La nouvelle exposition du Mudam met en avant plusieurs pièces de sa collection. Mais son élaboration et sa présentation ont été le fruit d’une longue réflexion pour les différentes équipes du musée.
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«On est encore en plein montage!» Environ une semaine avant le vernissage de sa nouvelle exposition, il régnait une certaine effervescence au Mudam. Depuis vendredi, le musée d’Art moderne Grand-Duc-Jean accueille «Radio Luxembourg : Echoes across borders», une présentation rassemblant une quinzaine d’artistes, mais qui a aussi pour but de mettre en avant la Collection Mudam, un fonds de plus de 800 pièces acquises au fil des années par le musée. Mais avant de laisser les visiteurs déambuler, il a bien fallu concevoir et mettre en place cette exposition.

L’installation de l’exposition a pris environ trois semaines.
Tout commence par une intense phase de réflexion. «On a travaillé dessus pendant plus d’un an! Il a fallu définir le concept, choisir les pièces, travailler sur plan», énumère Marie-Noëlle Farcy, responsable de la collection. Cette fois-ci, l’impulsion est venue de Gaby et Wilhelm Schürmann, deux collectionneurs allemands qui ont fait don d’une partie de leur fonds personnel grâce au soutien des membres du Cercle des collectionneurs du musée.
Les œuvres sont mises en perspective avec des pièces de la Collection Mudam ainsi que d’autres spécialement prêtées pour l’occasion au musée. «Wilhelm connaît très bien sa collection et moi celle du musée», ajoute Marie-Noëlle Farcy. Tous deux commissaires de l’exposition, ils ont pu ainsi confronter leurs idées pour faire dialoguer les œuvres entre elles mais aussi avec le public. «Travailler avec les pièces de la collection entraîne une forme de familiarité qui permet de les redécouvrir.»
Si un soin particulier doit être accordé à cette phase préparatoire, tout peut être chamboulé quand la mise en place concrète commence. «C’est là qu’on peut se projeter.» Certaines idées, qui paraissaient bonnes sur le papier, peuvent apparaître comme irréalisables ou simplement inadaptées, tandis que de nouveaux ajouts peuvent apparaître.
«Bien sûr, on ne modifie pas toute l’exposition, ce sont des ajustements.» Mais en tant que musée d’art contemporain, le Mudam se retrouve à travailler directement avec les artistes qui ont eux aussi leur propre vision et leurs idées à proposer. «Il faut prendre les différents points de vue et se concerter.»

La mise en place des œuvres demande de nombreuses compétences différentes.
Passant de la théorie à la pratique, le travail prend un tournant plus logistique et concret pour répondre à une question : comment mettre en valeur les œuvres choisies? Pendant près de trois semaines, une équipe d’environ huit personnes s’affaire à tout installer. Les pièces sont d’abord scrupuleusement inspectées pour vérifier leur état, tandis que les espaces sont préparés à les recevoir.
Si certaines ne demandent pas une énorme organisation, comme une série de tableaux accrochés à un mur, d’autres nécessitent plus de moyens. Pour accrocher des œuvres en suspension, une nacelle a par exemple dû être déployée. Une autre a dû être recréée entièrement puisqu’elle consiste en un message affiché en grand sur un mur, «I hate business».
Dans ce cas-là, un modèle envoyé par l’artiste est projeté pour que les équipes du musée puissent le peindre directement. L’une des pièces les plus impressionnantes est un escalier métallique qui monte jusqu’au plafond. Son emplacement a fait l’objet d’un soin particulier pour changer la perspective des visiteurs selon leur position dans la salle.
«Cela oblige les gens à se déplacer dans la salle.» Un défi logistique auquel s’ajoute une difficulté de taille. «Le musée n’est jamais fermé, rappelle Marie-Noëlle Farcy. Il faut trouver comment gérer l’arrivée de l’œuvre en même temps que le public.»
Des pièces impossibles à acheter aujourd’hui
Elle peut heureusement compter sur toute une équipe de régisseurs chargés de l’installation de ces pièces. Juliette Hesse gère spécifiquement celles du Mudam. «Normalement, je ne fais pas de montage sauf si des œuvres de la collection sont exposées. Je m’occupe de la logistique en cas de prêt, et des réserves.»
Elle est aussi en charge de l’arrivée de chaque nouvelle acquisition par le musée. «J’organise le transport pour la faire venir. Souvent, personne ne fournit de manuel d’utilisation, j’établis donc une fiche technique pour expliquer comment assembler une œuvre.» Elle se doit aussi de régler certains problèmes comme quand une pièce arrive dans quatre immenses caisses qui ne rentrent pas dans l’ascenseur du musée.

