Installée à Sandweiler, l’entreprise Tsume Art fabrique des figurines depuis 2010. Devenue une référence dans son domaine, elle multiplie les licences et les collaborations et a récemment tapé dans l’œil du rappeur Orelsan.
De l’extérieur, les locaux ne stimulent par particulièrement l’imagination. Située dans la zone industrielle Rolach de Sandŵeiler, Tsume Art ne dénote pas dans le paysage environnant avec ses bâtiments neutres et ses préfabriqués. Pourtant, derrière ces murs se cache l’une des entreprises les plus florissantes dans son domaine. Une pépite luxembourgeoise créée en 2010 et qui est rapidement devenue une référence dans les figurines en résine. Une fois la porte d’entrée franchie, les choses s’améliorent. Le visiteur est accueilli par de longues étagères reprenant quelques-unes des productions de Tsume : Naruto, Freezer de Dragon Ball, Sanji de One Piece, Mu de Saint Seiya et bien d’autres se côtoient dans le petit hall d’accueil.
En une quinzaine d’années, la société fondée par Cyril Marchiol a réussi à obtenir les droits des licences de mangas et d’animes les plus connus. Un travail de longue haleine qui a su séduire les fans du monde entier, mais aussi les ayants droit japonais, parfois méfiants à travailler avec des gaijins. Plus récemment, l’entreprise a même conclu une collaboration d’un nouveau genre en signant avec Orelsan. Fan de la marque depuis de nombreuses années, le rappeur de Caen a fait appel à elle pour les figurines des éditions collector de son dernier album (lire ci-dessous).
Génération Club Dorothée
L’aventure de Tsume Art commence par le rêve d’une personne : Cyril Marchiol. Biberonné aux dessins animés du Club Dorothée, il décide en 2010 de se lancer dans les figurines en résine haut de gamme inspirées des mangas qui le passionnent, un marché sur lequel personne ne s’était jamais vraiment positionné. «On était précurseurs», rappelle Cédric Szydlowski, l’un des premiers employés de l’entreprise qui en compte aujourd’hui une quarantaine. Originaire de Metzervisse, en Lorraine, Cyril Marchiol installe son entreprise à Howald pour profiter des facilités que le Grand-Duché offre à la création d’entreprise. Autour de lui, il réunit alors toute une bande d’artistes eux aussi bercés par Dragon Ball, Nicky Larson ou Sailor Moon.
D’abord installé à Howald, Tsume commence à démarcher les éditeurs japonais. Une tâche pas facile quand on débarque du Luxembourg. Mais si les shônen leur ont bien appris quelque chose, c’est que la persévérance finit toujours par payer. Pour les convaincre, Cyril part au Japon avec un premier prototype sous le bras pour montrer le savoir-faire de sa jeune entreprise. Ce sont les ayants droit de Naruto qui vont être les premiers à lui faire confiance. Après un premier succès, les portes ont commencé à s’ouvrir. «Ça devient plus facile quand on a eu une vraie notoriété dans le domaine.» Les licences se sont multipliées et les projets avec, entraînant Tsume sur les rails du succès. Si la société s’est d’abord spécialisée dans la japanimation, elle s’est ouverte peu à peu à d’autres univers comme Harry Potter, Batman ou Assassin’s Creed.
Aujourd’hui leader sur son marché, avec un chiffre d’affaires autour des 10 millions d’euros, Tsume multiplie les projets pour rester en tête. Car en 15 ans, de nombreux acteurs sont arrivés sur ce juteux marché. Au fil des années, la société a donc développé de nouvelles gammes, comme les figurines Ikigai, plus petites et possédant un socle commun pour les exposer plus facilement. Elle s’est aussi lancée dans l’édition de mangas et de jeux de société même si ces branches ont connu un coup d’arrêt au moment du covid. «Et nous prévoyons une nouvelle gamme pour 2026.» Comme certaines séries de mangas à la longévité impressionnante, l’histoire de Tsume risque de durer encore longtemps.
Mais avant d’arriver sur les étagères des fans, un long processus est nécessaire pour concevoir puis fabriquer les fameuses figurines. Tout commence dans le bureau d’Ivan Kumb, 2D manager au sein de Tsume. C’est lui qui pose les bases d’un nouveau projet en réalisant les premiers dessins. «En fonction de la sortie d’un film ou d’un nouvel épisode d’anime, on choisit sur quel personnage on va se concentrer», précise-t-il. À l’aide de différents visuels fournis par les clients, mais aussi piochés dans les animes et les mangas, une conceptualisation en 2D de la future figurine voit le jour.
Celle-ci va ensuite être affinée grâce à l’œil de Cyril Marchiol. «Il me donne son ressenti, il peut par exemple me demander plus d’action.» Souvent, la statue reprend une scène iconique de la licence et contient de nombreuses références à même de séduire les fans. La conception peut prendre deux à trois jours selon la taille de la figurine. Les dessins sont ensuite envoyés aux ayants droit pour qu’ils apportent leurs corrections avant de valider cette première étape.

