Les candidats aux législatives sont-ils prêts à légiférer sur le devoir de vigilance des entreprises ? Des organisations de la société civile leur ont demandé de répondre «sans ambiguïté».
À l’approche des élections législatives, l’Initiative pour un devoir de vigilance, un collectif de 17 organisations de la société civile qui milite pour la mise en place d’une loi nationale contraignante visant à obliger les entreprises à respecter les droits humains, environnementaux et climatiques tout au long de leur chaîne de valeur, a envoyé un questionnaire aux têtes de liste des différents partis afin que les candidats se prononcent «clairement» et «sans ambiguïté» quant à l’introduction d’une telle loi au Luxembourg.
Le questionnaire aborde cette potentielle législation selon que les négociations en cours pour l’adoption d’une directive européenne en la matière aboutissent ou non – si la Commission européenne a déjà adopté la proposition de directive en février 2022, celle-ci doit en effet encore être soumise à l’approbation du Parlement européen et du Conseil, ce qui pourrait prendre encore plusieurs années.
En cas d’échec de ces négociations, les États membres ne seraient pas contraints de légiférer sur le devoir de vigilance (bien que certains États, notamment la France et l’Allemagne, l’aient déjà fait). Dans ce scénario, quatre candidats aux législatives sont malgré tout favorables à l’introduction d’une telle législation au niveau du Grand-Duché : Sam Tanson (déi gréng), Paulette Lenert (LSAP), Marc Baum (déi Lénk) et Sven Clement (Pirates). Deux y sont opposés : Lex Delles (qui a répondu en lieu et place de Xavier Bettel pour le DP) et Luc Frieden (CSV), préférant une harmonisation au niveau européen. Il est à noter que Fred Keup, de l’ADR, est le seul candidat à n’avoir pas répondu au questionnaire. La position de son parti est cependant connue : «L’ADR est contre toute législation nationale qui responsabiliserait les entreprises au niveau des droits humains», a souligné avec dépit Jean-Louis Zeien, de Fairtrade Lëtzebuerg, lors d’une conférence de presse, hier.
L’épineuse question du secteur financier
Par contre, si une directive européenne était adoptée, les États membres auraient alors deux ans pour la transposer sur le plan national. Reste à savoir si les candidats «seraient prêts à aller au-delà des exigences européennes», a fait remarquer Antoniya Argirova, de Greenpeace. A priori, le champ d’application de la directive se limiterait en effet aux entreprises de plus de 250 employés et ayant un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros minimum. Les différents «Spëtzekandidaten» sont d’accord avec ce seuil, bien que le DP émette quelques réserves en faveur d’«un principe de proportionnalité».
Sauf qu’au Luxembourg, la place financière est prédominante. Or avec un tel seuil, les Sociétés de participations financières par exemple, ou Soparfis, des micro-sociétés pour la plupart, seraient exclues du devoir de vigilance, alors qu’elles ne sont pas toujours exemptes de violations de droits. Jean-Louis Zeien cite à cet égard Ternium SA, «liée» à la disparition en janvier de deux défenseurs des droits humains et militants écologistes au Mexique. «Dans un pays où il y a des dizaines de milliers de Soparfis, il est évident qu’il faut aussi les responsabiliser», insiste-t-il. «Si on applique ce seuil en prenant en considération le groupe auquel elles sont rattachées dans son ensemble – c’est une possibilité de la directive –, alors il y a une chance que ces entreprises soient incluses dans la législation», a précisé Antoniya Argirova.
Le DP reste en tout cas opposé à l’inclusion du secteur financier dans une législation sur le devoir de vigilance, arguant que «les fonds d’investissement auraient uniquement la mission de gérer les patrimoines des investisseurs», tandis que «les actifs sous-jacents» seront déjà soumis aux dispositions de la directive. «La position du gouvernement actuel est en contradiction fondamentale avec les normes internationales et les principes directeurs des Nations unies (…) qui indiquent clairement que la responsabilité de respecter les droits humains s’applique pleinement à l’ensemble des institutions financières», ont rappelé les représentants de l’Initiative.
Il ressort de cette enquête menée auprès des têtes de partis qu’une coalition déi gréng-LSAP-déi Lenk-Piraten serait le plus en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains et entreprises. Avec un bémol : «Les partis politiques se déclarent en général toujours en faveur des principes des Nations unies, mais n’hésitent pas à se mettre en opposition avec ces principes dès qu’il s’agit d’introduire des mesures législatives concrètes». L’Initiative en veut pour preuve le Pacte volontaire mis en place par le ministère des Affaires étrangères, un simple élément de «social and greenwashing», et surtout le soutien du Luxembourg à l’abaissement de la norme internationale de conduite des entreprises au niveau des négociations européennes.
Le questionnaire et les réponses des candidats aux législatives, ainsi que leurs commentaires, sont à retrouver sur le site de l’Initiative pour un devoir de vigilance : www.initiative-devoirdevigilance.org.