Co-commissaire de l’exposition et donateur d’une grande partie des pièces, Wilhelm Schürmann est venu superviser l’installation des œuvres.
Deux autres régisseurs sont dédiés aux expositions, tandis qu’un troisième s’occupe des installations audiovisuelles. Outre l’aspect artistique, des considérations plus terre à terre sont à prendre en considération dans l’élaboration de la muséographie. «Il faut des endroits où s’asseoir, précise Marie-Noëlle Farcy. Surtout que dans un musée, on piétine beaucoup et on finit par avoir mal au dos.»
Pour cette exposition, les équipes du Mudam ont pu allier l’art et le pratique grâce une œuvre, une sorte de vestiaire de sport, sur laquelle les visiteurs peuvent se poser.
Toute l’équipe travaille sous l’œil de Wilhelm Schürmann, venu coordonner l’installation. Également photographe, le collectionneur ne se sépare jamais de son appareil et mitraille l’avancée des travaux. L’exposition lui tient particulièrement à cœur et résonne en lui comme le prouve son titre, «Radio Luxembourg : Echoes across borders», et explique en partie pourquoi il a choisi de faire cette donation au musée grand-ducal.
«J’avais fabriqué une petite radio que j’écoutais dans mon lit sous les couvertures quand j’avais 9 ans. Je suis tombé sur Radio Luxembourg mais je ne connaissais même pas le pays, pour moi c’était juste une radio», se souvient-il. Les mécènes, comme lui et son épouse, sont importants pour le Mudam puisqu’ils permettent au musée d’acquérir plus facilement de nouvelles pièces et d’enrichir son fonds (voir encadré).
L’importance du mécénat
Si le plus gros du budget du musée, environ 90 %, provient de fonds publics, le Mudam doit trouver d’autres financements pour se développer. La nouvelle exposition bénéficie par exemple grandement des donations réalisées par les collectionneurs allemands Gaby et Wilhelm Schürmann.
Hormis quelques prêts qui retourneront à leurs propriétaires, la plupart des pièces exposées viendront enrichir la Collection Mudam largement alimentée par le mécénat. «En ces temps de restrictions budgétaires, les musées dépendent des collections privées, affirme Bettina Steinbrügge, directrice de l’institution. Les budgets d’acquisition sont de plus en plus réduits, mais les prix dans l’art atteignent des sommets astronomiques.»
Heureusement, le musée peut compter sur les entreprises et les fondations, notamment européennes. «Avec les entreprises, nous signons des contrats de trois ans, ça nous permet de planifier. On a des aussi des personnes privées qui, de temps en temps, achètent une œuvre pour nous.»
Depuis 2021, une communauté de passionnés d’art contemporain s’est également rassemblée dans le Cercle des collectionneurs pour soutenir financièrement le développement de la Collection Mudam. «Cela nous permet d’acheter une ou deux grandes œuvres tous les ans.»
«Il y a une vingtaine de pièces qui entrent dans la collection et qu’ils ont acquises au cours de leur vie. On ne pourrait plus les acheter aujourd’hui», affirme Marie-Noëlle Farcy. Les collectionneurs ont aussi une capacité d’achat plus flexible, là où une institution comme le Mudam peut mettre un an avant d’acquérir une nouvelle œuvre.
Loin d’être en concurrence, amateurs privés et musées peuvent donc travailler de concert pour ouvrir l’art au public. Mais encore faut-il pouvoir l’amener au plus grand nombre. Alors que l’installation se termine, une autre équipe va désormais prendre le relais.
À travers l’organisation de visites guidées, d’ateliers ou de conférences, les médiateurs sont chargés de faire le lien avec le public. Une mission en constante évolution (voir encadré) nécessaire pour ne pas faire des musées d’art moderne des lieux d’entre-soi élitistes. Et permettre à tous de découvrir la richesse de la Collection Mudam.
Un dialogue constant avec le public
Si l’une des missions du Mudam est de conserver et préserver des œuvres d’art, son rôle est aussi d’amener ces pièces au public le plus large possible. Si l’art, en particulier contemporain, peut effrayer et être jugé trop élitiste, les musées ont multiplié les efforts pour le rendre plus accessible.
Au Mudam, une équipe de médiateurs est là pour faire le lien avec les visiteurs, qu’ils soient adultes, enfants ou scolaires. «Je travaille avec un public spécifique, souvent extérieur au musée», explique Nathalie Lesure, chargée de médiation. Elle accueille par exemple des groupes de réfugiés qu’elle forme à devenir médiateurs freelance.
«C’est important de créer du lien entre notre programme et le public.» Celui-ci peut passer par des visites guidées mais aussi par des ateliers spécifiques pour donner des clés aux visiteurs et leur permettre de se forger leurs propres vision et analyses. «On essaye de transmettre de mille manières, nous ne sommes pas dans une approche frontale. Il faut tenir compte de la sensibilité des visiteurs.»
Cette mission entraîne une réflexion constante parmi les équipes de médiation qui tentent d’apporter de l’interactivité tout en réfléchissant à de nouvelles façons d’ouvrir le musée. «Le mercredi par exemple, nous organisons des visites guidées gratuites, ce qui est aussi une manière de rendre l’art plus accessible.»