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Engagées pour le climat, des seniors attaquent leur gouvernement en justice


Aidées par Myrna Koster de Greenpeace, Anne Mahrer et Rosemarie Wydler-Wälti viennent porter cette semaine leur combat au Luxembourg et rencontrer la ministre de la Justice.(Photo : didier sylvestre)

Si leurs voix portent moins dans le débat sur le changement climatique, les seniors n’en sont pas moins concernés. En Suisse, une association poursuit même son gouvernement en justice.

Si le changement climatique est l’affaire de tous, ce sont avant tout les jeunes qui semblent avoir pris les rênes de ce combat. Plus impactés par leurs aînés dans les années à venir, ils se mobilisent dans des mouvements comme Youth for Climate ou organisent des marches pour sensibiliser le plus grand nombre à cet enjeu incontournable du XXIe siècle. Plus discrets, les seniors ne sont pourtant pas en reste et comptent bien montrer qu’eux aussi veulent faire évoluer les choses.

Des refus successifs à chaque recours

En Suisse, certains d’entre eux sont même allés jusqu’à poursuivre leur gouvernement devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Baptisée Klimaseniorinnen, leur association a vu le jour en 2016 dans un but bien précis. «Nous n’avons pas de class action en Suisse. Pour déposer une requête devant le Conseil fédéral, nous devions donc créer une association regroupant des personnes vulnérables face au changement climatique», explique l’une des coprésdidentes, Anne Mahrer. C’est pourquoi, leur structure n’est composée que de femmes d’au moins 64 ans. Ces dernières sont en effet très exposées au phénomène et ont un risque de mortalité plus élevé face aux canicules. Avec cette structure, elles ont ainsi pu adresser une requête au Conseil fédéral pour lui demander de respecter les accords de Paris.

La réponse du gouvernement n’a pas été à la hauteur de leurs attentes. «Ils ont botté en touche et n’ont pas répondu sur le fond.» L’association a alors saisi le tribunal administratif qui lui a opposé, après 18 mois d’attente, la même réponse. «Pour eux, c’est un problème à moyen et long terme», se désole Anne Mahrer. «Nous ne serions pas un groupe de population particulièrement concerné.» Un dernier recours auprès du tribunal fédéral n’aboutit pas non plus. Mais soutenu depuis leurs débuts par Greenpeace, les Klimaseniorinnen n’ont pas baissé les bras. En mai 2020, c’est donc devant la CEDH qu’elles décident de plaider leur cause. «Nous avons été beaucoup mieux accueillies. En mars 2021, la cour a classé notre requête prioritaire. Pour nous, c’est quelque chose de très important.»

Une première à la CEDH

La CEDH semble prendre l’affaire très au sérieux puisqu’en avril 2022, elle a décidé de traiter le dossier devant la Grande Chambre. Dix-sept juges seront amenés à trancher la question dans les mois à venir. «C’est la première fois qu’une telle affaire est traitée par la Grande Chambre», se réjouit Anne Mahrer. «On espère qu’une majorité de juges courageux reconnaîtront que la Suisse ne fait pas le job.» Contrairement à d’autres affaires jugées au niveau national (voir encadré), une telle décision ferait date en Europe. «Après sa décision, la CEDH restera attentive jusqu’à la mise en œuvre.»

Entretemps, la petite association a bien grandi et compte aujourd’hui plus de 2 000 femmes d’une moyenne d’âge d’environ 73 ans. «Beaucoup d’entre nous ont déjà milité», rappelle Anne Mahrer qui a par exemple été parlementaire. Elles travaillent donc aussi de concert avec les plus jeunes pour qui elles s’inquiètent du monde qu’elles leur laisseront. «Parfois, ils nous disent que c’est de notre faute. Je réponds qu’ils ont raison, que nous avons une grosse responsabilité. Mais on ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Moi, j’ai toujours milité pour le climat, j’ai même dû militer pour avoir le droit de vote!»

Vers une action similaire au Luxembourg ?

L’association tente également de faire connaître son combat au-delà des frontières suisses. C’est dans cette optique qu’Anne Mahrer et Rosemarie Wydler-Wälti, elle aussi coprésidente des Klimaseniorinnen, sont au Luxembourg cette semaine. Elles doivent notamment rencontrer la ministre de la Justice, Sam Tanson, ainsi que des jeunes engagés sur le climat. De quoi peut-être faire des émules au sein du Grand-Duché.

De nombreux pays européens déjà condamnés

Si les Klimaseniorinnen ont vu toutes leurs requêtes déboutées en Suisse, dans d’autres pays européens les tribunaux ont souvent donné raison aux militants. En France, le 14 octobre 2021, à la suite de l’affaire du siècle soutenue par plus de 2 millions de pétitionnaires, le tribunal administratif a donné jusqu’à la fin de l’année au gouvernement le soin de prendre «toutes les mesures utiles» afin de compenser l’excès d’émissions de CO2 constaté entre 2015 et 2018. En Belgique, la même année, l’État fédéral a également été condamné pour les insuffisances de sa politique climatique. En Allemagne et aux Pays-Bas, les plus hautes cours du pays ont également condamné les dirigeants. Mais ces jugements n’en restent pas moins symboliques et ne contraignent qu’assez peu les États à changer de politique. Une décision de la CEDH pourrait en revanche avoir beaucoup plus de poids et faire jurisprudence sur tout le continent européen.