Étienne Schneider explique la réussite économique du Luxembourg. Le ministre de l’Économie veut faire bouger les lignes pour faire croître l’économie du pays.
En quelques mois, vous avez annoncé près de 570 millions d’investissements de la part de sociétés privées au Luxembourg et la création de près de 450 emplois dans le secteur industriel. Celui-ci semble bien se porter, non?
Étienne Schneider : C’est exact. Ce sont les investissements qui ont été annoncés en juillet et en septembre. Ils contribueront à la création de 450 à 500 emplois. D’autres annonces suivront dans les prochains mois, mais je ne dévoilerai rien à ce sujet. Plus globalement, on voit qu’il y a une certaine dynamique des activités industrielles au Luxembourg.
Comment expliquez-vous cet attrait pour le Luxembourg, alors que le coût de la main-d’œuvre est élevé ?
La main-d’œuvre n’est pas tout. Même si le salaire minimum est plus élevé qu’ailleurs, le taux global des charges sociales est au plus bas en comparaison avec d’autres pays. De plus, le Luxembourg reste un pays où les salariés sont plutôt contents dans la mesure où ils peuvent vivre avec un seul salaire, alors que dans d’autres pays, c’est de moins en moins le cas. D’un autre côté, le pays dispose de très bonnes infrastructures, ce qui est important pour un investisseur. Nous avons gardé le même niveau d’investissement public dans les infrastructures du pays, même pendant les années de crise. Aujourd’hui on dépasse les 4 % (par rapport au PIB) d’investissements publics, un taux inimaginable si on le compare encore une fois à d’autres pays. Au final, on dispose de routes, de transports publics, de la fibre optique, de data centers, etc. Si on y ajoute nos atouts, ceux d’un pays avec un accès direct aux décideurs politiques et une administration proactive cherchant toujours des solutions pragmatiques, on dispose d’un environnement attrayant pour les investisseurs. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais des chefs d’entreprise eux-mêmes. Dans d’autres pays, on a l’impression qu’ils cherchent plutôt à éviter de faire venir ces investisseurs potentiels.
C’est-à-dire ?
Une petite anecdote pour illustrer ce propos. Un jour, un producteur allemand de cosmétiques, qui devait faire un investissement industriel considérable, m’a détaillé pourquoi il avait choisi le Luxembourg. Il m’a donc expliqué que pour investir en Allemagne et avoir toutes les autorisations, cela lui aurait pris huit ans. En France, il devait négocier davantage avec les syndicats qu’avec ses clients. Au Luxembourg, tout semblait simple dans la mesure où les autorités étaient à son écoute, les syndicats se montraient réalistes et faisaient des efforts pour trouver un terrain d’entente.
Vous avez résumé les points forts du pays…
Oui et il faut ajouter que le Luxembourg est bien placé géographiquement, ce qui est également un avantage certain. Sans oublier le multilinguisme du pays. Ici vous pouvez trouver toutes les langues dont vous avez besoin. En Allemagne, par exemple, pour trouver des personnes qui parlent le français, c’est beaucoup plus compliqué. Ici, on a toute les nationalités possibles et chaque citoyen parle en moyenne 3,6 langues.
Lors du 175e anniversaire de la Chambre de commerce du Luxembourg, vous avez rappelé l’importance d’être tourné vers l’extérieur.
Absolument. Je l’ai encore rappelé au congrès du LSAP concernant le CETA. À l’origine, au XIXe siècle, nous étions un pays d’agriculteurs sans aucun avenir économique, car nous n’avions ni capital ni intelligence. D’ailleurs lors du dernier partage du territoire avec la Belgique, une bonne partie de l’élite intellectuelle et financière du pays quittait le pays, car elle ne voyait aucun avenir au Luxembourg. Qu’est-ce qui a créé la richesse, au fil des dernières décennies, que l’on connaît aujourd’hui? Tout simplement l’ouverture aux capitaux étrangers et l’ouverture vers l’étranger du pays, tant pour le développement de l’industrie que pour sa place financière. C’est une politique que nous avons toujours soutenue, même au niveau international, que ce soit avec l’ONU ou l’Europe. Nous avons toujours été dans les premiers à nous ouvrir et à chercher la collaboration internationale. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons 48 % d’étrangers sans avoir un parti politique d’extrême droite. Au fond de nous, nous savons très bien à quoi nous devons cette richesse actuelle, l’ouverture d’esprit. Si aujourd’hui un Luxembourgeois touche deux à trois fois plus de pension qu’un Allemand ou un Français, si le salaire minimum est un des plus élevés au monde, si les soins de santé sont accessibles… c’est grâce à notre économie ouverte qui tourne bien.
Vous pensez que, dans le climat actuel, c’est une réflexion qu’il faut souligner un peu plus que d’habitude ?
Oui. Si nous n’avions pas été ouverts, nous serions un pays comme les autres, voire un pays avec beaucoup moins de succès que nos voisins. Je le répète, au début de notre histoire, nous n’avions quand même strictement rien à la base.
Pourtant, en ce moment, il y a une forme de repli sur soi-même, notamment avec ce débat sur la langue luxembourgeoise.
Cette discussion sur la langue luxembourgeoise, je veux bien la comprendre. J’entends les gens qui sont énervés car ils doivent parler une autre langue que le luxembourgeois lorsqu’ils vont faire leurs courses. Mais d’un autre côté, on n’a pas de Luxembourgeois qui veulent travailler dans ces métiers ou du moins, on n’en a pas assez. Je veux bien que l’on discute sur comment faire en sorte que la langue luxembourgeoise ne soit pas perdue, mais d’un autre côté, toutes les analyses montrent que l’on n’a jamais autant parlé le luxembourgeois dans toute l’histoire de notre pays. Donc, d’un côté, je comprends qu’il y ait une certaine frustration si vous devez tout le temps vous exprimer dans une langue qui n’est pas la vôtre, mais d’un autre coté c’est un avantage énorme et merveilleux.
Entretien réalisé par Jeremy Zabatta
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