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Enfance et troubles mentaux : une urgence, plus que jamais


Les enfants présentant des troubles mentaux «ont peur, ne se sentent pas en sécurité, manquent de repères», selon l'ombudsman pour les droits de l'enfant (Photo : AFP).

Les enfants souffrant de troubles mentaux ne seraient pas une préoccupation majeure du gouvernement luxembourgeois, d’après l’ORK qui lui fait une piqûre de rappel en publiant son rapport annuel sur le sujet.

L’Ombuds-Comité fir d’Rechter vum Kand (ORK) a remis mardi son rapport annuel au président de la Chambre des députés, Gast Gibéryen. Il porte cette année, sur la santé mentale des enfants et des jeunes. René Schlechter, ombudsman pour les droits de l’enfant, évoque cette problématique et les solutions existantes.

Votre rapport annuel porte sur la santé mentale des enfants et des jeunes. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?
René Schlechter : Nous avons l’impression que de plus en plus de jeunes enfants se distinguent à l’école par des comportements inadaptés. Une responsable de maison relais avait d’ailleurs écrit une lettre ouverte dans laquelle elle indiquait que le personnel était débordé par les comportements de certains enfants. En tant qu’ORK, nous sommes aussi de plus en plus souvent confrontés à des cas de parents présentant des troubles psychiques ou d’enfants soignés dans les services psychiatriques des hôpitaux. Il s’agit également du thème choisi par notre réseau européen.
Dans notre rapport, nous n’évoquons pas les causes de ces troubles. Nous abordons les possibilités existantes de prise en charge, ensuite nous nous renseignons sur son organisation et la présence d’éventuelles lacunes.

Même si vous ne les abordez pas, connaissez-vous les causes de ces troubles ?
En tant qu’ORK nous ne les avons pas étudiées, mais nous avons observé que de plus en plus d’enfants ont besoin d’aide. Cela peut s’expliquer par le fait que les moyens de dépister les troubles ou les maladies mentales sont plus nombreux. Nous ne sommes pas des scientifiques, nous observons et alertons. Nous savons que ces troubles peuvent être d’origine génétique ou être la conséquence d’une expérience traumatique. Les enfants ont beaucoup de mal à gérer leurs émotions et deviennent de vraies terreurs à l’école ou à la maison relais. Cela cache une détresse extrême. Ce sont des enfants qui ont peur, qui ne se sentent pas en sécurité, qui manquent de repères.

Les enfants ont beaucoup de mal à gérer leurs émotions

Le Luxembourg est-il suffisamment équipé pour aider ces jeunes ?
Pour l’ORK, l’offre n’est pas suffisante, mais les choses sont en train de changer. La psychiatrie infantile et les services destinés aux adolescents doivent être développés dans les années à venir. Des lits supplémentaires vont être ajoutés, de même que des cliniques de jour. Le ministère de l’Éducation nationale a chargé six prestataires de mettre en place six petites unités ou foyers sociothérapeutiques destinés à un accompagnement plus intensif des enfants en dehors de l’école. Elles seront réparties à travers tout le pays et ont une capacité de huit enfants chacune. La priorité y est mise sur le bien-être de l’enfant, l’enseignement est à l’arrière-plan pendant les traitements.

Qu’en est-il des enfants qui vivent avec un adulte présentant des troubles mentaux ?
Ils peuvent faire appel au service KanEl à Esch-sur-Alzette. Il s’agit d’un centre de consultation thérapeutique qui s’adresse aux familles en souffrance psychique importante. Un seul lieu de ce genre n’est pas suffisant, il faudrait installer de tels centres à travers tout le pays, au moins à Luxembourg et à Ettelbruck. Tous les membres de familles comprenant un adulte malade sont en détresse. Ces familles ont malheureusement tendance à s’enfermer sur elles-mêmes et à ne pas demander d’aide extérieure. Le rapport comprend un chapitre entier consacré aux enfants qui deviennent presque les parents de leurs parents.
L’ORK propose dans son rapport annuel d’engager des professionnels de la santé mentale dans les lycées.
Le lycée est un de ces endroits où il est possible de détecter des mal-être ou des troubles chez les adolescents et de déterminer si une aide est nécessaire ou pas. Nous plaidons donc pour la présence d’un infirmer ou d’une infirmière par lycée. Les jeunes viennent plus facilement parler de leurs maux de tête ou de ventre à un infirmier, plutôt que d’aller se confier à un psychologue. Le premier pas vers une aide psychologique peut être effectué grâce à du personnel médical. Un simple mal de ventre ou de tête récurrent peut souvent masquer un problème psychologique plus grave. Reste encore à gagner la confiance de l’enfant ou du jeune. Les lycéens n’aiment pas aller au SPOS (Service de psychologie et d’orientation scolaires) qui est un service en lien avec le lycée. Ils ont peur que les professeurs soient informés de leurs problèmes.

À qui se confient les jeunes?
Il est important de créer les opportunités pour permettre aux enfants et aux jeunes de se confier. Il y a le Kanner-Jugendtelefon. Pour certains enfants, il représente une possibilité de se confier, alors que pour d’autres, il n’est absolument pas question d’aborder des choses intimes ou privées avec un étranger. C’est important que les adultes montrent aux enfants qu’ils sont là pour eux, mais en fin de compte, c’est toujours l’enfant qui décidera s’il veut se confier ou non et à qui.

Vous avez transmis votre rapport au président de la Chambre des députés hier matin. À quoi vous attendez-vous de la part du Parlement ?
Nous espérons que les députés liront au moins nos recommandations et qu’ils prendront l’une ou l’autre à cœur. Nous les avons également remises au gouvernement et nous avions rencontré les partis politiques avant les élections législatives. Notre devoir est de sensibiliser le monde politique sur différents sujets qui nous préoccupent. En janvier ou en février, nous nous rendrons à la commission parlementaire Éducation et Famille.
Nous espérons que nos thèmes seront repris. Cela n’a pas été souvent le cas. Malgré tout, nous constatons que la politique prend conscience qu’il faut toujours garder les droits des enfants à l’esprit quand on élabore des lois ou des règlements.

Qu’est-ce qui freine les parlementaires à votre avis ?
On constate en général que les enfants et la jeunesse, et particulièrement dans ce domaine, ne font pas partie des priorités du gouvernement. Ils le sont quand il s’agit d’enseignement ou de structures de garde. La loi sur le divorce a été très longue à venir. Idem pour la révision de la loi sur la protection de la jeunesse. Je doute donc fort que les enfants et les jeunes soient une priorité absolue.

Sophie Kieffer