Oui, le Luxembourg consomme beaucoup trop de textile, mais il existe des solutions locales dont chacun peut s’inspirer pour faire mieux. Dans l’épisode de cette semaine, nous vous emmenons à la découverte du travail de l’association Benu, qui œuvre depuis plusieurs années pour l’économie circulaire et la seconde main.
C’est une histoire qui débute en 2015, avec un jean troué. Une anecdote qui, encore aujourd’hui, fait sourire Georges Kieffer. «Je me promenais et d’un coup, mon jean se déchire. Je venais justement de regarder une série de reportages sur l’économie des vêtements et je me suis dit, tiens, qu’est-ce que tu pourrais faire pour le réparer, plutôt que d’aller en acheter un nouveau ?»
De cette réflexion est née, à peine deux ans plus tard, l’association Benu, en plein cœur d’Esch-sur-Alzette. Un projet ambitieux d’économie circulaire, mais aussi de seconde main. Tout ce qui se trouve dans les locaux de l’ASBL est en effet recyclé ou upcyclé. Pas de neuf ici, que de la récup !
Redonner vie aux matières
Le mot d’ordre : réutiliser ce qui aurait dû être jeté. Via des donations privées, Benu donne une seconde vie aux matières premières boudées ou jetées et crée des vêtements ou accessoires uniques. Huit personnes travaillent sur la partie textile, dans l’atelier situé au premier étage du bâtiment. Stylistes, patronneurs, designers, ils sélectionnent tissus par tissus, les lavent et les découpent pour commencer leurs productions. Rien ne se jette : Benu prône le zéro déchet et réutilise jusqu’au moindre fil qui dépasse.
«C’est très stimulant, ça booste la créativité vous savez. Je ne me suis jamais autant éclaté dans un travail que depuis que j’ai créé cette association. J’y passe 60 à 70 heures par semaine mais c’est grisant», souligne Georges Kieffer. Il faut dire que l’ancien économiste est sur tous les fronts : conférences, études, partenariats, il milite pour que chacun ouvre les yeux sur la situation désastreuse du textile au Luxembourg et en Europe de manière globale.
Au-delà de l’aspect textile, l’association Benu souhaite pousser le concept encore un peu plus loin. D’ici fin avril, le village Benu, premier écovillage de la Grande Région, doit ouvrir ses portes.
Restaurant zéro déchet avec uniquement des produits locaux invendus dans les supermarchés traditionnels, menuiseries avec des matériaux recyclés, chambre d’hôtel insolite… Georges Kieffer a imaginé ce lieu comme une vraie disruption, une «chasse aux trésors», pour se «couper de tout» et donner des exemples de durabilité concrets aux Luxembourgeois.
D’ici à deux ans, le fondateur de Benu espère aussi développer des partenariats avec des communes, des écoles et des entreprises, pour sensibiliser encore un peu à la seconde main aux quatre coins du Luxembourg.
«Nous étouffons sous les tissus, c’est un fait. Et croire que l’on peut recycler des vêtements, c’est au mieux naïf, au pire hypocrite», explique-t-il sans langue de bois. Car le patron a des idées bien arrêtées sur la fibre textile et n’y va pas par quatre chemins.
«On ne peut pas consommer autant de vêtements, il faut arrêter cette folie. Ça ne se recycle pas. On fait croire aux gens qu’en mettant leurs vêtements dans des conteneurs, ils vont aider des petits Africains, c’est complètement faux. Ça donne l’impression de bien faire et donc on va acheter ensuite d’autres vêtements. Je préférerais qu’on les jette directement dans la poubelle noire, là, ils culpabiliseraient peut-être davantage», assène-t-il.
Dans sa ligne de mire, les conditions de travail des employés du textile – majoritairement des femmes –, sous payés et exploités par les grandes firmes. «À Benu, c’est 30 euros pour chaque heure travaillée. Si vous payez un pull chez nous 75 euros, c’est qu’on aura passé deux heures et demie dessus par exemple. Ce n’est pas assez payé, mais au moins, mes employés peuvent aller aux toilettes quand bon leur semble et réalisent leur travail dans des conditions décentes.»
Valorisez vos vêtements
C’est là l’objectif premier de Benu : assurer une empreinte socio-écologique optimale. Et pour ce faire, les créations sont garanties à vie. Fils, couture, fermeture, tout se répare gratuitement. «On mise vraiment sur l’économie circulaire et la seconde main. Je veux prouver aux gens qu’il existe des solutions à notre échelle et qu’ils peuvent le faire aussi chez eux. La seconde main n’est pas forcément laide ou mal taillée, au contraire, on peut recréer de très belles choses», explique Georges Kieffer.
Comment faire alors pour s’orienter vers un système similaire à Benu ? En prenant le temps de valoriser les vêtements que nous possédons déjà. «Essayez déjà de réduire le nombre de pièces que vous avez. Échangez, réparez, transformez vos vêtements existants au lieu de les jeter. Vous verrez, ça booste la créativité et on prend vraiment du plaisir à le faire», conseille le fondateur de l’ASBL.
Pour lui, il faut à nouveau se «rendre compte» de la valeur de ce que l’on porte, créer de l’émotion. Et arrêter de se donner bonne conscience en donnant nos vêtements. «C’est la clé de tout. Le monde est noyé sous les vêtements, alors arrêtons. Je préfère que les enfants du Bangladesh soient au chômage plutôt qu’exploités comme ils le sont aujourd’hui. Pour changer les choses, il faut prendre conscience de tout cela.»
Pour rappel, ce reportage s’inscrit dans une série d’articles dédiés aux déchets textiles du Luxembourg. Dans l’épisode 1, vous avez découvert que l’équivalent de 95 t-shirts étaient jetés chaque minute dans le pays ; dans l’épisode 2, nous vous avons emmené à la découverte du centre de tri national, le Spëndchen, qui tente de recycler le plus possible localement.
Dans le prochain épisode publié samedi 2 avril, nous prendrons un peu de hauteur avec la chercheuse de Genève Katia Vladimirova, qui était présente au Luxembourg pour une conférence sur la «Fast Fashion».
Elle nous expliquera ainsi qu’il est tout à fait possible d’être «heureux avec moins de vêtements» et en quoi les «défis minimalistes» peuvent être une réponse adaptée à la surconsommation de textiles dans le monde.