«Raconter une histoire»
Dans la pièce d’à côté, Saesa Glas, artistic manager, veille quant à elle au bon déroulement de chaque phase de conception. Dans son bureau tapissé de croquis, de dessins 2D et 3D se trouvent les premiers tests de statues ainsi qu’une grande frise reprenant toutes les étapes de production. «Je dois vérifier que les dessins sont corrects et qu’ils seront possibles à réaliser.» Elle s’assure aussi que la taille des personnages est cohérente entre eux et par rapport à leur apparence dans le manga. Enfin, elle fait le lien entre les artistes 2D et ceux qui vont s’occuper de transposer leur travail en 3D. C’est notamment le rôle de Patrick Tran, 3D sculptor. Sur sa tablette, il donne forme à la figurine grâce à un logiciel qui imite la sculpture traditionnelle. «ZBrush est utilisé dans le cinéma et le jeu vidéo. Il me permet de partir d’une forme très simple pour créer la base du personnage.»
Chaque partie de la figurine est créée bloc par bloc et ceux-ci sont ensuite assemblés. Là encore, de nombreux documents de référence et de dessins préparatoires fournis par les ayants droit sont réunis ainsi que le modèle 2D, pour cette étape qui peut prendre plusieurs mois. Mais les artistes apportent aussi leur touche personnelle. «On respecte dans un premier temps le matériau brut, ensuite on peut amener notre vision. La statue doit raconter une histoire.» Après une phase de validation interne, le résultat est envoyé au client qui doit à nouveau donner son avis. Et celui-ci peut se montrer très tatillon, allant jusqu’à vérifier, dans certains cas, l’écartement des yeux d’un personnage.

Une fois le visuel arrêté, il est temps de passer à la fabrication d’un premier prototype. Le fichier 3D est alors envoyé pour impression. Il est ensuite découpé et divisé en plusieurs parties qui sont imprimées séparément avant d’être assemblées. C’est aussi à cette étape que l’on ajoute les emboîtements qui permettent de fixer les différentes pièces.
Grâce à ses très nombreuses imprimantes 3D, Tsume peut produire une version size print de la statue. «En fonction de la taille et de la résine utilisée, cela peut prendre plus ou moins de temps, précise Maxime Roudaut, prototyping manager. La plus longue impression a duré une semaine. On croisait les doigts pour ne pas avoir de problèmes!» La figurine est alors vérifiée sous toutes les coutures avant d’être envoyée à la dernière étape : la peinture.

