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Équipages de Luxair : «On ne voit pas le bout du tunnel»


Soumis à des cadences infernales depuis des mois, pilotes, stewards et hôtesses de l'air tirent la sonnette d'alarme. (illustration Adobe Stock)

Comme leurs collègues au sol, les membres d’équipage de Luxair sont durement impactés par une charge de travail hors norme depuis deux ans, alors que le chômage partiel a été maintenu, suscitant colère et incompréhension.

Les 2 800 salariés de Luxair subissent depuis deux ans des conditions de travail difficilement supportables, au sol, comme nous l’avons décrit ces dernières semaines, mais aussi dans les airs. Employés expérimentés qui désertent, nouvelles recrues qui abandonnent, CDD prêts à casser leur contrat : le personnel navigant est plus que jamais dans l’œil du cyclone.

La faute à la pandémie, mais pas seulement : «Ces deux dernières années, le covid a frappé, avec son lot d’incertitudes, mais on a aussi connu un changement de direction et beaucoup de pression», raconte Thierry*, pilote chez Luxair depuis plus de 20 ans.

Sans compter le chômage partiel, très mal vécu ces derniers mois par les équipages. Prévue dans le plan de maintien dans l’emploi (PME) signé avec l’État en 2020, au plus fort de la crise sanitaire, cette mesure a été maintenue malgré la forte reprise d’activité : «Nous avons soutenu ce PME parce qu’il faisait sens à ce moment-là pour protéger les emplois, mais par la suite, cet instrument a été utilisé pour épargner de l’argent», épingle-t-il.

Rémi*, un autre pilote, dans la société depuis longtemps lui aussi, regrette que cette mesure ait été imposée si longtemps alors que la charge de travail dépassait largement la normale : «Le deal, c’était éviter les licenciements secs, mais ça a été négocié jusqu’à 2023 et la direction y a eu recours autant qu’elle a pu», explique ce père de famille.

«L’impact a été terrible sur la motivation»

Avec de lourdes pertes financières à la clé, dues au plafonnement de l’aide de l’État à 2,5 fois le salaire minimum : si les revenus sous ce seuil ont été amputés à hauteur de 20 %, au-dessus, le salaire mensuel perdu n’a pas été compensé. Certains pilotes en fin de carrière ont vu fondre leur revenu de moitié. «Au moment du Covid, ça a été dur pendant plusieurs mois. Des collègues co-pilotes ont aussi des prêts en cours pour financer leur formation – entre 100 000 et 140 000 euros selon les écoles –, donc c’est compliqué», décrit Rémi.

Ces efforts importants, les pilotes y ont tous consenti, mais face au rebond d’activité post-Covid et au rythme de travail effréné, le chômage partiel n’a pas été levé pour autant : «L’impact a été terrible sur la motivation».

«En début de mois, certains d’entre nous étaient planifiés en dessous de 81 heures de vol, dans le giron du chômage partiel», rapporte Thierry. «Puis, au cours du mois, on faisait appel à eux pour des heures supplémentaires, si bien qu’au final, ils totalisaient davantage d’heures que d’autres, non soumis à la mesure, et voyaient leur salaire ponctionné.»

Rémi confirme : «Le chômage partiel n’était plus justifié. Ça a suscité de la colère parce qu’on s’est sentis punis. Avoir encore du chômage partiel quand on travaille comme des fous, c’est incompréhensible», s’agace le pilote.

Un épisode en particulier a mis le feu aux poudres : la décision de la direction de recourir à un leasing auprès de la German Airways. Au printemps dernier, la demande de voyages de loisirs est telle que Luxair loue un avion à la compagnie allemande pour plusieurs mois, incluant équipage, maintenance et assurance, alors que son propre personnel navigant subit du chômage partiel : «Ça n’a pas plu», se souvient Thierry. «On n’a pas compris», commente son collègue.

