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« En silence » : l’art lyrique et aérien de Desplat résonne au Grand Théâtre


Une œuvre qui s’articule autour des notions d’héritage, de création, de transmission, de mémoire, de perte aussi. Le tout nimbé dans du coton. (photos ©silvia-delmedico)

Il voulait élargir son champ créatif, et Alexandre Desplat l’a fait ! Un défi qui a pris forme au Luxembourg, et dévoilé mardi soir en première mondiale au Grand Théâtre.

Auteur de plus d’une centaine de bandes originales, auréolé de nombreux prix – dont deux Oscars – ce compositeur, courtisé par Hollywood, s’est en effet confronté, en compagnie de sa muse artistique de toujours et metteure en scène, Solrey, à l’univers de l’opéra, peut-être pour sortir de sa zone de confort. Un choix né, aussi, d’un amour pour un auteur, l’écrivain japonais Yasunari Kawabata, et d’une de ses nouvelles.

En silence ramène à sa passion pour le Japon, le théâtre kabuki, les estampes, le cérémonial du thé, et bien sûr, le cinéma comme la musique. Un plongeon, même, dans le surréel, le fantasmagorique, propre à l’Histoire de ce pays, et à l’histoire articulée sur scène : celle d’un écrivain, paralysé, privé de son langage, des signes, des mots. Et cette question, centrale : comment un artiste peut-il encore vivre quand il est privé de ses moyens d’expression ?

Avec, sur scène, un narrateur jouant plusieurs personnages (Sava Lolov), deux chanteurs – Mikhail Timoshenko (baryton-basse) et Camille Poul (soprano) – et les locaux de l’ensemble Lucilin, noble représentant de la musique contemporaine au pays, l’œuvre s’articule autour des notions d’héritage, de création, de transmission, de mémoire, de perte aussi. Le tout nimbé dans du coton. De l’art lyrique aérien, qui s’approprie le temps et l’espace à sa manière, tout en minimalisme et retenue, n’ayant pas peur du vide et du silence, donc.

Le silence n’est pas toujours d’or

Il ne peut en résulter qu’une production singulière, car audacieuse en plusieurs points. D’abord à travers ce mélange entre lyrisme et narration, parfois entrecoupé par des pauses « fantomatiques », dans lesquelles la vidéo, l’écrit ou la lumière respirent seuls. Ensuite avec cette volonté de sortir l’orchestre de l’ombre, pour en faire des personnages propres à la dramaturgie, tout en couleurs, symboles même de la vie dans un monde d’un blanc abstrait. Enfin, pour la composition, qui ne tombe jamais dans la facilité et le cliché « japonisant ». Oui, le maestro sait y faire (rappelons qu’il a collaboré avec Wes Anderson pour son film d’animation Isle of Dogs qui se déroule… au Japon !), bien servi, il est vrai, par le jeu impeccable des dix musiciens de Lucilin, et une mise en scène réduite mais efficace, comme le suggère un tel sujet.

En trois actes et un peu plus d’une heure, malgré quelques «flashes» (la scène de la mère et son fils interné est déroutante), l’idée n’a pas mobilisé un enthousiasme fou dans le public, en témoignent les applaudissements mous et certaines figures ankylosées, propres au réveil. Disons que le décalage tient non pas à la qualité de la proposition, mais à sa singularité, justement, et ses racines culturelles. Dans un monde occidental fait de remplissage et de flots de paroles incessants, ce sens de la réserve, pudeur même, peut en décontenancer plus d’un. Le silence n’est pas d’or pour tous.

Grégory Cimatti

Dernière représentation mercredi soir, à 20h, au Grand Théâtre (Luxembourg), avant deux autres, les 2 et 3 mars, aux Bouffes du Nord (Paris).

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