnues. C’est visible. C’est flagrant. Sa célébration de but ? Suivie par deux coéquipiers seulement : Vincent Thill et « Kiki« Martins, auteurs de très fugaces accolades, combinées à une petite tape sur les fesses d’Enes Mahmutovic, qui ne s’est pas attardé. Il faut dire que la manière dont l’attaquant de Sivasspor a fêté son but a prêté à pas mal de conjectures : sifflé par une partie des fans luxembourgeois à la pause, il est venu se planter devant la tribune un doigt sur la bouche. Il n’y a pas eu de joie démesurée sur la pelouse, juste un petit malaise qui ne cadrait pas avec l’importance cruciale de ce but.
Les affaires judiciaires bientôt derrière lui ?
La FLF croit savoir, au moins, que les péripéties (accusations de violence conjugale, de violences lors d’une soirée, mais aussi d’insultes envers les forces de l’ordre) qui l’ont amené ou vont l’amener devant la justice pourraient se solutionner à son avantage, à l’exception des injures envers policiers, qui devraient lui valoir une condamnation avec sursis.
La question sur la sélection d’un homme condamné surgirait-elle alors dans le débat public? Pour l’heure, l’évidence est qu’il est indispensable sportivement. Et qu’il vient de régler pour de bon la question de savoir qui est le meilleur buteur de l’histoire de la sélection. Si certains légalistes estimaient qu’il n’était encore qu’au même niveau que Léon Mart (qui avait marqué nombre de ses buts dans les années 30 et 40 contre des sélections B), il l’a désormais dépassé avec 17 réalisations.
Il devrait même en être à 18, s’il n’avait pas raté le but complètement vide sur une immense relance de Moris, dans les arrêts de jeu et alors que le gardien islandais était monté sur un dernier corner. Paul Philipp a alors poussé un grand cri de désespoir et Luc Holtz a fini allongé par terre de dépit, frappant le sol de ses poings. Ce n’était qu’une action de jeu, mais on aimerait tellement que cette sensation de gâchis, matérialisée par les réactions des deux hommes forts du foot luxembourgeois, commence à s’effacer pour revoir Gerson pleinement réintégré au cœur d’un projet collectif… Contre la Slovaquie ce soir, dans une ambiance de folie propice à le voir prendre feu ?