Les épicéas devraient disparaître dans le sud du Grand-Duché, attaqués par le scolyte. Le bois arrive massivement dans les scieries et les prix sont divisés par quatre. Le deuxième risque économique qui devrait toucher le pays sur le plus long terme, c’est une baisse de l’approvisionnement en bois d’épicéa.
Cinquante pour cent des peuplements d’épicéas sont touchés par le scolyte. Trois cents à quatre cents hectares devraient être coupés dans un futur proche sur les 13 000 à 14 000 hectares que compte le pays. Rien que dans les forêts publiques, 55 000 mètres cubes d’épicéas ont déjà été coupés, or 80% des forêts d’épicéas du Grand-Duché appartiennent à des propriétaires privés. Ces propriétaires sont au nombre de 13 000 dans le pays et environ la moitié d’entre eux ont des épicéas sur leur terrain. Quelque 2 000 propriétaires sont membres de l’association Lëtzebuerger Privatbësch et exploitent le bois.
«C’est une catastrophe économique pour les propriétaires de forêts privées car le prix du bois a chuté de 70 à 80%», assure Frank Wolter, directeur de l’administration de la Nature et des Forêts (ANF). «Le mètre cube est passé de 80 à 20 euros», précise Winfried Von Loë, le directeur de l’association Lëtzebuerger Privatbësch (qui défend les intérêts des propriétaires forestiers privés).
En dehors de ce prix qu’il juge «médiocre», il craint que si le problème ne perdure, il soit de plus en plus difficile d’écouler le bois.
Un autre problème financier se dessine dans l’avenir : «Les industries qui utilisent l’épicéa vont peut-être avoir un manque de matière première étant donné que beaucoup de peuplements ont dû être abattus. Nous avons deux grandes scieries d’épicéas, une dans le Nord, l’autre dans le Sud qui risquent d’être concernées par ce problème d’approvisionnement», reprend le spécialiste des forêts Frank Wolter. Winfried Von Loë complète : «Le public veut faire de grandes constructions en bois et ce bois, c’est celui de l’épicéa. Il est aussi important pour le bois de chauffage.»
Par ailleurs, ces industries ne sont pas forcément adaptées pour exploiter les autres arbres qui pourraient remplacer l’épicéa comme le douglas, qui est notamment plus grand.
«Une fois qu’un arbre est contaminé, il est conseillé de le retirer le plus vite possible pour éviter que de nouvelles chenilles ne se développent et à leur tour s’envolent et colonisent les autres arbres», indique Frank Wolter. Mais rien ne les contraint légalement à le faire. D’ailleurs, pour le directeur de l’association Lëtzebuerger Privatbësch, les propriétaires n’évacuent pas assez rapidement les arbres touchés. Il précise pourtant que l’association peut aider les propriétaires dans cette tâche. Car en cas de contamination, il y a urgence : en 2018 et 2019, trois générations d’insectes successives se sont développées en un été. Une rapidité de reproduction possible grâce à la chaleur.
Les aides pour le reboisement doublées
Cet insecte qui crée l’inquiétude a toujours été présent dans le pays, contaminant par endroits des épicéas souvent vieillissants. «Mais ce n’était pas significatif car lors d’étés pluvieux, l’insecte ne peut pas vraiment se développer», ajoute Frank Wolter.
Il y a environ 50 espèces de scolytes dans la Grande Région, mais seul le typographe pose un problème aussi important en s’attaquant de façon massive aux épicéas. La monoculture de cette essence en de nombreux endroits a pu également favoriser sa propagation, même si les forêts diversifiées sont aussi touchées par cet insecte qui peut se déplacer de 100 mètres en une fois.
Les propriétaires concernés par cette invasion ne reçoivent pas d’indemnités du gouvernement, mais des aides pour le reboisement ont été doublées. Une décision prise il y a quelques mois par la ministre de l’Environnement à la suite de l’invasion de scolytes. Selon le directeur de l’ANF, cette aide permet de financer à 100% des frais de reboisement. Pour Winfried Von Loë, au contraire, c’est encore insuffisant.
«Actuellement, les peuplements qui ont encore un approvisionnement en eau à peu près correct sont épargnés, constate le directeur de l’ANF. Les peuplements qui sont au-delà de 450 à 500m d’altitude se portent beaucoup mieux, parce que les températures sont moins élevées. On pense que l’épicéa va disparaître presque totalement dans le sud du pays (tout ce qui est au sud des Ardennes) dans plusieurs décennies.» Heureusement, la majorité des épicéas (12 000 hectares) se trouvent au nord du pays et nombre d’entre eux devraient subsister. Ce problème est généralisé en Europe et la situation en Allemagne est encore pire. L’épicéa devrait se maintenir dans les pays scandinaves et les montagnes dont il originaire et disparaître dans les plaines de l’Europe centrale en raison du changement climatique. Car l’arbre a une capacité naturelle pour se défendre contre le scolyte : quand l’insecte le pique, il produit de la résine qui englue le typographe et le tue. «Mais quand le temps est à la fois sec et chaud, l’arbre ne contient plus assez d’eau pour produire de la résine, prévient Frank Wolter. Il devient alors vulnérable.»
Un groupe de travail qui rassemble tous les acteurs concernés, l’ANF, les propriétaires privés et l’industrie du bois a été créé.
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Audrey Libiez