Les sifflements en tout genre ont retenti dans les rues de la vieille ville de Luxembourg à l’occasion de la traditionnelle Emaischen. Un succès après deux ans de pause.
Cela papote aux coins des rues. On se croise, on se recroise. Des éclats de rire résonnent sous le soleil d’une matinée de printemps particulière. Les rues autour du Marché-aux-herbes et du Marché-aux-Poissons sont bondées. Des sifflements et dés pétillement plus ou moins harmonieux fendent la foule. Après deux années de pause, l’Emaischen a repris ses droits dans la vieille ville de Luxembourg en ce lundi de Pâques.
Si étymologiquement, le terme Emaischen rappelle la marche des disciples de Jésus vers Emmäus, ce marché des potiers dont l’origine remonte au moins au XIXe siècle, correspond à la célébration de la fête de la guilde des potiers le lundi de Pâques. La première trace écrite de l’Eimaischen remonte au 3 avril 1827, date à laquelle il fut décidé de déplacer la foire de l’église Saint-Michel vers la place du Marché-aux-Poissons.
Interrompue à la Première Guerre mondiale, le comité Alstad a fait renaître la vieille tradition de l’Eimaischen en 1938 et édite chaque année un Péckvillchen inédit. Depuis 1957, la fête est également célébrée à Nospelt. Cette fête des potiers met plus particulièrement en valeur les Péckvillercher, ces oiseaux siffleurs en terre cuite.
«Vous avez vu, on a commandé du beau temps», lance Lydie Polfer, bourgmestre de la capitale, venue compléter sa collection d’oiseaux siffleurs en cette matinée ensoleillée. L’élue a porté son choix sur des Péckvillercher exotiques aux traits et aux couleurs amérindiens proposés à la vente par la Fondation Luxembourg-El Salvador au profit de la population de ce pays d’Amérique du Sud. Les oiseaux aux allures de quetzal ont été dessinés à 9 000 kilomètres du centre-ville de Luxembourg par l’artiste Fernando Llort.
Plus proche de nous, Romy Weydert ne sait plus où donner de la tête. On se presse pour acquérir ses couples d’oiseaux de nos régions. Depuis 1996, elle en crée des représentations fidèles. Les éditions 2020 et 2021 de l’Emaischen ayant été annulées en raison de la pandémie de covid-19, l’artiste céramiste basée à Hesperange vend trois couples d’oiseaux différents.
Cette année, elle a choisi de représenter la panure à moustaches, petit passereau à la tête bleutée. Également présents sur son stand en bonne place devant le parvis du musée national d’Histoire et d’Art au Marché-aux-Poissons, les couples de traquets motteux et de gorge-bleues à miroir créés pour les deux dernières éditions. «Elle est en route depuis tôt ce matin», confie une amie venue lui prêter main-forte. «Nous devons prendre la relève à midi. Cela n’arrête pas.»
Effectivement, les premiers acheteurs, des collectionneurs invétérés étaient présents au centre-ville dès poltron-minet pour trouver «le» Péckvillchen le plus rare dans la collection d’oiseaux siffleurs proposés par les différents céramistes. «La foule a commencé à se former dès 8 h 30», a indiqué Patrick Goldschmidt, échevin de la capitale, croisé derrière le Palais grand-ducal où il était difficile de se frayer un chemin en fin de matinée.
«Cela fait un immense bien de pouvoir ressortir et recroiser du monde après deux ans de presque confinement, note Michel, en combinaison de moto. C’est la preuve que les gens ont besoin de mettre le nez dehors et de recroiser leurs semblables.» Maurice Bauer, échevin chrétien-social de la capitale, renchérit : «C’est un bon test pour la Schueberfouer.»
À la découverte des traditions
Croisée devant le Palais grand-ducal, entre un vendeur de Kreemchen, de babioles, et un artisan vannier, Charlotte, récemment arrivée au Luxembourg, trouve l’ambiance sympathique. «Je découvre les traditions luxembourgeoises, explique-t-elle. Je trouve cela sympathique de vendre des oiseaux siffleurs. Tout cela est très nouveau pour moi et je m’étonne du monde dans ces petites ruelles.»
Il fallait en effet jouer des coudes pour remonter la rue des Bouchers ou la rue de l’Eau. Frank vient, quant à lui, chaque année acheter un Péckvillchen à sa maman. Comme pour beaucoup de Luxembourgeois, il s’agit d’une tradition bien ancrée. Il ne sait pas encore sur lequel il va porter son dévolu, mais il sait qu’il ne rentrera pas bredouille.
Nombreux sont les collectionneurs de Péckvillercher. Ce sont eux qui, en général, sont les premiers à prendre d’assaut les échoppes à Luxembourg ou à Nospelt où l’Emaischen est également célébrée en ce lundi de Pâques. Péckvillercher traditionnels, stylisés, en verre, œuvres d’art limitées et signées, nouveaux exemplaires de collection, appeaux pour les enfants, tout le monde y trouve son compte ou sa perle rare tant que le moule n’est pas brisé.
«J’achète toujours un Péckvillchen pour une bonne œuvre, explique Annelore, habitante des faubourgs de la capitale. Je me moque de savoir si c’est un artiste qui l’a dessiné ou pas.» Cette année, elle a jeté son dévolu sur un oiseau vendu par la Ligue HMC. «Je me moque qu’il sonne juste ou pas. Je ne suis pas musicienne, poursuit-elle, amusée. Je plains certains parents qui vont avoir de grosses migraines ce soir…» Il n’y a pas d’âge pour apprécier les oiseaux siffleurs. En fin de matinée, les oiseaux se faisaient rares dans les échoppes.
Pour Pierrot, l’Emaischen, fait partie de la tradition et chaque natif de Luxembourg se doit d’aller y faire un tour «même si on n’achète pas de Péckvillchen ou de poterie». «On y venait enfants, avec les parents et les grands-parents. C’était un moment de rencontre comme aujourd’hui. C’était une des premières journées où on remettait le nez dehors après l’hiver, se souvient-il avec un brin de nostalgie. C’était un jour de fête comme le Märtchen de l’octave à une époque où la ville était moins peuplée.»
Si le sifflement est la langue commune à tous les acheteurs de Péckvillercher, tous âges confondus, au cours des dernières années, l’Emaischen, au même titre que la population luxembourgeoise, est devenue une fête cosmopolite qui a rattrapé la tradition et le folklore.