Si, après plus de deux ans, le chômage partiel vient enfin d’être stoppé, avec effet rétroactif au 1er juillet dernier, il aura fallu que l’association luxembourgeoise des pilotes de ligne (ALPL) intervienne auprès de la direction, les multiples demandes de la délégation du personnel sur ce point ayant été ignorées jusque-là.

«Ces collègues lâchent prise, désespérés»

Une bonne nouvelle, tout comme l’annonce de nouvelles embauches avant l’hiver au sein des équipages. Une première selon Thierry, alors que le personnel navigant manque cruellement de bras, dans le cockpit comme en cabine : «On reçoit des SMS pour voler sur nos jours off ou faire des heures supplémentaires, ce qui fait monter la pression», constate-t-il, ajoutant que les organismes sont éprouvés par l’absence de périodes creuses.

«Avant le covid, on avait toujours des mois plus intenses, mais on disposait du personnel nécessaire pour faire face, et surtout, on revenait ensuite à un planning moins chargé», observe-t-il. «Là, c’est constant, on n’arrive pas à récupérer.»

«Être planifié au maximum légal s’avère épuisant mentalement et physiquement», confirme le pilote, citant la cabine qui pressurise, les orages et les vols à rallonge, jusqu’à 14 ou 15 heures. «Avec le stress d’être toujours à l’heure, alors qu’il y a des retards partout, c’est vraiment usant.»

Si les équipes ont tout donné depuis deux ans pour sauver l’entreprise, elles sont aujourd’hui à bout de souffle : «On a tous envie que Luxair réussisse, mais il y a aussi des limites physiques propres à chacun», note Rémi. «On ne voit pas le bout du tunnel.»

De quoi expliquer l’absentéisme qui atteint des sommets ces derniers mois, à l’image d’autres départements. «Les arrêts maladie sont nombreux, mais justifiés. On ne vend pas des chaussures : pour prendre les commandes d’un avion, on doit être en forme, la loi est claire», tranche-t-il.

Une tendance encore plus forte côté cabine, où la charge de travail est extrêmement élevée, d’après eux. «Il y a énormément de démissions, encore deux la semaine dernière : des personnes qui quittent Luxair à contrecœur, après des années de service, pour protéger leur santé et leur famille», regrette Rémi.

«Le phénomène nouveau, c’est de voir ces collègues qu’on connaît depuis si longtemps lâcher prise, désespérés», décrit Thierry, qui a vu des hôtesses brisées prendre leur poste en larmes.

Et rien ne dit que la campagne de recrutement à venir sera un succès, vu ce qui est proposé aux nouveaux arrivants : «On leur offre le salaire minimum. Ce qui est loin d’être suffisant avec nos conditions de travail. Les gens préfèrent postuler à l’État», pointe Thierry.

Des embauches, il y en a déjà eu, mais ces nouvelles recrues ne font pas long feu. Ils sont nombreux à refuser un CDI au terme de leur CDD ou à prendre le large après quelques mois. «Les journées peuvent aller de 7 à 15 heures de travail, en comptant le temps entre les vols», indique Thierry. Pas de quoi booster l’attractivité.

Les prochains mois seront déterminants

Concernant le futur, il leur est difficile de se projeter. Aucun n’envisage de démissionner, mais ils aimeraient que la charge de travail redevienne supportable et que la question du gel des salaires jusqu’en 2023 – prévu dans la convention collective signée en 2020 – soit revue.

«On ne sait pas où on va ni quelles sont les perspectives», soupire Rémi. «Et le gel des salaires durant trois ans nous pénalise pour le reste de notre carrière puisqu’on accusera toujours ce retard dans la grille de rémunération. C’est une baisse de salaire déguisée», juge-t-il, estimant que les prochains mois seront déterminants pour l’avenir de Luxair.

*prénoms d’emprunt

Conseil d’administration décisif ce jeudi

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Tandis que la compagnie est dans la tourmente, nos confrères du Wort annonçaient lundi la probable démission du CEO, controversé, ainsi que sa prochaine nomination à la tête de lux-Airport.

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