Depuis le mois d’août, Médecins du monde a déménagé dans de nouveaux locaux. Plus grands, mieux agencés et situés en plein centre-ville, ils permettront à l’ONG de mieux remplir sa mission.
Lumières éteintes, le bâtiment semble endormi. Pourtant à l’intérieur, les salariés et bénévoles de Médecins du monde ne chôment pas. «On allume les lumières que pour les permanences», précise Sylvie Martin, la directrice générale. Organisées les lundis de 15 h à 17 h et les jeudis de 10 h à 12 h, des horaires souvent dépassés, elles animent rapidement les couloirs. Depuis l’ouverture, Médecins du monde reçoit 12 à 15 personnes par semaine, soit le double des bénéficiaires qui poussaient les portes de l’ancienne adresse.
Il faut dire que les précédents locaux, rue d’Audun, étaient un peu en marge de la ville et n’étaient pas d’un accès facile. Dorénavant près de l’hôtel de ville, en face de la justice de paix, Médecins du monde peut pleinement trouver sa place dans la Métropole du fer. Malgré cet afflux de nouveaux bénéficiaires, les membres de l’ONG semblent avoir rapidement pris leurs marques.
Ouvert début août, leur nouveau Centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) répond en effet bien plus à leurs besoins que leur ancienne adresse. «C’était devenu trop petit mais surtout vétuste et inadapté depuis la pandémie, précise Sylvie Martin. Il n’y avait pas de système d’aération, donc nous étions obligés de faire attendre les gens dans la rue. Ce sont des personnes malades et en situation précaire, c’était inacceptable de les faire attendre dans le froid ou sous la pluie.»
Acheté par la Ville d’Esch, le bâtiment est mis à la disposition de l’ONG pour au moins 15 ans. «Quand nous sommes arrivés, il n’y avait rien, pas même de sol !» Une page blanche sur laquelle l’équipe a pu créer une structure sur mesure pièce par pièce. «Nous avons pu concevoir l’aménagement grâce à une architecte qui nous a aidés bénévolement. Elle a dessiné un premier jet que nous avons transmis à l’architecte de la ville d’Esch.» Celui-ci s’est alors occupé de finaliser le projet et de le mettre aux normes.
«Un de nos donateurs nous a dit que des beaux locaux étaient valorisants pour des personnes déjà exclues.» La localisation, beaucoup moins périphérique, permet également de les ramener dans la société et d’éviter de les marginaliser encore plus. Cette considération est importante dans la prise en charge, car si l’on se rend au CASO avant tout pour des raisons médicales, un vrai travail social est également effectué.
Médecins du monde propose des consultations gratuites de médecine généraliste mais aussi des entretiens avec un psychologue. «À chaque permanence, il y a toujours au moins un généraliste, deux infirmiers, un psychologue et deux personnes à l’accueil, résume Sylvie Martin. Et dès qu’une personne vient pour la première fois, nous la dirigeons vers une assistante sociale à qui elle peut expliquer sa situation.»
La plupart des bénéficiaires sont des gens n’ayant pas accès au système de sécurité sociale. Pour eux, le gouvernement a mis en place une couverture universelle de soins de santé (CUSS) qui permet à l’État de financer leur prise en charge. Dans ce cadre, le ministère de la Santé met également à la disposition de Médecins du monde une personne s’occupant de ces dossiers. Mais l’ONG aimerait bénéficier de plus de moyens pour répondre aux trop nombreuses demandes (voir encadré).
Des parcours de vie «très durs»
Car les bénéficiaires sont de plus en plus nombreux au fil des ans. À son ouverture en 2015, le CASO avait reçu 19 patients et effectué 41 consultations. Les chiffres sont rapidement montés pour passer à 85 patients en 2018 (251 consultations) et 178 en 2022 (pour 350 consultations). «Ce sont des personnes qui ont des parcours de vie très durs, à qui il faut apporter une aide sociale.» Et malgré les richesses du Luxembourg, Médecins du monde voit la pauvreté et les inégalités augmenter. «On note aussi une augmentation des problèmes de santé mentale. Cela donne des situations qui se complexifient et des personnes qui ont de plus en plus de mal à intégrer le système.»
Beaucoup sont prises dans un cercle vicieux où l’absence de papiers les empêche de trouver un logement et un travail, indispensables pour accéder à la sécurité sociale et rester en bonne santé. «Quand ils viennent nous voir, la douleur est souvent devenue insupportable et les maladies, comme la typhoïde, déjà bien avancées, laissant parfois des séquelles.»
Une situation alarmante contre laquelle Médecins du monde tente de lutter en proposant la meilleure couverture possible et en proposant, au-delà du suivi général, le plus de prestations. Soins dentaires, chirurgie orthopédique, vaccination, kinésithérapie… sont d’autres spécialités proposées par l’ONG et ses partenaires. Une manière d’offrir un panel de soins se rapprochant au mieux de ce que propose le système traditionnel. «Bien sûr, ça ne le remplacera jamais.»
Les oubliés du système
En 2021, Médecins du monde a reçu 1 391 personnes, surtout des hommes de 30 à 49 ans, que ce soit sur son site d’Esch ou à Bonnevoie. «Nous avons près de 6 % de nationaux», précise Sylvie Martin. Des gens issus de 87 nationalités différentes sollicitent l’aide de l’ONG dont près de 40 % d’Européens, 24 % d’Africains et 22 % d’Asiatiques. Plus de la moitié d’entre eux sont là depuis au moins un an. «Cela touche assez peu des personnes de passage comme on le croit souvent.»
Plus de 50 % des bénéficiaires viennent pour une pathologie chronique, ce qui demande un suivi régulier, essentiellement des problèmes digestifs (16,1 %), ostéo-articulaires (14,4 %) ou des pathologies cardiovasculaires (14,1 %). Souvent sans papiers et sans domicile, ces personnes ne rentrent généralement dans aucune statistique, pas même du Statec, et restent une population en marge de la société, oubliée des politiques.
Des moyens insuffisants
Grâce à la couverture universelle de soins de santé (CUSS), l’État luxembourgeois peut financer la prise en charge des personnes non affiliées à la caisse d’assurance maladie. Ce système permet aussi à Médecins du monde d’employer une personne chargée d’enregistrer les dossiers des bénéficiaires. Mais une seule personne ne peut traiter et suivre l’ensemble des demandes qui arrivent chaque semaine. «Depuis avril, nous n’avons plus les moyens d’affilier de nouveaux bénéficiaires», se désole la directrice générale, Sylvie Martin.
Avec le changement de gouvernement, l’ONG espère donc que la situation va se débloquer. «Nous souhaitons que la CUSS dispose d’une base légale.» Médecins du monde a profité des élections pour interpeller les politiques sur la nécessité de systématiser la CUSS à toutes les personnes vivant dans la précarité et à lui donner plus de moyens pour supporter toutes les demandes. Elle souhaite enfin généraliser le tiers payant à tous les assurés CNS les plus démunis pour offrir un accès universel à la santé.