Dans l’un des deux bungalows installés devant l’entreprise, trois peintres s’activent sur les dernières créations. Ici aussi le travail est minutieux et demande de nombreux documents pour appliquer les couleurs exactes à chaque personnage et à tous les éléments du décor. C’est notamment la tâche de Mickaël Gros, artiste peintre. «Le but, c’est de se rapprocher au maximum de la référence du manga ou de l’anime.»
Au pinceau ou à l’aérographe, il est là pour donner un véritable relief et une personnalité à la statue. «Quand on fait de la peinture, on met en scène. On joue beaucoup avec la lumière et les ombres.» Le processus peut lui aussi s’avérer assez long selon la complexité du produit final, de l’ordre de deux à six semaines. Une fois la statue terminée, une dernière validation permet de lancer enfin la production.

Plus de 130 000 clients
Le prototype quitte alors le Grand-Duché pour la Chine où se trouvent les usines de Tsume. Grâce à des moules en silicone, elles peuvent produire la figurine en masse. «On a choisi la Chine, car cela coûterait trop cher de le faire en France, on ne pourrait pas se le permettre, affirme Cédric Szydlowski, community & marketing manager. Et puis la Chine a un vrai savoir-faire. Ils ont 20 ans d’avance sur l’Europe. Ce sont des usines ultramodernes, loin de l’image que l’on peut en avoir en France.»
Tsume reçoit ensuite les premiers colis pour vérifier que tout est conforme, mais aussi que l’emballage est solide. «On en prend quelques-uns et on les balance du haut des escaliers. Si des figurines se cassent, on leur demande de revoir les protections.»
En parallèle, le marketing prend les rênes, réalise les premières photos et met en place les précommandes. Grâce à la communauté qui s’est formée autour de Tsume, les figurines sont vite en rupture de stock. «Au cumulé, nous avons 900 000 followers sur les réseaux sociaux et un fichier clients avec plus de 130 000 personnes.»
La société peut aussi compter sur des fans connus, comme des footballeurs pros ou des influenceurs prêts à parler de leurs dernières acquisitions. Mais ce qui a fait le succès de Tsume, c’est avant tout cette patte, ou cette griffe pour reprendre le logo de la marque, que seuls des fans de mangas et de japanimation pouvaient réellement apporter. Avec l’envie, comme n’importe tout bon héros de shōnen, de toujours se dépasser.
Orelsan-Tsume, une collaboration entre fans

La collaboration avec Orelsan s’est faite très naturellement. Fan du travail de Tsume, le rappeur de Caen en parle régulièrement sur les réseaux sociaux et connaît très bien le patron, Cyril Marchiol. Pour la sortie de son nouvel album, La Fuite en avant, il a donc contacté la société pour réaliser des figurines à son effigie pour les éditions collectors. Eux-mêmes fans de l’artiste, «un être humain et un artiste génial», les créateurs ont rapidement accepté sa proposition et se sont lancés dans un projet bien différent de ce qu’ils avaient fait jusqu’à présent. Si la conception d’une de leurs figurines prend environ deux ans, ici le timing a été beaucoup plus serré : le travail a commencé fin avril pour une livraison en septembre.
Avec 60 000 exemplaires produits, les stocks étaient également bien différents des productions habituelles. Quatre figurines, deux normales et deux «chibi» (de petits personnages à grosse tête), ont été créées. Fabriquées en PVC et non en résine, ce qui a permis d’utiliser des moules en métal plus adaptés aux grosses productions, elles reprennent les tenues d’Orelsan dans son dernier film, Yoroi, dont le scénario répond aux chansons de l’album. «C’était son rêve d’avoir sa propre figurine et nous, ça nous a fait de la visibilité», indique Cédric Szydlowski. Car si Tsume a une communauté de fans solide, son marché reste une niche. «Ça nous a permis de toucher un public plus large.»
Si Tsume est prêt à réitérer une telle collaboration, Cédric Szydlowski prévient que cela ne se fera pas avec n’importe qui. «On l’a fait parce qu’on aime Orelsan. On ne va pas collaborer avec un artiste juste pour prendre un chèque. Et puis, on a déjà pas mal de projets.»