Martin Kox, l’échevin à l’environnement d’Esch-sur-Alzette, est retraité de l’hôpital depuis un an. Mais le chirurgien n’a pas complètement laissé tomber la blouse blanche. Il se confie sur une formidable aventure humaine, qui le lie au Vietnam depuis vingt ans.
Il a fallu le convaincre de nous parler. Car Martin Kox ne voulait pas «raconter sa vie privée comme ça». Sauf qu’il existe des aventures trop belles pour les garder pour soi. Depuis vingt ans, le chirurgien du centre hospitalier Émile-Mayrisch voyage au Vietnam pour partager son savoir-faire, bénévolement.
«Et apprendre aussi. Opérer, c’est observer. On gagne toujours à voir comment les autres s’y prennent.» Cette semaine, il est revenu d’une expédition de quinze jours. «Ce n’est plus comme avant, je travaille moins, avoue le chirurgien. J’ai connu des semaines ‘non-stop’ au bloc. Aujourd’hui je leur dis : ‘faite moi un programme espacé, que je puisse profiter du pays’. »
Hué, l’âme du Vietnam
C’est à Hué qu’il pose ses valises à chaque fois. « L’aventure avait commencé là-bas, il y a 23 ans, sous l’impulsion du cardiologue Richard Schneider. La ville a changé, comme partout. Mais elle garde cette âme savoureuse, typiquement vietnamienne. »
Martin Kox décrit le tableau par petites touches, comme un impressionniste : la rivière des Parfums, la cité interdite, les ruelles usées, le flot continu des motos aux heures de pointe… et puis ces fleurs exotiques dont on ne connaît pas le nom. L’échevin possède une série de photos sur son gsm. «Ça ne remplace pas celles que l’on respire là-bas.»
À chaque voyage, le chirurgien se rend au bloc opératoire comme dans les salles de cours. « Par le passé, j’ai fait venir des stagiaires à l’hôpital d’Esch-sur-Alzette. Aujourd’hui ce sont des professionnels aguerris, ce sont eux qui m’accueillent. » Et de quelle manière ! Avec des écrits « Welcome Back » partout, même en pétales de fleurs sur le palier de sa chambre.
« Je suis touché, confie Martin Kox. Après toutes ces années, je me dis que nous avons tissé une belle amitié. » Mais c’est bien le chirurgien qui est attendu. Cette année, à peine était-il arrivé, un samedi, qu’on lui collait une opération le lundi.
Un monsieur atteint d’une tumeur de l’estomac. « Un monsieur tout fin, comme le sont les Vietnamiens. C’était un défi pour moi, un an après la retraite. J’ai retrouvé ma concentration, c’est bizarre à dire mais… j’ai célébré cet instant. J’ai relevé le défi, il n’y a pas eu de saignement (NDLR : signe d’une application parfaite), et l’échange fût constructif avec mon assistant. »
Dans les salles de repos, auprès des infirmières, aux cafés des échoppes proches de l’hôpital de Hué : le Eschois est accueilli comme chez lui. « J’ai mon petit planning, j’interviens à l’université aussi. »
L’occasion de redire l’atout formidable qu’est le français : à l’autre bout du monde, un Luxembourgeois enseigne la médecine à de jeunes vietnamiens en français. Le Vietnam est une ancienne colonie, où la langue de Molière se maintient chez les élites. « Il y a une volonté d’apprendre et une application hors norme chez eux. Même dans leur hôpital public : les locaux n’ont pas le confort des hôpitaux privés. Mais le savoir-faire des médecins est vraiment très bon. »
Le Docteur Kox revient du pays des souvenirs plein les yeux. « Je ne fais plus d’expéditions dans les campagnes, ça prend des heures de voiture et c’est épuisant. » Le retraité prend son temps. Il aime les journées longues et riches en événements. « J’étais hébergé dans un superbe hôtel, que l’impératrice du Japon vient de racheter. Je me levais tous les jours autour de 5h30, pour faire mon footing avant le réveil des motos… »
Cette année, il s’est même laissé aller à quelques séances de gym publique, comme elle se pratique dans de nombreux pays d’Asie. « On se rend compte que l’on n’est pas très souple ! La gym se déroulait tous les matins sur la place du lycée de Hué. Pour de nombreux Vietnamiens, cela fait partie d’une hygiène de vie. »
Les meilleurs souvenirs restent encore les rencontres, et les invitations dans les familles. « J’ai été invité tous les soirs, et ça aussi ça me touche. Ce sont des repas où l’on mange de tout, avec beaucoup de végétaux, ce qui me va en tant que végétarien. » Le temps s’écoule différemment, le soir l’air est plus doux, l’espace public n’est pas le même, « la rue appartient à tout le monde ».
Pour l’anecdote, lors des élections communales eschoises, des compagnons écologistes «historiques» nous avaient livré ce détail : « quand on collait des affiches, jeunes militants, on disait à Martin : Ne va pas te faire mal aux mains (NDLR : avec le verre que l’on met dans la colle pour ne pas que l’affiche soit arrachée). Tu as de l’or dans les mains Martin. »
Quel chemin parcouru depuis… Ces mains-là, probablement, sont comme l’or : elles ne s’oxydent pas. Mais il y a plus précieux que l’or et les médailles que le chirurgien ne goûte pas. « Le bien que l’on fait parfume l’âme » pour conclure, dans un français qui sera peut-être lu ailleurs, avec la poésie de Victor Hugo.
Hubert Gamelon