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Espagne: « c’est quoi l’ETA ? »


Des visiteurs au musée de la Paix, le 4 mai 2018 à Guernica, au Pays Basque. (Photo : AFP)

Iratxe Momoitio a entendu cette question de nombreuses fois dans la bouche d’adolescents au musée de la paix qu’elle dirige à Guernica, soulignant l’ampleur du travail de mémoire à effectuer au Pays basque.

Un manque de connaissance qui la perturbe alors que la région doit aller de l’avant mais ne pas oublier, selon elle, maintenant que l’organisation séparatiste basque s’est auto-dissoute en mai.

« Le fait qu’ETA n’existe plus, qu’il n’y ait plus de violence ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travail d’éducation, de cicatrisation à faire pour expulser tout ce que nous avons gardé à l’intérieur et dont nous n’avons pas parlé pendant de nombreuses années », dit la directrice du musée de la ville, bombardée par l’aviation nazie en 1936 durant la guerre civile.

Jusqu’en juin, le musée a organisé une exposition tentant d’expliquer les décennies de violence au Pays basque pour s’assurer que la société se souvienne.

Et que l’histoire ne se répète pas, insiste pour sa part le gouvernement régional, qui organise des débats dans les écoles et est en train de mettre en place un module d’histoire sur le sujet dans le secondaire.

« Il y a des cas dans le monde où on a essayé de tourner la page très vite et où la violence est réapparue de manière désordonnée », estime Jonan Fernandez, en charge des droits de l’homme et de la coopération au sein de l’exécutif basque.

Pour lui, par exemple, l’émergence de groupes criminels comme le MS-13 au Salvador est lié à « une mauvaise compréhension » de la guerre civile dans ce pays d’Amérique centrale (1979-1992).

L’Irlande du Nord est elle toujours le théâtre de violences sporadiques malgré la fin de la lutte armée décrétée par l’IRA.

Pour Cori Wielenga, de l’Université de Pretoria, « la façon dont on se souvient du passé » via « une narration collective » a un impact sur la réconciliation. « Si suffisamment de monde la rejette, cela peut entraîner une résurgence de la violence », juge la chercheuse dans un texte sur la mémoire au Rwanda et en Afrique du sud.

Mémoire à plusieurs facettes

En Espagne, la question est particulièrement sensible alors que le travail de mémoire sur les années de guerre civile (1936-1939) et de dictature franquiste (1939-1975) a été très limité. Iratxe Momoitio souligne d’ailleurs que les jeunes Français venant dans son musée « en savent beaucoup plus sur la guerre civile que ceux d’ici ».

Les lacunes sont les mêmes concernant l’histoire récente du Pays basque. «Il y a beaucoup de jeunes (Basques espagnols) de 15 ou 16 ans qui viennent et demandent « ETA, mais c’est quoi l’ETA » ?», dit-elle, incrédule.

Mais « comment allons nous parler de quelque chose dont nous mêmes les adultes, qui l’avons vécu, avons du mal à parler à la maison, avec nos amis, notre famille », insiste Iratxe Momoitio. « Comment allons-nous le transmettre aux générations futures ? C’est une question vraiment sérieuse ».

Et surtout sensible dans une région où les partisans d’ETA et ses opposants veulent avoir voix au chapitre.

D’un côté, les partisans de l’organisation justifient son émergence par une répression du peuple basque ayant culminé sous Franco et jugent avoir eux aussi été victimes de cellules parapolicières, comme les Groupes antiterroristes de libération (GAL) créés par l’Etat espagnol, ou de groupes d’extrême-droite ayant tué au total 62 personnes.

Pour l’autre camp, ETA n’est qu’un groupe terroriste ayant tué 853 personnes, selon le décompte du gouvernement espagnol.

Ne pas se taire

Dans ses recherches sur les situations post-conflit, Cillian McGrattan, de l’Université de l’Ulster, souligne que les débats sur la mémoire deviennent parfois « une façon de s’affronter à nouveau », cette fois sur « l’héritage (du conflit), les crimes ou les griefs non résolus ».

Une étude rigoureuse du passé est donc cruciale, pour l’historien basque Gaizka Fernandez Soldevilla.

« Dans un sondage, nous avons découvert qu’environ la moitié de la population basque souhaitait tourner la page », dit-il. Ce qui selon lui «est extrêmement dangereux car si vous vous taisez, vous créez un vide que quelqu’un remplira avec sa propagande»

Le Quotidien / AFP