Katia Vladimirova est chercheuse à l’Institut de recherches sociologiques de l’université de Genève, spécialisée sur les thèmes de la consommation et de la mode. De passage à Luxembourg pour un évènement sur la fast fashion, elle livre son analyse sur les comportements des consommateurs, qui gagneraient à «acheter moins» pour être «plus heureux».
«Les Européens sont accros aux vêtements.» Voilà en quelques mots comment Katia Vladimirova introduit son propos lors de la conférence de presse «On the road to sustainable fashion», qui a eu lieu la semaine passée au Casino de Luxembourg.
Il faut dire que la chercheuse de l’université de Genève maîtrise parfaitement le sujet. Créatrice du site «Sustainable fashion consumption», elle étudie les données accessibles sur la consommation de vêtements depuis plusieurs années déjà. «Ces data n’existaient pas il y a cinq ans. C’est très récent et ça prouve que le sujet prend de l’importance», explique-t-elle.
Pour elle, aucun doute que le problème de surconsommation dont souffre également le Luxembourg a émergé dans les années 2000 et n’est pas tant un souci «planétaire», mais englobe plutôt «des régions bien précises du monde», qui surconsomment «parce qu’elles le peuvent».
«La surconsommation de vêtements est un problème récent avec de profondes implications sociales et environnementales. Le modèle commercial de la mode rapide a poussé l’industrie vers des changements de collection plus fréquents, un plus grand nombre d’unités produites et une chute de la qualité et de la durabilité des vêtements», explique en détail la chercheuse dans son étude sur les «Couloirs de consommation dans la mode», parue en en avril 2021.
«Acheter moins, choisir bien, faire durer»
Une mentalité de «mode jetable», très présente chez les Millenials (personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) et les consommateurs de la génération Z (ceux nés entre 1997 et 2010). «C’est drôle, car ils font partie à la fois du problème et de la solution», souligne Katia Vladimirova.
Face à ce fléau, des «défis minimalistes» ont émergé sur la toile ces dernières années : il s’agit d’expériences de réduction des garde-robes, qui visent à aider les participants à éliminer l’encombrement et à réduire le nombre de vêtements qu’ils achètent et possèdent. Une alternative à l’accélération effrénée de la consommation de mode que recommande la chercheuse suisse, qui en a analysé trois : «Project 333», «Un-Fancy Experiment» et «10x Défi 10».
Chaque défi attribuait une certaine valeur numérique au nombre maximum de vêtements à utiliser sur une période spécifique. Les trois expériences visaient donc à freiner les «habitudes d’achat irréfléchies» : on achète un vêtement pour se féliciter d’une promotion, pour se consoler après une rupture… «Ça nous fait du bien d’acheter un vêtement, c’est toujours positif», souligne-t-elle.
Une «garde-robe capsule»
En parallèle des défis minimalistes, Katia Vladimirova évoque également dans son étude le concept de «garde-robe capsule», mis en place par les initiateurs des défis. C’est une pratique consistant à modifier votre garde-robe et vos vêtements préférés pour les remixer régulièrement et acheter ainsi moins souvent.
«Le but d’une capsule est de simplifier la vie de son propriétaire en choisissant soigneusement des articles de bonne qualité et bien ajustés qui peuvent être combinés facilement pour former plusieurs tenues.» Selon les blogs, avoir une capsule peut «libérer de l’espace dans le placard, raccourcir la routine matinale et aider à trouver son style».
Une approche similaire à la «seconde main» prônée notamment par l’ASBL Benu à Esch-sur-Alzette, que vous avez découvert la semaine passée dans notre édition du 26 et 27 mars. Être créatif, transformer ses vêtements au lieu d’en acheter des nouveaux.
Mais existe-t-il un «nombre magique» de vêtements à conserver ou à jeter ? Pas vraiment, selon la chercheuse, qui incite plutôt à «trouver le numéro qui vous convient». Une approche qui a permis aux consommateurs d’essayer quelque chose de nouveau, de s’amuser et d’être «ouvert à une façon différente de penser à nos affaires». «L’objectif principal est de fixer un nombre maximum afin de limiter les options et de ne conserver que les vêtements que vous aimez porter.»
Réduire sa consommation de vêtements rend-il plus heureux? Si l’on en croit l’étude de Katia Vladimirova, oui. Vivre avec moins, serait le «chemin vers le bonheur». Le bien-être personnel figure même comme le principal moteur et avantage de ces défis minimalistes. Nombre de participants se sont ainsi engagés dans un réexamen en profondeur de leurs besoins en termes de vêtements et des «désirs» imposés par les magazines de mode ou par d’autres canaux, comme les publicités ou les influenceurs.
Pas vraiment de préoccupations environnementales
Les motivations financières figurent aussi en bonne ligne, pour notamment «payer des factures ou des dettes», ou «gagner, économiser de l’argent». Fait plus étonnant, les motivations environnementales ne sont pas les plus citées par les participants, malgré l’impact connu de cette économie sur le climat. Tous les participants ont mentionné l’élimination du stress dû à l’encombrement et à la frustration de leurs garde-robes gonflées. En réduisant le nombre de vêtements qu’ils possédaient, ils ont pu profiter de plus de calme et de tranquillité d’esprit dans leur quotidien.
Un constat qui fait écho au succès de la méthode Marie Kondo, pour ranger les maisons, comme l’explique Katia Vladimirova. «Le livre de Marie Kondo est sorti au moment parfait où l’encombrement dû à la surconsommation, y compris de la fast fashion, a atteint un nouveau sommet. Tous les écosystèmes ont des moyens d’éliminer et de gérer leurs déchets. Nos maisons, pour bien fonctionner, ne peuvent pas stocker plus de biens que leur capacité physique, surtout s’ils ne sont pas utilisés. Les défis minimalistes proposent donc de se débarrasser de l’excès pour résoudre ce problème.»
Vivre avec moins crée du temps et de l’espace pour découvrir «ce qui compte vraiment» et booster la créativité. «Les besoins des gens peuvent être satisfaits avec un nombre restreint de vêtements assortis et de bonne qualité qui peuvent servir le propriétaire pendant longtemps. L’acte de vider sa garde-robe invite les participants au défi à découvrir leurs besoins et à les séparer des désirs en interrogeant ce qu’ils portent et pourquoi», souligne Katia Vladimirova.
Selon Global Fashion Agenda, en raison de l’augmentation de la population, la consommation globale de vêtements devrait augmenter de 63 %, passant de 62 millions de tonnes à 102 millions en 2030. Alors, êtes-vous prêts à relever le défi «minimaliste» et à vous sentir plus heureux ?
Rendez-vous ces prochaines semaines
Pour rappel, ce reportage s’inscrit dans une série d’articles dédiés aux déchets textiles du Luxembourg. Dans l’épisode 1, vous avez découvert que l’équivalent de 95 t-shirts étaient jetés chaque minute dans le pays. Dans l’épisode 2, nous vous avons emmené à la découverte du centre de tri national, le Spëndchen, qui tente de recycler le plus possible localement. L’épisode 3 se penchait sur le travail de l’association Benu, qui œuvre depuis plusieurs années pour l’économie circulaire et la seconde main.
Notre enquête sur les déchets textiles se poursuivra ces prochaines semaines avec plusieurs reportages sur les initiatives locales mises en place pour vous offrir une consommation textile plus responsable.